La nou­vel­le place de La Ré­pu­bli­que par l’agence TVK

L’inauguration de la nouvelle place de la République, en juin 2013 à Paris, serait le dernier acte d’une politique de longue haleine visant à inverser la hiérarchie entre piétons et automobilistes dans la capitale française.

Publikationsdatum
15-10-2013
Revision
25-08-2015

Initiée à la fin des années 1990, cette stratégie est en train de transformer progressivement tant les déplacements que l’environnement urbain des Parisiens. Après les vélos et les autos électriques en libre service, les zones à 30 km/h et le réaménagement des grands axes avec des voies réservées aux bus et aux vélos, voici la dernière étape de ce vaste chantier : la reconquête piétonne des grands carrefours. L’enjeu est de taille et le pari n’était pas gagné d’avance : réduire la place dévolue à la voiture sur un grand carrefour risquait de produire l’effet inverse, générer de la congestion et, finalement, augmenter au lieu de réduire la quantité de véhicules sur la voirie.
C’est pour cela que le réaménagement de la République est l’ultime étape et non le début de cette entreprise. Il a fallu d’abord réduire les flux sur les boulevards qui irriguaient la place. Pour arriver à cela, les riverains, habitants des grands boulevards, ont dû subir des situations de congestion à caractère pédagogique. Quand le boulevard de Magenta est passé de 3×3 voies à une seule dans chaque direction pour les automobilistes, le résultat a été un embouteillage quasi permanent sur toute la longueur de l’axe. Les planificateurs savaient qu’il fallait passer par cette étape difficile pour atteindre l’objectif visé : réduire, dans leur ensemble, les déplacements automobiles. Progressivement, les flux se sont adaptés à l’infrastructure modifiée. L’automobiliste, plutôt que de rester coincé pendant des heures dans son véhicule, décida de changer de mode de transport. Au bout de deux ans, le boulevard était à nouveau décongestionné. La modification du carrefour de la place de la République pouvait alors commencer. 

Inverser les pourcentages


Alors que 60 % des 3.4 hectares de la place étaient jusqu’ici dévolus à la circulation automobile, ce sont désormais 70 % de l’espace qui sont réservés aux piétons et aux circulations douces. Le succès de l’aménagement en matière de gestion de la circulation fait qu’aujourd’hui la Ville de Paris envisage sérieusement de s’attaquer à d’autres grands carrefours emblématiques : la Bastille et la place de la Nation seraient les prochaines à subir un traitement similaire.
La place de République était un giratoire à sens unique, flanqué de deux squares et desservant sept grands axes. Les travaux ont essentiellement consisté à créer un grand espace piétonnier au cœur de la place, en repoussant le trafic sur un seul côté. Le côté nord a été fermé aux véhicules à l’exception des transports en commun. Quant au côté sud, on y circule à double sens. La traversée nord-sud a été tout simplement supprimée. La nouvelle place réunit les deux squares précédemment noyés dans le flux incessant de véhicules. Au-delà de son impact global sur la circulation, c’est l’adoption quasi instantanée de cet espace par les habitants qui en constitue le plus grand succès. 

Déjà piétonne les jours de fête (et de grève)


Point de ralliement des grandes manifestations parisiennes, la République était déjà piétonne plusieurs jours par an. Le réaménagement par l’agence Trévelo & Viger-Kohler pourrait être considéré comme la pérennisation d’un état d’exception. Son rôle dans l’imaginaire collectif fait qu’elle s’est immédiatement transformée en véritable piazza, avec son lot de vieux qui regardent les plus jeunes glisser sur des planches à roulettes, ses promeneurs de chiens et d’enfants, ses clochards aussi. La nouvelle place de la République donne l’impression d’un espace piétonnier qui serait présent depuis des décennies dans la vie des habitants. L’aménagement est forcement minéral puisque la place, très sollicitée, doit répondre à un usage quasi ininterrompu avec des pics de fréquentation importants les jours de fête ou de manifestation. Si les arbres des squares ont été maintenus, ils semblent quelque peu engloutis par le dallage en béton gris aux tonalités variées qui recouvre l’espace de façon homogène. C’est le seul point faible qu’on puisse relever : ne pas avoir su maintenir les îlots retranchés que constituaient les deux squares. Autrement, la place, malgré l’uniformisation dont elle a fait l’objet, parvient à former à nouveau des pôles avec des atmosphères différentes. La légère inclinaison du terrain imposait la création de plusieurs marches coté nord : utilisées comme des gradins, elles semblent jouer un rôle important dans l’appropriation de ce grand espace plat. Elles ralentissent les flux piétons traversants, balisent le parcours réservé aux bus et aux taxis, et donnent un autre rythme, plus calme, plus posé à cette partie de la place. Les gradins parviennent à générer des variations, sans recourir à des gadgets. C’est une des nombreuses réussites de cet aménagement. Elle est complétée par du mobilier sobre sans être austère. De grands bancs sur lesquels on peut s’allonger, une estrade en bois, un kiosque-ludothèque avec des tables rouges, un café et un plan d’eau contribuent à ce que la place devienne un lieu où il fait bon prendre son temps. 

Circuler ou s’arrêter


Dans un ouvrage récent sur la nouvelle normativité des espaces publics1, Paul Landauer discerne une tendance à transposer dans l’aménagement urbain des principes sécuritaires utilisés jusqu’à présent dans les aéroports et aux abords des stades. « Tout doit circuler, tout arrêt est suspect. » Cette nouvelle doctrine qui consiste à éviter les frictions produirait des espaces uniformes sur lesquels l’arrêt serait rendu impossible.
S’il est dans un premier temps facile de discerner dans l’aménagement de la République une tendance similaire, notamment avec la suppression des squares, une lecture plus attentive de l’espace a vite fait de nous convaincre du contraire. L’uniformité de la nouvelle place n’est qu’apparente. Le jeu des gradins, la taille des bancs, l’estrade sont autant d’incitations à s’arrêter. Il ne s’agit pas de mobilier, mais bel et bien d’éléments faisant partie intégrante de la place, utilisés pour créer des variations spatiales. Le fait que la place soit utilisée, et pas seulement traversée, montre bien qu’elle est à l’opposé de ces nouveaux modèles crypto-sécuritaires. Finalement, la réussite d’une place pourrait être évaluée au regard de ce seul critère : son aptitude à nous donner envie de nous y arrêter. La nouvelle place de la République est de ces endroits.

 

Note

1 L'architecture, la ville et la sécurité, PUCA, Puf, 2009

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