Col­lè­ge de la Gra­cieu­se, tout est bon dans la (dé)con­s­truc­tion

Le projet lauréat des mandats d’étude parallèles pour la rénovation et l’agrandissement du collège de la Gracieuse à Morges (VD) fait la démonstration que de plus en plus de maîtres d’ouvrage s’engagent pour le réemploi. Il rappelle aussi que l’architecture est d’abord une affaire de construction (puis d’image).

Publikationsdatum
19-01-2023

Certes, la visualisation ne fait pas honneur au projet Jenga, réalisé par Joud Vergély Beaudoin Architectes, Ingeni Lausanne et AZ ingénieurs. À côté de celle de ses concurrents, la façade du lauréat fait pâle figure. Avec ses plaques ondulées ternes, le parallèle avec un hangar de zone industrielle est vite établi. Le coup de génie réside ailleurs. Et cela fait un bien fou, finalement: et si on commençait un projet par le commencement, c’est-à-dire par la manière dont il est fait, plutôt que par ce à quoi il ressemblera?

L’inventaire comme point de départ

Les participants devaient offrir une solution qui répondrait à trois objectifs: agrandir, rénover et assainir le collège. Édifié à la fin des années 1960 avec le Système CROCS (Centre de rationalisation et d’organisation des constructions scolaires), le collège est composé d’un bâtiment de douze classes secondaires/primaires, d’une école enfantine, ainsi que d’une salle de gymnastique. À ceux-ci, pour répondre à l’augmentation de la population, le programme demandait d’adjoindre une nouvelle salle de sport, ainsi que de nouvelles classes.

Le projet lauréat se distingue par sa capacité à confronter la valeur patrimoniale de l’existant à des enjeux énergétiques. «Nous voulions sortir d’une vision très binaire du patrimoine, explique Lorraine Beaudoin, pour adopter une approche plus nuancée. C’est pourquoi nous ne traitons pas les deux bâtiments des écoles de la même manière.»

Ainsi, si d’une part le projet apporte un soin tout particulier à l’existant, il promeut d’autre part un réemploi d’éléments sur site. La déconstruction de l’annexe (vestiaire et galerie existants) est exploitée comme opportunité pour lancer une stratégie, qui s’initie par une nouvelle manière de faire: le tableau des éléments réemployés. Le projet commence par l’inventaire des pièces existantes, que les architectes tâcheront d’exploiter à 100 %: l’esthétique découle de cela.

La stratégie peut être définie par trois actions (voir axonométrie ci-contre):

  • réemployer les profilés en acier porteurs de la galerie et des vestiaires pour surélever l’école enfantine et constituer un nouveau préau couvert;
  • réutiliser les dalles en béton préfabriquées issues de la toiture des vestiaires et de la galerie pour former les nouveaux planchers de l’extension;
  • exploiter les terres d’excavation pour fabriquer les murs intérieurs en béton de terre.

La troisième manœuvre permettrait de réutiliser plus ou moins 80 % des terres, en fabriquant un mélange – composé de ciment, de chaux et de 45 % de terre brute – dont la résistance à la compression, une fois mis en œuvre, atteindrait 10 MPa.

S’il est vrai que le projet Jenga n’est pas le seul à avoir émis l’hypothèse d’employer les éléments déconstruits des anciens bâtiments – L’écolien proposait également de réutiliser les profils métalliques pour les cages d’ascenseurs –, il est néanmoins, et de loin, le plus abouti.

Il y a quelques mois, nous étions en peine de trouver des cas d’études pour le dossier Réemploi: mode d’emploi (TRACÉS 11/2022). Aujourd’hui, comme le montrait aussi le concours de l’école de Verdeaux à Renens1 que nous présentions le mois dernier, il semblerait que le feu a été mis aux poudres.

L’exemplarité avant l’esthétique: vraiment?

Pour les façades existantes – et comme la plupart des autres concurrents –, le projet lauréat propose une isolation par l’intérieur et suggère une stratégie d’assainissement des fenêtres qui permet de conserver les cadres en aluminium. Pour l’école enfantine, le projet poursuit le système CROCS, confirmant ainsi qu’un tel système, ouvert et préfabriqué, se prête à une évolution. La nouvelle volumétrie du bâtiment permet un meilleur facteur forme. Dans les nouvelles interventions, quand il n’est pas possible de réutiliser la structure existante, Jenga suggère une structure bois.

Il faut saluer le courage d’un maître d’ouvrage qui valorise le réemploi comme une nouvelle manière de concilier architecture et durabilité. Néanmoins, l’esthétique encore un peu fruste du projet lauréat mérite d’être affinée. On notera ainsi l’invitation subtile du jury, qui qualifie d’«élégante» (L’écolien), voire même de «très élégante» (Le quatrième élément), les façades des projets concurrents, et s’abstient de tout commentaire sur celle de Jenga, reconnaissant que «le projet présenté dans le cadre des MEP se limite à évoquer un concept plus que des certitudes esthétiques. Le maître d’ouvrage souhaite qu’en plus des matériaux ressourcés sur place, la filière locale du réemploi soit activée pour compléter la démarche.»

Bref, on ne saurait être plus clair concernant le champ que les architectes et ingénieur·es doivent désormais explorer.

Rénovation et agrandissement du collège de la Gracieuse, Morges (VD)

 

Maître d’ouvrage
Ville de Morges

 

Procédure
Mandats d’étude parallèles à deux degrés en procédure ouverte

 

Projets primés
Jenga (projet lauréat), Joud Vergély Beaudoin Architectes, Ingeni Lausanne, AZ Ingénieurs

 

L’écolien, ON Architecture, Küng et associés, Energyneering

 

Le Quatrième Élément, Esposito + Javet, ab ingénieurs, Weinmann-Energies

 

Phill Murray, CLR, Altorfer, Bon, EDMS, Energestion

Note

 

1 Marc Frochaux, «Renouveau à Verdeaux», TRACÉS 12/2022.

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