Epu­rer une for­me bru­te

Le plus grand pont en arc de Suisse entrera en service durant l’été 2017. Entre efficacité statique, considérations esthétiques et intégration de l’ouvrage dans la topographie qu’il franchit, ses concepteurs donnent un aperçu de leur travail d’optimisation.

Publikationsdatum
11-08-2016
Revision
16-08-2016

Situées dans le canton de St-Gall, les gorges de la Tamina séparent les villages de Pfäfers et Valens sur une longueur de plusieurs kilomètres. De part et d’autre de la vallée, deux routes partant de Bad Ragaz prennent de l’altitude au fil de nombreux lacets s’enroulant autour d’à-pics boisés. La route de Valens, sur la rive gauche, est en mauvais état : en raison de risques géologiques liés à des zones actives de glissements de terrain qu’elle traverse, elle ne respecte plus les exigences de sécurité actuelles. Les études menées par les communes de Pfäfers et de Valens ont abouti à la conclusion qu’un franchissement de la vallée de grande portée et en amont offrirait une alternative plus sûre et plus économique qu’une remise en état périodique de la route. A cette fin, le canton de St-Gall a lancé en 2007 un concours de projets.

Avec son arc asymétrique au-dessus des gorges de la Tamina, le projet lauréat s’inscrit dans son contexte en respectant un paysage sensible. La conception du pont de la Tamina a débuté en 2008 avec l’élaboration de l’avant-projet. En 2013, les dossiers de soumission ont été ficelés en collaboration avec le bureau d’ingénieurs dsp Ingenieure & Planer. Après adjudication des travaux au consortium Taminabrücke, le chantier, qui se terminera fin 2016, a pu être ouvert.

Système porteur

Le système porteur de l’ouvrage se compose pour l’essentiel de l’arc et d’un tablier monobloc assemblé en poutre continue sur les piliers.
La longueur du tablier est de 417 m. En tenant compte des ponts d’accès entre les piliers de rive et les culées de tablier, la longueur totale de l’ouvrage est de 472.60 m. La route principale qui le franchit possède une largeur de chaussée de 9.50 m. Les bielles d’arc et les piliers de rive sont disposés de manière à ce que les travées du tablier varient de 45 m à 60 m. A la clé de voûte, le tablier et l’arc forment une section unique sur environ 57 m.
Grâce au généreux arc asymétrique, les naisssances de l’arc ont pu être placées juste en amont des flancs des falaises dont le sommet se situe à des hauteurs différentes de part et d’autre des gorges. A ces endroits, les roches non altérées se prêtent en outre parfaitement à la reprise des forces de la structure en arc. La réalisation des massifs de fondation a été identifiée comme un défi particulier dès les phases d’avant-projet, si bien que le tracé de l’ouvrage a été légèrement adapté et que les gradients côté Valens ont été modifiés de façon à fonder l’arc sur une zone moins abrupte. Des carottages d’essai, ensuite convertis en points de mesure munis d’inclinomètres, ont été effectués pour détecter d’éventuels glissements, mais l’on n’a observé aucun signe de mouvement récent.

Equilibre optimal entre rigidité et poids

D’une portée de 259.36 m, l’arc en béton armé est fondé superficiellement sur les massifs de fondation, en béton armé eux-aussi, encastrés dans le terrain. L’encastrement statique de l’arc lui confère sa hauteur de section maximale à cet endroit, à raison de 4.00 m côté Pfäfers et de 3.20 m côté Valens, tandis qu’il s’amincit ensuite jusqu’à 2.00 m à la clé de voûte. En largeur, l’arc varie de 9.00 m, respectivement 7.00 m, à 5.00 m entre les naissances et la clé. Près des naissances, sa section est caissonnée pour alléger son poids. Près de la clé, vu la faible hauteur d’ouvrage, une section pleine a été préférée. L’épaisseur des semelles supérieures et inférieures des sections creuses est au maximum de 1.00 m et elle diminue continûment jusqu’à 0.50 m à la clé. La largeur constante des âmes (0.90 m) est dictée par les blocs d’ancrage des haubans d’appui lors des états d’avancement en encorbellement.

Piliers radiaux et cadre d’extrémité élancé

Afin de diminuer la portée des ponts d’accès, les piliers de rive ne sont pas verticaux mais perpendiculaires à l’axe de l’arc. Leur inclinaison s’apparente à celle des flancs de vallée, favorisant ainsi l’insertion de l’ouvrage dans le paysage. Les piliers de rive et le tablier courbe forment un cadre rigide à la flexion permettant une réalisation plus économique des travées de rive. Vus en coupe, les piliers de rive sont munis d’un fruit en direction des naissances s’élargissant de 5.00 à 5.96 m du côté Valens et de 5.00 à 7.10 m côté Pfäfers. Les piliers de rive sont majoritairement réalisés en caisson avec des épaisseurs de 0.40 m, respectivement 0.50 m. Seuls les deux segments inférieurs sont conçus en sections pleines. 
Aux axes S2, S5 et S6, le tablier rectiligne repose sur des piliers minces de béton autocompactant de la classe C45/55. Aux extrémités de ces bielles, des rotules en béton réduisent les sollicitations forcées dans l’arc et le tablier dues aux actions dans le plan de la structure. Vue de côté, l’augmentation de l’épaisseur des piliers de rive met en évidence le rôle statique de montant de cadre de ces éléments. Ils se démarquent ainsi formellement des bielles et contribuent à la pertinence de la solution structurelle développée. 

Espace pour les membres de précontrainte dans le tablier

Le tablier est conçu comme une section en caisson avec une largeur de semelle de 5.00 m et une hauteur normalisée de 2.75 m. Aux extrémités de l’ouvrage, il repose sur des appuis à calotte sphérique libres longitudinalement, dont un des deux est appuyé latéralement. Sa fonction de traverse de cadre est clairement reconnaissable à la courbure de la face inférieure de la poutre dont la hauteur atteint au maximum 5.05 m vers les piliers de rive. L’épaisseur de la semelle est de 0.30 m dans les zones de travée et elle augmente jusqu’à 1.00 m aux points d’appui en fonction des exigences statiques.
Grâce à une largeur d’âme constante de 0.55 m, deux câbles de précontrainte peuvent y être logés côte à côte sans difficulté. Dans la zone d’ancrage de ceux-ci, les âmes sont élargies jusqu’à 1.21 m aux extrémités de l’étape de bétonnage en question. De 0.50 m au droit des âmes, l’épaisseur de la dalle de chaussée se réduit à 0.30 m entre ces dernières, ou à 0.35 m si des membres de précontrainte latérales y sont disposés. Comme pour les âmes, l’épaisseur de la dalle est augmentée aux extrémités des étapes de bétonnage afin de ménager des espaces pour les têtes d’ancrage des câbles de précontrainte.

Du comportement global à l’articulation en béton

Un système tridimensionnel de barres a servi de base aux calculs statiques du système global. Le calcul devait aussi prendre en compte les pylônes auxiliaires, ainsi que les haubans des différents états d’avancement de l’arc (voir encadré): la sollicitation de la structure porteuse à l’état final résulte de la somme des états d’avancement selon le plan de déroulement des travaux réalisés. En conséquence, tous les états examinés font partie du processus de calcul du système global.
Les cas de charge ont en principe été définis selon les normes SIA. Pour les effets du vent, des mesures in situ ont été effectuées. Malgré la position exposée de l’ouvrage dans la vallée de la Tamina, la valeur de référence de la pression dynamique (force de vent de 1.3 kN/m2) à Bad Ragaz a pu être retenue.
Pour clarifier certaines problématiques particulières, des calcul sur des modèles indépendants ont été réalisés : un tronçon de tablier de 40 m de long a ainsi été modélisé par éléments finis pour mieux saisir le comportement du tablier dans le sens transversal et à la torsion. Il a également fallu considérer des actions exceptionnelles telles que le séisme et les phases d’avancement des travaux ou la défaillance d’un hauban en cours de travaux. Des vérifications dynamiques du modèle de calcul ont en outre démontré que les sollicitations statiques au vent n’avaient pas besoin d’être amplifiées. Pour le contrôle qualité de la mise en œuvre des rotules plastiques, la qualité du béton autocompactant a été vérifiée à partir d’un gabarit à l’échelle 1:1 sectionné après durcissement.
Un mode de construction semi-intégral exclut en principe la correction d’écarts de déformation entre le modèle et la réalité. Le procédé de construction et le système statique retenus ont tout de même permis des corrections ultérieures.

Vérification de plus de cinquante états d’avancement

Dès les phases initiales du projet, les vérifications du système global ont été complétées par l’examen de points particuliers tels que les naissances de l’arc, les angles de cadre et la zone d’intersection entre tablier et arc. Lors de l’élaboration des plans d’exécution et de détail, les dimensionnements retenus dans le projet de concours ont pour l’essentiel été confirmés et les détails techniques optimisés notamment en ce qui concerne les rotules en béton et l’appui du tablier aux extrémités.
Pour la construction de l’arc en encorbellement, impliquant un haubanage temporaire, le démontage de celui-ci et la réalisation du tablier par tronçons à l’aide d’un cintre s’appuyant sur l’arc, il a fallu vérifier plus de cinquante états d’avancement distincts.


Pourquoi un pont ?

Localisation approximative du pont de la Tamina et de ses routes d’accés

Jusqu’ici le village de Valens était desservi par une route communale traversant une zone de glissements de terrain active. Avec la construction du pont de la Tamina, cette zone peut être contournée en toute sécurité et les coûts d’entretien élevés de la route de Valens sont économisés. La clinique de Valens est un centre de réhabilitation de référence en Suisse et jouit également d’une haute réputation au-delà des frontières. L’accès direct à Valens assurera le maintien et le développement de ce standard élevé. De plus, le centre-ville de Bad Ragaz se trouve désengorgé puisque tout le trafic vers la vallée de la Tamina est rabattu sur la seule route de Pfäfers. Enfin, l’ensemble de la vallée espère que la construction de l’ouvrage amènera un essor économique. Le coût total de la route de raccordement se monte à 56 millions de francs, financés par les recettes affectées du compte routier du canton de St-Gall et répartis sur une durée de construction de quatre ans.

Ruedi Vögeli, directeur général pour le raccordement Pfäfers-Valens, Office des ponts et chaussées du canton de St-Gall

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