Pour une di­men­sion po­li­ti­que de l’ar­chi­tec­tu­re

Exposition Unterm Radar/Under the Radar au Musée Suisse d’Architecture (S AM)

L’exposition Under the Radar/Unterm Radar ne laisse pas sans question. Elle confronte la pratique architecturale dans son analyse et son utilisation de l’espace, plus particulièrement son expérience du territoire. Bien que très spécifiques dans leurs domaines, les huit projets demeurent indépendants mais concourent à modéliser le territoire et sa réalité discontinue. C’est au visiteur de faire son cheminement dans une exposition qui offre un horizon de pensée et d’actes sondant les ressources de l’architecture. Entretien avec les commissaires de l’exposition Andreas Ruby et Andreas Kofler.

Data di pubblicazione
04-12-2019

Espazium: Quel est votre projet curatorial pour cette nouvelle exposition Under the Radar/Unterm Radar?
Andreas Ruby et Andreas Kofler: Ce projet d’exposition a commencé avec la découverte des recherches de Theo Deutinger et de ses résultats publiés dans Handbook of Tyranny (2018). Cette étude singulière participe à l’émergence d’un mouvement contemporain critiquant les différents types de contrôle exercés sur le territoire et les limites opposées aux libertés humaines. Mais le plus important est que Deutinger implique l’architecture dans ce phénomène pour apporter un regard critique sur son environnement. C’est cela qui a guidé notre démarche pour élaborer le thème de cette exposition. Celle-ci traite des implications pragmatiques, encore marginales, de l’architecture, comme auteure de nouveaux champs discursifs dans la définition du territoire.

Aujourd’hui, on constate que, selon la dynamique du projet, les architectes s’intéressent à la géopolitique ou à des thèmes comme les frontières ou la migration. Ces problématiques modifient l’espace auquel les architectes sont confrontés. En Suisse, l’idée que l’architecture se cantonne à une science du bâti est encore d’actualité, cependant elle a également la capacité de s’investir et de se renforcer éthiquement dans sa confrontation au terrain. Le travail d’investigation de Forensic Architecture, agence fondée en 2010 par l’architecte Eyal Weizman, en est un exemple concret. Dans l’une de ses enquêtes sur l’assassinat de l’éminent avocat kurde Tahir Elçi, son équipe documente l’événement en utilisant les outils et la méthodologie issus de la pratique en architecture, mettant en évidence les conclusions erronées de l’État turc dans son enquête. Ces recherches menées par des architectes sont productrices de connaissances scientifiques et documentent le territoire. Elles doivent être soulignées et, désormais, ne plus être ignorées, positionnant ainsi l’architecture et sa méthode par projet comme une discipline scientifique à part entière.

Pour revenir sur le titre de l’exposition Under the Radar et l’image du radar… Que révèle-t-il et/ou symbolise-t-il à travers sa convocation dans le champ de l’architecture?
Le titre que nous avons donné à cette exposition exprime notre volonté d’exposer des projets qui peuvent apparaître subversifs en raison de cette définition restrictive centrée autour du bâti. L’idée de radar souligne un double jeu entre les limites apparentes de cette discipline et la recherche sur le territoire. Le territoire de l’architecture peut être beaucoup plus important qu’il n’y paraît. De plus, les analyses inhérentes au projet d’architecture peuvent capter et rendre compte de logiques spatiales contemporaines à questionner. En résumé, l’exposition peut être envisagée comme un condensé de ce que pouvait exprimer l’explorateur allemand Alexander von Humboldt (1769-1859) en son temps : l’instinct incontrôlable de vouloir arpenter le monde.

Une analyse spatiale ne saurait être neutre politiquement… Que penser, dès lors, des recherches portées par les architectes? Y a-t-il une récurrence de certains sujets?
Cette exposition rend visible le rôle de l’architecture et de son potentiel dans la compréhension d’incohérences dont notre société peut parfois taire. C’est le cas du système médiatique si l’on se réfère au travail de Forensic Architecture. Pour revenir sur un autre projet d’investigation, Killing in Umm al-Hiran (2017), l’enchaînement des événements a été mis à l’épreuve d’une analyse topographique du terrain et d’une simulation digitale mettant à mal la thèse israélienne de l’attentat terroriste perpétré envers un policier israélien. Il est problématique que, dans le traitement médiatique de cet incident, il n’y ait pas eu de prise de distance par rapport aux enjeux politiques en train de se jouer, ce qui révèle un manque d’analyse journalistique.

Le dénominateur commun entre les projets exposés est qu’une prise de position politique doit s’engager ainsi qu’un déconditionnement de l’acte de bâtir pour ouvrir vers de nouveaux narratifs dans tous les projets dont l’architecture s’empare. Par exemple, l’architecture pavillonnaire aux États-Unis a complètement été délaissée par les architectes, ce qui donne aujourd’hui un étalement urbain de maisons choisies sur catalogue. Le projet Smuggling Architecture (2019) de l’agence Kwong von Glinow place les architectes en position d’acteurs face à ce phénomène. Le travail d’analyse et de recomposition fonctionnelle de ces maisons initie le mouvement pour sortir de ce schéma unifamilial des banlieues nord-américaines. Devant le constat qu’ils ne peuvent pas changer l’extérieur, ils introduisent clandestinement leur travail d’architecture à l’intérieur de ces typologies, inventant ainsi une méthodologie pour changer leur vocation.

Les projets présentés portent un regard critique sur le territoire contemporain qui dépasse pourtant la discipline. Quels sont les changements suggérés pour la pratique et la recherche en architecture?
Le travail d’analyse va dans le sens d’une reconnaissance de la responsabilité de l’architecture, même à rebours, comme dans la recherche menée par le laboratoire Architecture of Territory de l’EPFZ, Sand and Labour (2014). Dans la restitution du cas de Singapour et du rôle emblématique de son hinterland, c’est l’envers du décor de l’architecture qui est donné à voir, de l’extraction du sable à sa valeur dans la construction, jusqu’à l’architecture des camps de travail contraignant les ouvriers à vivre dans des conditions précaires.

Il s’agit également d’une question de perspective, pour que l’architecte crée des solutions divergentes. C’est le cas avec les recherches du studio Laboratoire Bâle (laba) de l’EPFL, de l’agence lausannoise Kunik de Morsier et de Kwong von Glinow sur le thème de la densification. Une qualification du territoire lors de l’étape de la planification urbaine passe par l’architecture afin d’agir sur les typologies existantes dont certaines sont à bout de souffle.

Ainsi, cette exposition propose, d’une part, une réflexion sur les échelles du territoire révélées par l’architecture, de l’autre, l’inclusion d’un public non-architecte dans la discussion.


Exposition

Unterm Radar/Under the Radar

Exposition du S AM, Bâle

16.11.19-15.03.20

sam-basel.org

 

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