Au­tour de Pier Lui­gi Ner­vi

L’espace Archizoom accueille jusqu’au 22 juin l’exposition itinérante « Pier Luigi Nervi, l’architecture comme défi »

Data di pubblicazione
30-04-2013
Revision
23-10-2015

« Pier Luigi Nervi, l’architecture comme défi »1 qui fait halte à l’espace d’exposition et de conférence de l’EPFL Archizoom offre l’occasion de dresser un copieux tour de table sur les grands chefs de l’architecture structurelle du siècle dernier. 
Plus de trois décennies après la disparition du grand ingénieur italien Pier Luigi Nervi, son noyau familial – soucieux de l’oubli rapide qu’il a connu sitôt parti – lui rend hommage à travers une exposition monographique. Dévoilée pour la première fois au public en juin 2010, elle a ensuite franchi les frontières de son berceau bruxellois pour débuter son itinérance dans cinq villes italiennes. En ce printemps 2013, elle fait une escale de deux mois sur les bords du Léman, avant de reprendre la route pour Zurich et d’autres contrées encore inconnues.

Pier Luigi Nervi ?


Pour ceux qui ne connaissent pas Nervi, la petite Fiat rouge framboise, parquée sur un chantier aux pieds d’un pilier de béton monumental coiffé d’un couvre-chef aux géométries florales, pourrait bien attendrir le regard amusé de quelques curieux, ou éveiller les souvenirs d’une mémoire engourdie. Pour les autres, l’affiche de l’exposition invite à (re)découvrir l’œuvre d’un génie qui a su marquer de son empreinte le panorama international de la construction au 20e siècle.
Né en 1891 à Sondrio – commune de l’Italie septentrionale –, Pier Luigi Nervi se construit et forge sa personnalité au sein d’une jeune nation unifiée qui s’ouvre au progrès. Au cours de sa vie, il explore avec obstination et ingéniosité toutes les facettes de son matériau fétiche : le ferrociment. Il en invente de multiples variantes et, à force d’expérience, en tirera des formes tout aussi extraordinaires que majestueuses, grâce auxquelles le statut d’ingénieur-créateur lui sera accordé.
Nervi est un homme aux multiples casquettes. Possédant à la fois l’audace de l’ingénieur, la créativité de l’architecte et le charisme d’un entrepreneur, il incarne l’essence même de la pluridisciplinarité, cette arme redoutable de survie des temps modernes, sans laquelle les générations nouvelles ne pourront – semble-t-il – plus se démarquer. Un exemple à suivre ? En tout cas, à découvrir. 

Flânerie autour de douze projets


Pour célébrer ce bel hommage, Archizoom joue le jeu en transformant son espace d’exposition en un véritable atelier imaginaire. Si d’aucuns pensent que le design des installations est un poil démodé et l’alignement des projets quelque peu conventionnel, d’autres adhèrent parfaitement au concept. « Quand je franchis la porte, cela me rappelle l’atmosphère de l’atelier dans lequel mon grand-père aimait travailler avec ses collaborateurs » confie avec nostalgie Marco Nervi. Pari tenu pour les concepteurs du mobilier dont le point d’honneur était de restituer le cadre de travail propre à Nervi, simple et discret – pour ne pas dire banal –, au profit de la richesse du patrimoine exposé2
Comme dans toute œuvre monographique, une sélection de projets significatifs a dû être opérée par le comité scientifique de l’exposition3. Douze réalisations ont été retenues. Présentées de manière chronologique, elles permettent de suivre et d’appréhender l’évolution des différents systèmes constructifs mis en place par l’ingénieur. Le théâtre Augusteo à Naples, où Nervi utilise encore une structure de béton traditionnelle dissimulée derrière une façade néoclassique, ouvre le bal. Le stade florentin, les hangars d’aviation, les Palais du travail et des expositions à Turin, le siège de l’UNESCO à Paris, ou encore les œuvres olympiques de Rome prennent le relai et font voyager le visiteur jusqu’en Amérique.
Chaque projet offre trois degrés de lecture mettant en scène successivement des dessins originaux, des maquettes et des images. Les plans inclinés, sur lesquels sont présentées les esquisses parcourues à l’encre de Nervi, rappellent les planches à dessin d’antan. Si le décryptage du langage – parfois technique – de ces éléments bidimensionnels peut s’avérer délicat pour les non-initiés, les maquettes et les séquences de photographies facilitent la compréhension et rendent la flânerie plus ludique. Le parcours est également rythmé par sept clichés réalisés en 2010 sous l’œil aguerri de Mario Carrieri, qui apporte un regard contemporain sur certaines œuvres encore existantes.
Cette touche de fraîcheur est également soutenue par les travaux des architectes en formation de l’EPFL, ayant suivi un cours sur l’histoire du béton ou l’atelier sur la restauration de l’architecture moderne. Leurs dessins et maquettes – dont la précision concurrence celle des grands maîtres – enrichissent l’exposition.

Hors les murs


Les Archives de la construction moderne (ACM) profitent également de cette manifestation printanière pour extraire de leur riche collection Alberto Sartoris de très belles photographies en noir et blanc relatives à l’œuvre de Nervi4. Présentées sur cinq panneaux inclinés visibles depuis les fenêtres de l’espace Archizoom, elles dialoguent en toute intimité avec l’exposition d’origine. 
Le génie de Nervi résonne également dans les ateliers de fabrication de la faculté ENAC, où un petit groupe d’étudiants en génie civil s’appliquent à reproduire, sous la houlette du professeur Aurelio Muttoni, un pan de toiture de la salle des audiences du Vatican. Au premier regard, ces imposants éléments de béton fraîchement coulés n’ont rien d’étonnant. Mais sitôt emportée par le tourbillon des explications généreusement dévoilées par les ingénieurs en devenir, cette réinterprétation actuelle – ainsi nommée – prend tout son sens. En effet, au-delà du simple exercice pédagogique de reproduction, un nouveau béton composé de couches de mailles textile souples et légères – remplaçant celles en acier utilisées par Nervi – est en train de voir le jour et viendra prochainement chapeauter la coursive de l’exposition. 
Pour approfondir les réflexions sur les ingénieurs-créateurs, des conférences et une journée d’étude internationale s’échelonneront tout au long du mois de mai à Archizoom. Et pour ceux qui en demandent toujours plus, un catalogue de l’exposition en vente à la librairie du Rolex Learning Center pourra rassasier leur curiosité.

Aurélie Buisson est architecte

 

 

Notes

1. Projet initié et produit par l’Association Pier Luigi Nervi Research and Knowledge Management Project, en coopération avec le Centre International pour la Ville, l’Architecture et le Paysage (CIVA) de Bruxelles, le Musée national des arts et d’histoire du 21e siècle (MAXXI) de Rome et le Centro Studi e Archivio della Comunicazione (CSAC) de Parme
2. Archives issues du MAXXI et du CSAC
3. Présidé par Carlo Olmo et coordonné par Cristiana Chiorino
4. L’exposition Pier Luigi Nervi, ingénieur, architecte, inventeur, à travers les photographies de la collection Alberto Sartoris est une production des Archives de la construction moderne de l’EPFL, réalisée par Alberto Bologna, docteur en histoire de l’architecture et Joëlle Neuenschwander Feihl. Pier Luigi Nervi, l’architecture comme défiA voir jusqu’au 22 juin. Espace Archizoom, EPFL, ENAC, Bâtiment SG
http://archizoom.epfl.ch

Articoli correlati