Lett­re ou­ver­te à Guil­laume Ba­raz­zo­ne, Mai­re de Genè­ve, ​à pro­pos du con­cours d’idées pour l’amé­nage­ment de la ra­de

Tout en soutenant le concours d’idées pour le réaménagement de la rade lancé par la Ville de Genève, une vingtaine d’historiens de l’art et d’experts ont adressé une lettre ouverte au Maire de Genève pour lui faire part de leurs inquiétudes quant à l’image négative «portée par les organisateurs du concours à l’activité nautique et portuaire» et à l’absence dans le jury d’historiens de l’art ou d’architectes connaisseurs de Genève. Avec l’accord de ses auteurs, Tracés publie l’intégralité de cette missive.

Publikationsdatum
14-02-2017
Revision
20-02-2017

La Ville de Genève a lancé un concours d’idées international pour l’aménagement de la rade en y associant l’Etat de Genève. « Ce concours a pour objectif de faire émerger une nouvelle vision de la rade et de ses quais, de susciter un débat public et d’aider la Ville de Genève à développer un plan directeur pour valoriser ce site emblématique et améliorer l’expérience des usagers. » En tant que groupement informel de spécialistes et d’historien-ne-s de l’architecture genevoise, les signataires de la présente lettre félicitent la Ville d’avoir organisé finalement ce concours, tout en regrettant qu’il arrive très tard, alors que le projet de plage et de port public des Eaux-Vives a déjà été entériné.

Les signataires tiennent toutefois à exprimer leur inquiétude quant à deux aspects de ce concours.

Le premier concerne le regard a priori dépréciatif porté par les organisateurs du concours sur l’activité nautique et portuaire de la rade, qui ont partie liée tant d’un point de vue historique que pratique. Lorsque les organisateurs évoquent que « la rade ne permet pas de répondre aux nouveaux besoins et usages de la population [... et qu’] un enchevêtrement d’activités (chantiers lacustres, vieux bateaux-ventouses, etc.) prive les habitants et les touristes d’un panorama extraordinaire », ils estiment que la rade sous sa forme actuelle demeure le lieu privilégié de promenade tant des Genevois que des touristes. Or, vider la rade de tous ses bateaux équivaudrait à la désaffectation de l’usage qui lui convient par nature. Et c’est préjuger du sentiment des innombrables usagers de ce site que de dépeindre une insatisfaction, surtout présente, à notre avis, dans l’esprit des organisateurs du concours.

Les signataires craignent que le Maire de Genève ne veuille suivre le mouvement général de certaines villes côtières comme Lisbonne, Copenhague, Oslo, etc., où de nouveaux quartiers dotés de nouveaux aménagements riverains et de baignade urbaine ont pris place récemment. Mais c’est oublier qu’en ces circonstances tout était à créer et qu’il n’y avait rien à détruire. Genève a au contraire la chance de posséder encore intact dans ses grandes lignes un paysage culturel au sens où l’entend l’UNESCO, de qualité incomparable.

D’autre part, les signataires déplorent qu’aucun-e historien-ne de l’art ou de l’architecture connaisseur-e de Genève ne figure dans le jury de ce concours, auquel prennent part les représentants de l’urbanisme de la Ville de Genève et l’architecte cantonal. Leurs connaissances et leur expertise sont pourtant indispensables pour renseigner sur l’histoire de notre rade que le concours souhaite valoriser.

Comme les termes du concours le relèvent, la rade est un – pour ne pas dire le site emblématique de Genève. Ses quais, ses jetées, son jet d’eau, ainsi que le pont du Mont-Blanc et les parcs riverains constituent les éléments signalétiques de l’identité séculaire de la Ville du côté du lac. L’iconographie touristique devenue légendaire s’est construite autour du plan d’eau en privilégiant les vues de la rive droite qui embrassent le panorama des Alpes et du Mont-Blanc. Combien de gravures, de cartes postales et d’affiches ne redisent-elles pas la majesté de ce paysage exceptionnel!

Genève a la chance d’être dotée d’un dispositif de rade qui s’est construit progressivement et logiquement, d’aval en amont dès les années 1820 et sous la direction des ingénieurs cantonaux successifs. Le projet intra muros de Guillaume-Henri Dufour a été poursuivi par le premier dessin hors les murs de Leopold Blotnitzki (1854), contemporain de la ceinture fazyste, lequel s’est prolongé au début du XXe siècle avec l’extension des quais jusqu’au sortir de la ville. La rade forme, par définition, un bassin à l’abri des jetées pour l’arrimage et l’évolution des bateaux. Les double quais – marchands et portuaires au fil de l’eau, promenades en terrasse au niveau routier, avec leurs plates-bandes de pelouses et de fleurs, leur allée de platanes, leurs garde-corps, leurs lampadaires et leurs bancs – résultent encore de ces différentes étapes de construction et des propositions du lauréat du concours, Joseph Marshall, organisé pour l’Exposition nationale de 1896. Cette histoire est très bien documentée et a fait l’objet d’études approfondies.

La rade de Genève, façonnée par la main de l’homme, est protégée par plusieurs mesures, cantonales et fédérales, au titre de paysage culturel d’exception. Elle figure à l’inventaire fédéral des sites construits d’importance nationale à protéger en Suisse (ISOS), elle est préservée par un plan de site cantonal adopté en décembre 1978. Ce dernier insiste autant sur les bâtiments formant son écrin construit que sur ses dispositifs d’aménagement urbain jusqu’aux illuminations. Il relève « le sentiment d’unité exceptionnel où l’architecture et le plan d’eau se trouvent en parfaite convergence ».

Nous demandons donc à M. Guillaume Barazzone ainsi qu’au président du jury du concours, M. Patrick Devanthéry, d’être extrêmement attentifs aux qualités paysagères et bâties de la rade de Genève et les prions d’inclure dans le jury au moins un-e représentant-e local-e de notre profession, dont les connaissances apparaissent indispensables.


Signataires de la lettre

Bjorn Arvidsson, Quentin Béran, Armand Brulhart, Isabelle Brunier, Babina Chaillot-Calame, Lola Cholakian Lombard, Celtia Concha, Erica Deuber Ziegler, Angela Durruthy Colas Bedat, Leïla el-Wakil, Suzanne Kathari, Cecilia Maurice-de Silva, Pauline Nerfin, Frédéric Python, Natalie Rilliet, Habib Sayah, Marikit Taylor, Catherine Theiller, Pierre Vaisse.

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