Pha­re ou ca­mé­lé­on?

Construire en altitude dans le cadre majestueux et protégé du glacier d’Aletsch pose inévitablement la question de l’intégration paysagère. Les participants au concours pour la reconstruction du bivouac de Mittelaletsch ont exploré diverses approches: alors que certains ont décidé de faire corps avec la montagne, d’autres ont cherché à s’en extraire.

Publikationsdatum
14-06-2022

Durant l’hiver 2019, le bivouac de Mittelaletsch, situé sur la rive gauche du glacier éponyme à une altitude de 3013 m, était détruit par une avalanche. Fort heureusement, personne n’occupait alors le rustique hexagone en madriers datant de 1978 et disposant de 13 places. À la suite de différentes analyses de risque, la section des Diablerets du Club alpin suisse (CAS) lançait à l’automne 2021 un concours d’architecture pour la reconstruction du bivouac, sur un emplacement à proximité immédiate de l’ancien, à 3200 m d’altitude et avec une capacité légèrement supérieure (20 places).

Concevoir un édifice avec une statique suffisante pour résister à des avalanches et des chutes de pierres était bien évidemment l’un des enjeux majeurs du concours. Mais construire en haute montagne, c’est aussi réfléchir à l’intégration paysagère et esthétique de l’intervention ; d’autant plus face à un cadre aussi grandiose – et protégé par l’Inventaire fédéral des paysages, sites et monuments naturels (IFP) 1706 Berner Hochalpen und Aletsch-Bietschhorn-Gebiet et le Patrimoine mondial de l’UNESCO Alpes Suisse Jungfrau-Aletsch. Enfin, l’aspect fonctionnel, la rationalité et l’efficacité de l’organisation des espaces, l’économie de moyens et la durabilité des principes constructifs étaient également des critères clefs pour déterminer le projet lauréat.

Cacher ou montrer

Ce qui frappe à la découverte des différentes propositions, c’est la diversité des réponses apportées à la question de l’intégration paysagère: le bivouac doit-il se faire mimétique et chercher à se (con)fondre dans le paysage, ou au contraire affirmer sa dimension anthropique (voire entropique) et assumer son rôle de phare les jours de gros temps? Cette question a suscité des propositions très diverses. Alors que Peaky Bear Spirit s’enfonce dans le sol, Sous les rochers, Brise glace et trigon 2.0 font plus ou moins corps avec la topographie; portale(tsch) et Cube magique, eux, s’en affranchissent totalement. Des choix encore renforcés ou atténués par la matérialité des revêtements extérieurs: enveloppe inox ou carapace de béton, en passant par l’aluminium et l’acier Corten. À cet égard, Sous les rochers (3e prix) frappe par sa radicalité. En alliant la minéralité de la haute montagne dans sa carapace de béton – réalisée au moyen de granulats récoltés sur place – et une forme organique évoquant Shai-Hulud – le titanesque ver des sables de Dune –, le projet pousse le mimétisme à ses limites en construisant littéralement un morceau de montagne. Mais le jury a relevé, à juste titre, que ce parti pris pourrait le rendre invisible aux alpinistes, et conduire à un enfouissement du bivouac par la neige. À l’extrême inverse, portale(tsch) (2e prix) et Cube magique s’affirment par l’éclat d’un revêtement inox (que l’on retrouve dans d’autres projets de construction, rénovation/agrandissement de cabanes récents, comme à Tracuit, Chanrion ou encore Rambert) et en se détachant du sol, dévoilant les béquilles de leurs fondations ponctuelles. Le projet lauréat trigon 2.0 réalise quant à lui une synthèse intéressante: une forme géométrique à l’origine explicitement humaine, mais dont la base épouse harmonieusement la topographie et la minéralité des teintes d’un revêtement en acier Corten.

Pour ce qui est de la protection contre les avalanches, les projets font la part belle à trois concepts, ou à leur combinaison: rentrer la tête, sauter par dessus l’obstacle ou fendre le flux. Les quatre projets se développant le long de la topographique jouent de leur morphologie ramassée pour offrir le moins de surface possible à l’action d’une coulée de neige. Brise glace et trigon 2.0 renforcent cette stratégie au moyen de l’étrave de leur raide toiture à deux pans. portale(tsch) fait le pari de la combinaison d’une étrave judicieusement orientée en déformant le classique plan polygonal des cabanes réalisées par Jakob Eschenmoser et d’une structure sur béquilles lui permettant de s’élever au-­dessus de la coulée pour, ici aussi, exposer une surface minimale – une stratégie également suivie par Cube magique, moyennant une rotation de 45° de son plan. Consciente que les avalanches sont de nature et de taille imprévisibles, l’équipe de portale(tsch) a rajouté une sommaire digue de protection ; un choix qui a déplu au jury en raison de l’impact des travaux sur le paysage. On ne peut qu’apprécier l’attention portée au site, mais un tel ajout améliorerait sans doute la durabilité du bivouac tant est longue la liste de cabanes endommagées ou oblitérées par des avalanches [entre autres: Panossière (1988), Anen (2007), Mittelaletsch (2019), Trift (2021)].

La logique particulière du bivouac

Au niveau des espaces et de leur organisation, quatre des six projets se développent sur plusieurs niveaux, alors que deux seulement se contentent d’un unique niveau, comme dans la quasi totalité des bivouacs. Cela est peut-être dû au nombre d’occupants, légèrement supérieur à celui des bivouacs ordinaires, qui s’explique par une fréquentation élevée en raison du sommet majeur qu’il dessert, l’Aletschorn, et qui en fait presque une petite cabane. Les propositions développées par Sous les rochers et Brise glace sont spatialement très intéressantes. Le premier s’adapte à la morphologie du terrain au moyen d’une série de brefs escaliers ; le décaissement de la grande ouverture de la partie inférieure accentue encore la plongée vers le paysage. Le second a quant à lui été conçu comme un petit théâtre, où les couchettes seraient les sièges et le paysage la scène. Ce sont également celles qui offrent le plus d’intimité au niveau du couchage – peut-être trop, compte tenu de la nature collective de l’alpinisme. Cette intimité, obtenue par le cloisonnement des individus, nuit également à la souplesse d’utilisation attendue d’une telle infrastructure qui, par le hasard du beau ou du mauvais temps, pourrait recevoir un nombre de visiteurs bien supérieur à celui des couchettes.

Malgré la dimension modeste du bivouac, le concours a abordé des problématiques qui dépassent l’architecture – le paysage, la sobriété énergétique, le logement d’urgence, les spécificités de la construction en milieu alpin, avec pour corolaire une multitude de réflexions et de réponses aussi variées que passionnantes. Le choix du jury pour trigon 2.0 récompense une synthèse élégante entre la protection contre les dangers naturels et une simplicité spatiale et constructive, basée sur une géométrie à la fois sobre, marquante et, somme toute, évidente.

Reconstruction du bivouac de Mittelaletsch CAS, Bettmeralp (VS)

 

Maître d’ouvrage
Section des Diablerets du Club alpin suisse (CAS)

 

Procédure
Concours à un degré en procédure sélective

 

Projet lauréat
trigon 2.0, Savioz Fabrizzi Architectes, Kälin & Associés Ing. civils

 

Projets primés
portale(tsch) (2e prix), AFF Architectes, Schnetzer Puskas Ing. civils ; Sous les rochers (3e prix), Bureau / Daniel Zamarbide, Ingeni Ing. civils

 

Autres projets
Brise glace, LVPH Architectes, Monod Piguet Ing. civils; Cube magique, Baserga Mozetti Architectes, Pedrazzini Ing. civils;
Peaky Bear Spirit, Meier et Associés Architectes, Kurmann Cretton Ing. civils

Rapport du jury avec planches des projets sur competitions.espazium.ch

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