Une mai­son en bri­ques sur une ta­ble en bé­ton

Onze ans: c’est le temps écoulé entre le début du projet pour l’équipement public de la Jonction, à Genève, réalisé par le bureau Lacroix Chessex, et la visite organisée par la SIA Vaud. Portrait d’un bâtiment qui rassemble une crèche, une salle de gymnastique et une boîte de nuit: de l’enfance à l’adolescence.

Publikationsdatum
27-08-2023

Si le concours s’est déroulé en 2012, ce n’est toutefois qu’entre 2018 et 2021 que l’équipement public réalisé par les architectes de Lacroix Chessex à Genève est enfin sorti de terre. Il est le dernier né des masses puissantes esquissées par Dreier Frenzel dans le masterplan de 2010 de l’écoquartier de la Jonction, qui s’inspiraient des volumes de l’usine à gaz qui se trouvait là. Une fois le projet livré, la presse quotidienne avait reproché au lieu son aspect de forteresse1; les architectes de Lacroix Chessex assument cette lecture en couronnant leur bâtiment d’une frise de briques qui évoque les châteaux de sable.

Les enjeux de ce nouvel équipement étaient délicats. Il fallait rassembler dans un seul édifice trois programmes différents, dotés de leurs propres contraintes et logiques d’accès, tout en composant un ensemble cohérent:

  • une salle d’éducation physique pour l’école voisine;
  • une salle pluridisciplinaire pour le Service de la culture, aujourd’hui gérée par une association;
  • une «cité de l’enfance», la plus grande crèche du canton.

Poser la crèche sur les grandes salles

La répartition s’opère de manière simple: les deux grands programmes que sont la salle d’éducation physique et la salle pluridisciplinaire, qui génèrent beaucoup de flux – jusqu’à 200 personnes pour la première, 500 pour la seconde – sont placés dans une sorte de caisse structurelle semi-enterrée que les architectes appellent la «table en béton». Celle-ci permet de franchir les grandes portées requises en s’inscrivant dans l’expression des arcades et socles qui caractérisent l’écoquartier. Structurellement, cette table possède une double géométrie bien visible dans le plafond de la salle de gymnastique: le quadrillage des poutres en béton précontraint, d’une hauteur statique de 1.20 m, s’aligne dans une direction sur le boulevard Saint-Georges et, dans l’autre, sur l’implantation des bâtiments du quartier, ce qui génère un mouvement diagonal. Les faux plafonds sont affleurés à ces éléments statiques et dévoilent le subtil laçage de la structure, qui reprend tous les points porteurs des trois étages de la cité de l’enfance.

La crèche est posée sur cette table en béton, sorte de grande maison portée par une structure en métal et recouverte de briques. Dans le quartier, les bâtiments issus du concours sont tous relativement épais et intègrent une typologie de patio. Ce même dispositif est repris au dernier étage, afin d’offrir aux enfants un prolongement extérieur protégé des nuisances sonores de la ville. Les architectes ont réussi à convaincre le maître d’ouvrage de ne pas «saucissonner» ce patio en différents secteurs (grands, moyens, petits) et de privilégier plutôt une gestion par planning, afin de conserver l’unité et la générosité de l’espace.

Les percements de la cité de l’enfance sont quant à eux plus domestiques que ceux du socle. Mais, derrière leur calme apparence, ils se sont révélés complexes à réaliser. Comme les installations de climatisation sont soumises dans le canton à un régime d’autorisation exceptionnelle ou d’interdiction, architectes et mandataires ont tout particulièrement travaillé sur la ventilation naturelle. Les grands vitrages fixes sont associés à des ouvrants, devant lesquels sont placées des tôles en aluminium éloxé perforées. Le taux de perforation a été développé de concert avec les experts en acoustique et en physique du bâtiment: ni trop grand pour des raisons d’atténuation sonore, ni trop petits pour favoriser l’échange d’air en façade – dont l’effet est renforcé, au dernier étage, par le patio.

Une génération d’écart

Les architectes de Lacroix Chessex connaissent bien le programme de la crèche: ils et elles ont déjà livré en 2015 celle de La Chapelle-Les Sciers à Lancy, en 2019 celle de la Caserne de Reuilly à Paris ou encore en 2022 celle à la route de Frontenex à Genève2.

Pourtant, pendant la visite, la densité de vestiaires, chaises et tables répartis partout dans la cité de l’enfance, même dans les généreux espaces de circulation, laissent deviner la présence des 171 petits qui saturent déjà le lieu. Le taux d’occupation est phénoménal. À la rentrée, ils seront encore plus nombreux et les responsables de la crèche se demandent déjà comment répondre à cette demande.

Pour Ludovic Durand, architecte associé chez Lacroix Chessex, c’est peut-être la longueur du processus de planification et de construction qui explique pourquoi le programme du bâtiment de l’équipement public à la Jonction ne correspond déjà plus tout à fait aux besoins actuels. «Pour les standards de la petite enfance, onze ans, c’est presque une génération d’écart», explique-t-il. Mais qu’aurait-on pu faire différemment?

Notes

 

1 Christian Bernet, «Artamis, un écoquartier dans une forteresse de pierre», Tribune de Genève, 16.03.2 019

 

2 Cedric van der Poel, «Un lieu chargé d’histoire(s)», TRACÉS 8-9/2022

Équipement public au quartier de la Jonction, Genève (GE)

 

Maîtrise d’ouvrage
Ville de Genève

 

Architecture
Lacroix Chessex architectes

 

Génie civil
Ingeni

 

Planification et autorisation
2012-2014

 

Chantier
2018-2021

 

Surface de plancher
4906 m
2

 

Coûts (HT) CFC 1 à 5
25.7 mio CHF

-> Visite et entretien vidéo

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