Pierre mas­si­ve à do­mic­i­le

Dans un contexte légal particulièrement contraignant, l’opération en cours d’achèvement à Plan-les-Ouates, réalisée sur la base d’un concours gagné par le consortium Perraudin Archiplein en 2016, ne manque pas de créer la surprise. Première réalisation helvétique en pierre massive dédiée à de l’habitation collective depuis des décennies, les deux immeubles semblent tenir du mirage dans le contexte actuel.

Publikationsdatum
17-09-2021
Frédéric Frank
Professeur de théorie de l’architecture et de la ville à la Haute école d'ingénierie et d'architecture de Fribourg

Le canton de Genève est connu pour l’application particulièrement exigeante de sa réglementation en matière de réalisation d’ensemble d’habitation collective. Celle-ci s’est assouplie depuis une dizaine d’années mais certains points restent plus complexes à appréhender que dans d’autres cantons. En effet, dans les périmètres colloqués en zone de développement, la mixité entre types d’appartements est obligatoire et la surface par pièces des appartements est fixée, celle-ci étant globalement plus basse que dans d’autres régions de Suisse, ce qui a un impact typologique, certains plans d’appartement n’étant pas réalisables alors qu’ils le sont à Bâle ou à Zurich. Sur la base du nombre de pièces habitables cumulées dans la totalité de l’immeuble, un budget cadre est attribué: il est identique quelle que soit la construction et il est impossible d’y déroger.

C’est dans ce contexte légal particulièrement contraignant que voient le jour les deux immeubles en pierre massive de Plan-les-Ouates. Sur un sous-sol en béton se développent 4 à 8 niveaux hors-sol, dont le système porteur vertical est intégralement réalisé en pierre massive1, les dalles étant quant à elles réalisées en béton. Trois anneaux concentriques structurent le plan d’étage-type: l’anneau extérieur et l’anneau intermédiaire, qui sont porteurs, et l’anneau intérieur, qui est autoporteur. L’utilisation de pierres en provenance de trois carrières de calcaire différentes s’effectuant en fonction de leurs propriétés mécaniques et de leur résistance aux éléments naturels.

Lire également Vo­lumes de pierre

En dehors de telles contraintes, un tel projet créerait déjà l’étonnement; il parvient à créer la surprise lorsque sont prises en compte les contraintes particulièrement importantes ayant pesé sur le projet qui a pu voir le jour grâce à l’investissement des architectes et de leur direction de travaux, le bureau Architech, ainsi que du maître de l’ouvrage, qui n’est autre que la Commune de Plan-les-Ouates. Parmi ces contraintes, il s’agit de relever trois éléments qui ont dû être dépassés par les architectes: le plan financier établi sur une durée de vie de la façade de 15 ans, à l’instar d’une isolation périphérique; le rapport défavorable entre surface brute de planchers et surface nette dû à l’épaisseur des murs porteurs en pierre massive; le surcoût engendré par celle-ci qui a dû être compensé par d’autres éléments, le budget total étant identique aux constructions soumises à la même réglementation, qu’elles soient construites en béton, en briques ou en bois.

Le travail a donc consisté à intégrer ces contraintes2 pour ensuite se concentrer sur la nature encore expérimentale3 de la construction en pierre massive pour l’habitation collective dans le contexte helvétique contemporain. Différents aspects mériteront d’être interrogés dans le futur proche, à l’instar de l’expression architecturale du bâtiment – dont l’achèvement complet à l’automne est attendu pour en mesurer les effets et la relation établie avec «les apports valables de l’histoire»4 –, mais aussi dans un futur plus lointain, lorsque l’expérience produira ses premiers résultats: appropriation, usure et vieillissement dus aux habitants, à l’intérieur des immeubles, patine due aux intempéries, à l’extérieur de ceux-ci.

Lire également: L'aven­ture de la cons­truc­tion en pierre mas­sive

À ce stade de la réalisation, ce qui peut d’ores et déjà être évalué c’est le caractère exceptionnel que la matérialité des trois anneaux en pierre massive confère à l’espace domestique qui échappe complètement à la critique acerbe – et justifiée – sur la standardisation des espaces intérieurs de l’habitation collective. L’épaisseur totale des murs de façade (de 65 cm) renvoie à la densité murale définie dans les recherches de Nicolas Bassand6. La pierre massive apparaît dans les appartements par les embrasures de fenêtres et dans les loggias. À l’intérieur, la cage d’escalier frappe par sa façade intérieure, qui propose une continuité de matériaux et de teintes – blond pâle – avec l’extérieur. Mais c’est probablement l’anneau intermédiaire, et certains murs mitoyens, qui qualifient le plus l’espace domestique. Son impact est premièrement typologique, car il marque une césure spatiale forte entre couche centrale de l’appartement – accueillant les surfaces distributives et les services – et couche périphérique, accueillant chambres et espaces de vie. Dès lors, plusieurs pièces bénéficient d’un ou de plusieurs murs en pierre massive apparente, aussi bien dans les séjours et les chambres que dans les salles d’eau. On en est d’autant plus interpellé, et réjoui, que la réalisation accueille, conformément à la législation genevoise, aussi bien des appartements en propriété par étage et en loyer libre que des logements sociaux.

Très loin des mood-boards proposés de plus en plus fréquemment par les acteurs du monde immobilier pour «différencier les appartements de la concurrence», les appartements dessinés par l’Atelier Archiplein et Perraudin architectes proposent de qualifier l’espace domestique par la structure porteuse et sa matière brute, telle qu’elle est, avec ses joints irréguliers, ses variations et ses traces d’outillage: un véritable tour de force.

Notes

1 La cage d’ascenseur est réalisée en béton mais elle est structurellement déconnectée du système porteur.

 

2 Par exemple, un des abaissements de coûts a été réalisé par l’absence de finitions apportées à certains murs porteurs, la surface du matériau brut correspondant à la surface finie.

 

3 L’expérimentation se poursuit, l’Atelier Archiplein ayant gagné un concours à La Coulouvrenière, à Genève, pour la Fondation Nicolas Bogueret en 2018, où leur proposition lauréate est en pierre massive.

 

4 Selon entretien avec Francis Jaquier, Atelier Archiplein, 28 mai 2021.

 

5 Il s’agissait d’un des thèmes développés dans l’exposition Svizzera 240 : House Tour, au Pavillon suisse de la Biennale de Venise en 2018, par Alessandro Bosshard, Li Tavor, Matthew van der Ploeg et Ani Vihervaara.

 

6 Nicolas Bassand, Densité et logement collectif innovations architecturales et urbaines dans la Suisse contemporaine, Thèse EPFL n.4276, Lausanne, 2009.

Bâtiments de logement dans le quartier des Sciers à Plan-Les-Ouates (GE)

 

Concours: 2016

 

Construction: 2019-2021

 

Programme: 46 appartements en location (ZDLOC, HM, LUP)

 

Maître d’ouvrage: Commune de Plan-les-Ouates

 

Architecture: Perraudin Archiplein consortium

 

Direction des travaux: Architech

 

Génie civil: Perreten et Milleret

 

Maçonnerie: Marti construction

 

Ressource: Carrières de Provence et France Pierre

 

Coût HT CFC2: CHF 23 mio

Tags
Magazine

Verwandte Beiträge