Lausanne ou la stratégie de l’entre-deux
S'emparer de la ville #1
Le plan directeur communal 2030 (PDCom) que l’administration lausannoise a présenté récemment, est une étape précédant la révision du Plan général d’affectation (PGA), son prolongement réglementaire. Afin de lancer la discussion, la rédaction confie à quatre professionnels intéressés par la question du développement urbain le soin d’élaborer une réflexion et de recueillir les points de vue sur ce document essentiel au développement de la ville.
Le Plan directeur communal 2030 (PDCom) que développe l’administration lausannoise est une étape précédant la révision du Plan Général d’Affectation (PGA), son prolongement réglementaire. Partant du constat que Lausanne oscille entre l’ambition de s’affirmer comme un pôle urbain et la peur d’en prendre la forme, nous proposons de traiter les potentiels et les singularités de son cas. Cette chronique aurait aussi bien pu s’intituler « Lausanne, et entre les deux, il y a le gris » – en allusion au film Lettre à Freddy Buache de Jean-Luc Godard (1981). Si le gris représente, dans le film, la structure urbanisée entre le bleu et le vert, il évoque aussi le compromis, la demi-mesure, l’entre-deux.
En 1898 est lancé le « Concours des ponts de Lausanne » afin de maîtriser la topographie accidentée et contraignante de la ville. Il est suivi, trois ans plus tard, par un concours d’idées pour un plan d’extension de la ville qui devait respecter le tracé de ces ouvrages encore inexistants, subordonnant la pensée à long terme à des questions d’actualité. L’approche du PDCom 2030 fait penser à cette anecdote, une grande partie des réflexions étant conditionnées par des décisions déjà prises et non par une vision prospective. Le court terme semble prévaloir sur l’anticipation comme si la politique territoriale avait du mal à se placer dans le temps long de l’évolution urbaine.
Très complet et dressant le bilan d’une situation lausannoise à fort potentiel (démographie en hausse, attractivité économique, construction d’infrastructures au rayonnement national voire international), le PDCom pointe des problématiques connues depuis plusieurs décennies (environnement, densification, pénurie de logements, mobilité douce et espaces publics). Il y répond en proposant une vision basée sur la topographie et ce qu’elle implique dans le développement de la ville (centralités en faisceaux, transports publics transversaux, concentrations programmatiques, valorisation de l’échelle de quartier, interactions entre espaces bâtis et corridors naturels). Néanmoins, le PDCom peine à être plus qu’une synthèse des projets, réalisés, en cours ou déjà planifiés, mis en cohérence à une échelle élargie. C’est comme s’il était interdit de réfléchir au-delà de la ville que nous connaissons. En ce sens, nous savions avant le PDCom où la ville allait, mais ne savons toujours pas où elle ira lorsqu’apparaîtront de nouvelles opportunités, espérons-le avant 2030.
Un PDCom a pour objectif d’établir une vision stratégique, un projet de territoire sur une durée minimale de 15 ans. Ici, il n’est pas réellement question de stratégie, mais d’actions, qui, comme en 1901, sont pour la plupart déjà déterminées. Le vocabulaire employé dans l’énumération des enjeux et objectifs montre que la continuité est son moteur principal (gérer la croissance, mieux protéger le patrimoine, renforcer le cadre de vie, accompagner la mutation du territoire, renforcer les composantes naturelles et paysagères, poursuivre une politique de mobilité durable). Alors que l’on sait désormais que ce sont les villes – et en particulier les villes secondaires – qui, plus que les états ou les nations, seront les principales actrices de la transformation du monde, le projet lausannois est-il à la hauteur de défis tels que la justice sociale et climatique, l’évolution démographique ou la mondialisation ?
Notre idée n’est cependant pas d’abandonner le concret au profit de projections utopiques. Privilégions plutôt un nouvel entre-deux, une forme d’alliance entre radicalité éclairée et stratégie conceptuelle de l’action urbanistique. Pensons la ville comme une association d’actrices et d’acteurs multiples où personne ne détient le savoir complet de la fabrique urbaine.
Demandons-nous, au travers du PDCom présenté par la Ville de Lausanne, à quel moment le cadre dont nous nous dotons et les compromis que nous nous imposons entravent ambitions et potentiels. Réfléchissons au PGA qui se dessine au travers des objectifs énoncés en y intégrant les critères architecturaux nécessaires à l’expression d’une vision urbaine. Évitons tant l’outil sans ambition que l’ambition sans outils.