«Le con­cours est un champ d’expé­ri­men­ta­ti­on»

Afin d'éviter les "copies conformes", le jeune bureau de Lugano cappelletti sestito architetti souhaite une évolution des procédures des concours vers une plus grande liberté de propositions. 

Publikationsdatum
01-07-2021

espazium: Comment décririez-vous la situation des concours d’architecture en Suisse italienne?
Géraldine Buffin Cappelletti, Fabio Sestito et Efrem Cappelletti: Ces cinq dernières années, le Tessin a connu une nette augmentation des procédures liées aux concours d’architecture. Il faut se féliciter de cette tendance: le mérite revient aux associations catégorielles qui se sont investies dans la promotion de la culture du concours, mais aussi aux professionnels de la formation continue, spécialisés dans la coordination de ce type de procédures. La mise en place de l’«avis de concours de base» représente aussi un nouvel élément de continuité: capable d’uniformiser et de faciliter la création et la participation aux concours, l’outil est disponible depuis fin 2020.

Toutefois, l’évolution relevée au Tessin pour ce secteur reste très éloignée de ce qui se passe dans le reste de la Suisse. La raison de ce retard – une constante dans notre canton – est peut-être liée au système: le maître d’ouvrage doit redevenir l’élément central de tout le processus. Parfois malheureusement, la construction d’une école n’est pas perçue comme une œuvre d’importance publique fondamentale pour la formation des générations suivantes, mais plutôt comme un gaspillage de temps et de ressources. Ce type de comportement est, selon nous, plus manifeste dans les procédures communales, plus fragiles, car dictées par des agendas politiques et électoraux, mais aussi dépourvues d’expérience directe et concrète dans la réalisation d’un bâtiment public. Dans ces cas, une figure professionnelle peut être utile pour épauler le maître d’ouvrage, une fonction nouvelle au Tessin, d’une importance particulière dans l’accompagnement à la réalisation d’édifices publics.

Pensez-vous que les concours accordent suffisamment de place aux jeunes architectes?
Le nombre de concours «en procédure ouverte» est assez élevé en Suisse, ce qui laisse suffisamment de marge aux jeunes architectes pour rivaliser à armes égales avec des bureaux plus structurés et plus expérimentés. L’obtention du premier rang et la réalisation de l’ouvrage (qui n’est en rien acquise) coïncident souvent, pour un nouveau cabinet d’architectes, au démarrage de son activité commerciale. Notre propre bureau est un exemple concret illustrant le fonctionnement d’une procédure aussi bien méritocratique que démocratique.

Il est sans conteste possible d’améliorer les procédures sélectives qui, même si elles sont assorties de «modalités d’aide aux jeunes», exigent des références disproportionnées par rapport à l’objet mis au concours. Cette modalité met en difficulté aussi les bureaux récemment créés.

La capacité de concevoir tout type de bâtiments sans en avoir forcément eu l’expérience directe fait partie des compétences de chaque architecte: citons à titre d’exemple le cas du Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou. En juillet 1971, un jury international présidé par Jean Prouvé décide de retenir, parmi les 681 dossiers présentés, le projet des architectes Renzo Piano, Gianfranco Franchini et Richard Rogers. Renzo Piano a 34 ans, Richard Rogers 38. Nous renvoyons à la responsabilité – importante – du coordinateur de concours, qui non seulement devrait avoir l’expérience et la maîtrise en tant que compétiteur, mais aussi posséder la détermination, la sensibilité et la compétence nécessaires pour faire face au maître d’ouvrage sur le choix du type de procédure. La formation de cette figure professionnelle, indépendante et spécialisée, est la clé qui permettra d’intégrer les propositions de jeunes architectes comme de bureaux sans références d’ouvrages bâtis.

Comment choisissez-vous les concours auxquels vous décidez de participer? Avez-vous déjà pris part à des concours en dehors du Tessin ou de la Suisse?
Lorsque nous choisissons un concours, nos priorités sont le thème, le lieu et la diversité du jury. Même si nous abordons différentes typologies thématiques, nous nous intéressons particulièrement à la construction d’établissements scolaires et à leur évolution programmatique. En développement constant et rapide, le secteur pédagogique exige des réponses innovantes et flexibles, que nous cherchons à intégrer à chaque projet.

Nous avons participé à un concours en Suisse romande qui, par sa complexité et l’étendue de son programme, est bien loin de la réalité tessinoise. Cette typologie thématique très urbaine nous a permis de nous colleter à une échelle et un contexte différents.

Le lieu du concours est tout aussi important pour les besoins de notre décision. Souvent, un site et ses spécificités sont générateurs d’un projet entier, qui répond à une situation urbanistique donnée. Au Tessin, nous nous trouvons fréquemment face à un territoire fragmenté et cherchons, avec chaque projet, à créer la pièce manquante. La composition particulière d’un jury, fondée sur la diversité et l’expérience des individus, est une motivation intellectuelle de plus pour participer au concours.

Pensez-vous que le concours stimule l’expérimentation?
Le concours est un champ d’expérimentation. Étant donné la dépense considérable de ressources et d’énergie nécessaires pour aboutir à une proposition qui satisfasse les exigences du maître d’ouvrage, la participation à un concours doit être une occasion de recherche et de développement. Les concepts, les convictions et les principes d’architecture personnels s’y expriment librement et peuvent se confronter à d’autres types d’approches et de visions.

Un aspect particulièrement motivant est dicté par le renversement des rôles. En effet, les exigences de l’entité organisatrice sont synthétisées en un programme, ce qui amène l’architecte à les décoder et à les interpréter. Un jeu s’instaure alors entre les différentes parties, où l’architecte revêt le rôle de maître d’ouvrage, de concepteur et d’utilisateur. Ces différentes casquettes amènent, selon nous, à une plus grande abstraction du thème architectural et à une vision inédite; la conception s’élève et devient capable de transcender les aspects de forme ou de composition pour plus de clarté conceptuelle.

Faut-il, à votre avis, transformer ou modifier les procédures de concours? Si oui, comment?
Sur le plan formel, l’adaptation du système de concours à la loi sur les marchés publics a facilité la procédure pour l’entité organisatrice, mais aussi généré de nouvelles demandes, qui ne sont pas toujours en phase avec un concours d’idées. Cette duplicité de l’approche mérite que l’on réfléchisse au rapport entre marché public et idée qui doit être, selon nous, débattu pour aboutir à des solutions viables et partagées.

Un autre point capital à notre sens concerne l’octroi d’une liberté plus grande aux concurrents. Ce n’est possible que si l’organisateur du concours a une vision claire et perspicace dès les premières phases, celles qui incluent la définition du programme et l’étude de faisabilité. Ces deux instruments permettent de fixer les jalons nécessaires à la mise au concours de l’objet, mais aussi les limites entre lesquelles évoluer. Les avis de concours trop rigides produisent des copies conformes. À l’inverse, une trop grande liberté d’interprétation génère des projets impossibles à comparer. Il s’agit par conséquent de calibrer ce rapport, si l’on veut obtenir des interprétations diversifiées du même thème.

On peut également approfondir l’argument lié au type de procédure. Dans tout l’éventail des possibilités, nous pensons que la procédure ouverte à deux degrés est la plus intéressante: elle permet de limiter les demandes de matériel à remettre lors de la première phase. Les bureaux sélectionnés pour la seconde phase, rétribués, auront l’occasion de développer ensuite le projet en s’appuyant sur les indications du jury. Il est possible d’améliorer le type et la quantité de matériel requis lors de la première phase qui, selon nous, devrait s’en tenir à un niveau plus urbanistique. La maquette à l’échelle 1:500 est pour nous fondamentale, du moins dans la majeure partie des concours. C’est un instrument capable de synthétiser le projet et de faciliter la lecture et la comparaison, même pour les non professionnels. Avec les pièces d’«urbanisme», nous estimons néanmoins indispensable de fournir un ou plusieurs documents capables d'exposer le concept et les caractéristiques principales du projet, et ce quelle que soit la technique de représentation.

Pour conclure, nous constatons que bien souvent, il n’y a pas de publication digne de ce nom des résultats de la procédure de concours. Parallèlement à la mise en ligne des résultats, nous pensons qu’une publication de type physique (livret) réunissant toutes les propositions présentées est nécessaire. En plus d’être une conclusion appropriée du processus complet, elle constituera aussi un outil utile à la recherche

Fondé en 2018 par Géraldine Buffin Cappelletti (1981), Fabio Sestito (1980) et Efrem Cappelletti (1978), cappelletti sestito architetti a son siège à Lugano-Viganello.

Le bureau a participé à neuf concours et s’est distingué dans sept d’entre eux:

 

Concours d’architecture à deux degrés – Nouveaux logements pour personnes âgées autonomes, Novazzano, 2018, 2e rang

 

Concours d’architecture en procédure ouverte, à un degré – Centre multifonctionnel «Spazio Bellavista», Manno, 2019, 7e rang

 

Concours de projets pour groupe mandataire interdisciplinaire en procédure ouverte, à un degré – Nouvelle école enfantine et cantine, Cadro, en collaboration avec Charles de Ry, 2019, 4e rang

 

Concours d’architecture en procédure ouverte, à un degré – Extension de l’école enfantine Saleggi, Locarno, 2019, 1er rang

 

Concours d’architecture en procédure ouverte, à un degré – Nouvelles écoles élémentaires et enfantines de Vernate et de Neggio, avec Charles de Ry, 2020, 1er rang

 

Concours d’architecture en procédure ouverte, à deux degrés – Nouvelle salle polyvalente et extension du centre scolaire de Canobbio, avec De Molfetta & Strode, 2020, 4e rang

 

Concours d’architecture sur invitation, à un degré – Nouveau parking couvert à Arasio, Collina d’Oro, 2020, 3e rang

Cette interview fait partie d’une série regroupée dans une série «Concours et jeunes bureau», développé simultanément en italien et en allemand.

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