La Bien­na­le è una ro­ba vec­chia!

Le pavillon égyptien, intitulé énigmatiquement «Robabecciah, the informal city» est le seul représentant du continent africain, grand absent de la Biennale de Venise.

Data di pubblicazione
18-07-2018
Revision
31-07-2018

Les fortes croissances démographique et urbaine des villes africaines en font – de fait – les théâtres où se joue une bonne partie des enjeux métropolitains contemporains. Dépassant les villes indiennes et chinoises, le Caire est aujourd’hui la ville qui connaît la plus forte augmentation de population annuelle. En 2017, elle a gagné près d’un demi-million d’habitants. Bientôt, avec Port-Saïd et Alexandrie, elle formera une mégalopole de plus de 25 millions d’habitants. Autour du delta du Nil aujourd’hui, à Kinshasa et Lagos demain, un nouveau paradigme métropolitain est en train de se construire, aux portes de l’Europe et pas si loin de Venise. Pourtant, cette fois encore, l’Afrique est – presque – absente de la Biennale. Seul le pavillon égyptien nous console difficilement de cette lacune.

Robabecciah


Robabecciah, parfois prononcé robabicciah, vient de l’expression italienne roba vecchia qui signifie « choses inutiles » ou « vieilleries ». Le mot retentit dans les rues des quartiers populaires des villes d’Afrique du Nord. Des hommes ou des femmes (eux aussi appelés robabecciah) conduisent des charrettes tirées par un vélo ou un motocycle en criant « robabecciah, robabecciah ! ». Au passage des carrioles, les habitants y déposent leurs vieux meubles, tableaux, tapis, vaisselles, appareils ménagers et toutes sortes de bricoles plus ou moins utiles. Les robabecciahs font ensuite le tour des marchés de la ville pour vendre leurs récoltes au meilleur prix. A l’inverse du modèle du marché sédentarisé, le phénomène robabecciah dessine des territoires de négoce mouvants et passagers. Une forme d’économie de la récupération (re-use) avant l’heure.

Encore récemment, plutôt qu’une barrière, la mer Méditerranée était un bassin de troc. Les mots y ont voyagé, se sont transformés et établis dans des cultures et des langues différentes. Pourtant, dans les dictionnaires, on ne trouve aucune explication sur le métissage du mot robabecciah. Pourquoi ce mot d’ascendance italienne s’est-il implanté dans une aire géographique si étendue ? Le métier remonte-t-il à la fin du 19e siècle lors des immigrations italiennes en Afrique du Nord ? Le pavillon égyptien évite de donner une réponse à cette énigme. Avec Robabecciah, les curateurs s’intéressent surtout au phénomène tel qu’il se développe aujourd’hui au Caire. Ils y voient avant tout une métaphore de la condition sociale et urbaine contemporaine.

Le système robabecciah se développerait à souhait dans les métropoles fortement franchisées et perpétuellement productrices de déchets. De ce côté-ci de la Méditerranée, les villes se soucient de plus en plus des enjeux de transformation des tissus urbains existants, de l’adaptation des bâtiments aux mutations sociales ou encore de la possibilité de récupération des matériaux de construction. Robabecciah constitue à la fois une forme ancienne de recyclage et une fonction nouvelle introduite dans des lieux abandonnés par l’économie consumériste. Elle concerne toutes les couches de la société, dessine une nouvelle géographie de réseaux et introduit une utilité fonctionnelle pour les déchets des métropoles.

Afrotopie


Le phénomène robabecciah a grandi et se nourrit aujourd’hui dans des mégalopoles d’Afrique du Nord. Parmi les millions d’habitants qui peuplent le Caire, il y aura toujours preneur pour le moindre petit objet. Tout semble absorbable par ce séduisant et affreux robabecciah, à la fois dispositif écologique extraordinairement vertueux et monstre qui se nourrit de ses propres déchets. Le chaos métropolitain semble être son milieu favori. Ces mécanismes informels sont-ils transposables dans la ville normalisée européenne ? Rien n’est moins sûr. D’un coté et de l’autre de la Méditerranée, les fondamentaux démographiques, géographiques et économiques des villes sont profondément distincts. Néanmoins, robabecciah lève le voile sur des dynamiques métropolitaines inédites, qui, elles, en revanche, traversent les frontières. Les métropoles africaines ne ressembleront certainement pas à la ville états-unienne, prolongement logique de l’économie de marché. Elles n’ont pas non plus comme points de mire les métropoles du Sud-Est asiatique et du golfe Persique. Bon gré mal gré, le centre de gravité des grandes transformations urbaines et de leurs impacts écologiques, sociaux et économiques se déplace désormais vers l’Afrique. Les anciens modèles de villes s’érodent vite et d’autres phénomènes métropolitains apparaissent1. On n’en sait finalement que peu de choses.

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