Une nou­vel­le ère dans le cal­cul des ho­no­rai­res

Une nouvelle logique s’appliquera bientôt à la rémunération de prestations de planification: les honoraires seront désormais définis sur la base de critères tangibles et non plus des coûts d’ouvrage. Avec la plateforme de calcul des prestations et l’outil «Value app» prochainement disponibles, la SIA dote la branche d’instruments qui contribueront à la faire évoluer dans le sens d’une culture du bâti de qualité. 

Publikationsdatum
07-08-2025
Laurindo Lietha
BSc FHO Civil Engineering / DAS Economie de la construction, spécialiste Règlements/Marchés

En Suisse, une règle simple a longtemps prévalu en matière de calcul des honoraires de prestations de planification: les coûts d’ouvrage servaient à calculer un pourcentage sur lequel était basée la rémunération. Peu importe que ces coûts soient liés à la qualité de la conception, aux matériaux utilisés ou aux aléas du marché. Ce modèle, d’application facile et largement répandu, s’est avéré profondément problématique, puisque les honoraires ainsi déterminés reflétaient non pas l’investissement effectif requis pour concevoir le projet, mais seulement le prix du produit final. Aussi, le travail des planificateurs n’était-il mesuré qu’à l’aune de ce seul indicateur, qui ne prenait en compte ni le niveau de complexité, ni la qualité de la proposition.

Une approche à revoir

Les débuts de la réglementation relative aux honoraires en Suisse remontent à loin. Dès le 19e siècle, des règlements professionnels encadrent la rémunération des architectes – généralement basée sur des taux dérivés des coûts d’ouvrage. En 1933, la SIA propose à son tour un premier règlement complet, intitulé «Tarif d’honoraires pour travaux d’architecture», également fondé sur les coûts d’ouvrage. Toutefois, ce modèle figé s’est révélé de plus en plus inadapté, au gré des mutations sociétales et de la diversification des projets.

En effet, si par le passé les planificateurs concevaient des ouvrages du sol au plafond sur des terrains vierges, ces missions sont devenues très minoritaires. Aujourd’hui, la culture du bâti ne peut plus être réduite à un prix au mètre cube. Une construction constitue l’aboutissement d’une démarche interdisciplinaire complexe, en chiffrer la qualité n’est donc pas chose aisée. Le futur de la conception sera hybride, numérique, intégré et circulaire. La rémunération des projets ne saurait dès lors être indexée sur le seul coût d’ouvrage, mais doit refléter la qualité de la prestation et la responsabilité qu’engagent les planificateurs. Lier les honoraires aux seuls coûts d’ouvrage fausse non seulement les incitatifs individuels des mandataires, mais crée de plus des asymétries informationnelles. Dans une optique économique, cela mène à une allocation inefficace des ressources, le facteur immatériel de la qualité du travail de conception étant systématiquement sous-évalué.

Au plus tard avec l’intervention de la Commission de la concurrence (COMCO), il est apparu que ce modèle, en plus d’être dépassé, n’était pas pleinement conforme à la loi. Par conséquent, la SIA a retiré tous les modèles de calcul basés sur les coûts d’ouvrage de ses règlements en 2020. Depuis, les règlements concernant les prestations et les honoraires (RPH) se fondent sur trois approches: d’après le temps employé effectif, forfaitaire et globale. Malheureusement, ce qui avait été envisagé comme l’opportunité d’une plus grande autonomie a, dans les faits, désorienté de nombreux acteurs. Depuis, les bureaux – en premier lieu les plus jeunes – sont confrontés au défi de justifier leurs honoraires sans recourir à l’argument des coûts.

Créer une base commune

Une nouvelle voie est en train de s’ouvrir. L’ETH Zurich et la SIA ont développé la «Value app», un outil numérique qui permet de calculer le temps nécessaire au plus proche des réalités du terrain. Après une phase de tests intensive, elle sera le premier outil rendu disponible sur la plateforme de calcul des prestations d’ici fin août 2025. Les planificateurs pourront y renseigner des indicateurs de projet stables, comme le type d’usage prévu, la surface au sol brute, le degré de complexité ou encore le mode d’organisation du projet.

Le temps de travail peut ainsi être déterminé de manière différenciée, et non pas sur la seule base de la surface. La plateforme servira aussi pour d’autres modèles, ceux-ci pouvant se fonder par exemple sur des chiffres-clés différents ou des paramètres propres aux disciplines.

La prise en compte des surfaces, du degré de complexité et d’autres facteurs pertinents favorise la transparence dès les premières phrases de projet, permettant à la fois de réduire les coûts de transaction et d’augmenter la fiabilité des investissements – ce qui contribue in fine à la résilience économique du secteur.

Sans livrer de réponses toutes faites, la plateforme offrira un point de départ solidement étayé qui pourra nourrir la réflexion autour des méthodologies de rémunération. Instrument validé par des professionnels, la «Value app» s’y intégrera dans cet esprit, et est appelée à être complété par d’autres outils et modes de calcul. Elle s’inscrit dans le sillage de la révision des RPH et est alignée sur les nouvelles méthodes de détermination des honoraires ainsi mises en place.

Point essentiel: quels qu’ils soient, ces outils et méthodes de calcul se fonderont impérativement sur des bases statistiques. Et c’est précisément la solidité de ces données qui rythmera l’évolution de la plateforme, idem pour la «Value app» qui sera progressivement perfectionnée entre le go-live et la publication des RPH révisés. Au final, l’objectif est d’établir une base de données robuste qui permette de créer un socle de compréhension commun de même qu’un référentiel de comparaison.

Reconnaître la planification à sa juste valeur

Au-delà de sa dimension pratique, la plateforme de calcul des prestations est également un médium au travers duquel s’affirme le caractère culturel, fonctionnel et stratégique des prestations de planification – qui ne peuvent être réduites à une seule dimension économique. D’autant que dans le contexte actuel, marqué par la crise climatique, la raréfaction des ressources et la densification de la réglementation, les contraintes qui se posent aux planificateurs vont croissant. Ces exigences de plus en plus élevées, les honoraires doivent les refléter.

La présidente de la SIA Susanne Zenker résume: «Nous abordons un tournant décisif. Plus qu’un outil pratique, cette nouvelle plateforme de calcul des prestations est la marque d’une mutation sociétale. Par sa logique, elle invite maîtres de l’ouvrage, administrations et planificateurs à se rallier à une conviction: les prestations doivent être honorées en conséquence – en toute confiance et transparence.» Cette invitation offre l’opportunité de mettre les honoraires au cœur d’une prise de conscience: une culture du bâti de qualité passe par une rémunération juste.

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