Tun­nel d’Eu­seigne: une voûte pa­ra­pluie pour des de­moi­selles coif­fées

Dans le cadre d’un projet de valorisation du site touristique des Pyramides d’Euseigne (VS), un nouveau tunnel a été creusé au travers de ces fragiles formations géologiques. Retour sur un chantier réalisé en entreprise totale.

Date de publication
15-05-2023
Jacques Perret
Ingénieur en génie civil EPFL, Dr ès sc. EPFL et correspondant pour TRACÉS.

La route cantonale Sion – Les Haudères – Arolla (RC 54) présente la particularité de traverser le site des Pyramides d’Euseigne, une des plus fameuses curiosités géologiques des Alpes et un des hauts lieux du tourisme valaisan. À cet endroit, la route actuelle, qui serpente à flanc de montagne, perce depuis 1947 l’une des pyramides par un court et étroit tunnel.

La configuration de ce secteur de la RC 54 présentait un certain déficit de sécurité: mauvaise visibilité, parcage sauvage en bord de chaussée des voitures (les touristes s’arrêtant pour admirer les pyramides), cohabitation forcée et peu sécurisée de ceux-ci avec la circulation, chutes de pierres et coulées de boue lors de pluies abondantes ou durant la période de dégel. Ces éléments portaient préjudice à la visite d’un site touristique exceptionnel et limitaient considérablement sa valorisation.

Afin de remédier à ces inconvénients, l’État du Valais, d’entente avec la commune d’Hérémence, a donc décidé de déplacer la route cantonale en perçant un nouveau tunnel, d’une longueur d’environ 120 m et d’un diamètre de 5.2 m, dans la moraine du versant amont des pyramides. Cet aménagement implique une correction du tracé actuel sur une longueur totale de quelque 320 m, rendant le nouveau tracé pratiquement rectiligne. Quant à l’ancienne route, elle sera déclassée et remise à la commune d’Hérémence, laquelle prévoit de la réaménager en zone piétonne pour améliorer les conditions de visite dans le cadre d’un projet de valorisation du site impliquant la construction d’une zone touristique à l’entrée du village d­’­Euseigne (concours remporté par le bureau Fournier Maccagnan en 2019).

Des pyramides sous contrôle

Le tunnel devant être percé dans une moraine de bonne qualité, les travaux ne présentaient a priori pas de particularités autres que d’éviter d’endommager le joyau touristique que sont les pyramides. Pour réaliser le tunnel, la technique retenue – imposée à l’entrepreneur par le maître d’ouvrage – repose sur le principe de la voûte parapluie. Elle a été utilisée par étapes de 8 m, réalisées à l’aide de 53 tubes métalliques divergents d’une longueur de 11 m, ce qui garantit un recouvrement de 3 m entre les étapes. Étant donné qu’il n’était pas possible d’avoir un front d’attaque directement en bord de route, les travaux ont débuté par l’excavation des deux portails à ciel ouvert, sur des longueurs (38 m côté Vex, 35 m côté Euseigne) suffisantes pour que la couverture rocheuse permette la creuse à l’abri des voûtes parapluie. Ces premiers travaux ont nécessité la mise en place de parois clouées pour stabiliser les fouilles, qui atteignaient des hauteurs allant de 12 à 20 m.

Afin de ne pas mettre en danger la stabilité des blocs coiffant les pyramides, il a été décidé de surveiller les vibrations durant les travaux en installant des géophones. Faute de valeur de référence, des premières mesures ont été effectuées sur le tunnel existant lors du passage d’un chasse-neige. Les résultats ont été utilisés pour fixer une valeur seuil impliquant de stopper le chantier. Trop souvent atteinte en début de chantier, cette valeur a toutefois été adaptée, des mesures de contrôle étant par ailleurs effectuées lors de l’arrivée de chaque nouvel engin utilisé sur le chantier. Une méthode qui s’est montrée concluante: en fin de chantier, aucun dégât n’avait été observé sur les pyramides.

Travaux en entreprise totale: une réussite

À l’initiative de l’ingénieur cantonal, le Canton du Valais a décidé de faire réaliser les travaux par l’intermédiaire d’un contrat d’entreprise générale par lequel le groupement d’entreprises adjudicataire est seul responsable du respect du planning, des coûts (forfait) ainsi que des exigences et performances attendues. Dans les faits, il s’agit plutôt d’une entreprise totale, puisque les prestations des ingénieurs et des spécialistes (ingénieur civil, géologue, géomètre, électromécanique, sanitaire, etc.) nécessaires à la réalisation sont incluses dans le contrat (phases partielles 51 à 53 selon les normes SIA). Outre l’organisation et la documentation des séances de chantier, cela comprend aussi le dimensionnement des éléments porteurs et l’élaboration des plans d’exécution et des détails constructifs ; des tâches qui, si elles demeurent de la responsabilité du groupement adjudicataire, sont soumises à l’approbation du maître d’ouvrage ou, le plus souvent, de son BAMO, dont le travail consiste alors principalement à s’assurer que l’entrepreneur respecte le cahier des charges auquel il s’est engagé.

À Euseigne, cette démarche s’est semble-t-il révélée très efficace. Contrairement à ce que l’on entend souvent dans le bâtiment, l’ambiance sur le chantier était excellente, de l’avis général des personnes impliquées, notamment grâce au climat de confiance entre les différents intervenants. Les délais et les coûts sont respectés jusqu’à présent et le résultat obtenu remplit les critères de qualité exigés par le maître d’ouvrage. Pour ce dernier, la préparation du dossier d’appel d’offre, avec son BAMO, l’a contraint à bien cerner son projet et, par la suite, à mieux anticiper son exécution. La procédure s’est aussi révélée bénéfique en raccourcissant le délai d’établissement du projet définitif, qui était en grande partie contenu dans l’offre du groupement d’entreprises.

Du côté du groupement d’entreprises, il a véritablement été possible d’optimiser la construction, non seulement lors de la préparation de l’offre, mais aussi en cours de chantier. À noter toutefois que le projet présentait l’avantage d’être peu complexe et que les risques d’imprévus étaient a priori limités: les conditions géologiques, établies à partir d’un sondage, étaient favorables, la technique de percement du tunnel à l’abri de voûtes parapluie imposée, et le contexte général plutôt simple (absence de tiers ou d’infrastructures existantes importantes).

Le principal changement, par rapport à une procédure traditionnelle avec des mandataires agissant pour le compte du maître d’ouvrage, est peut-être à chercher du côté des ingénieurs qui disposent de plus de liberté pour adapter les techniques et les détails de réalisation aux capacités effectives de l’entreprise avec laquelle ils travaillent. Selon leurs dires, c’est une situation très stimulante, dans laquelle il convient d’être imaginatif. Ils soulignent aussi l’avantage que représente le fait que les partenaires ont librement choisi de s’associer pour le projet et sont donc porteurs d’une motivation commune, d’abord pour acquérir le marché, puis pour optimiser son exécution; laquelle passe alors par la recherche d’économies en termes de matériaux et de temps. À titre d’exemple, un calcul supplémentaire tenant compte de la tridimensionnalité du soutènement du tunnel a permis de réduire la quantité d’armature.

Un modèle adapté à toutes les situations?

Ces avantages ne signifient pas pour autant que la démarche utilisée à Euseigne doit être généralisée sans discernement. Tout d’abord, le succès de travaux réalisés en entreprise totale dépend prioritairement de la qualité et de la précision du descriptif mis à disposition des soumissionnaires. Cela signifie que le maître d’ouvrage doit être en mesure d’anticiper et de maîtriser, avec un maximum de certitude, les incertitudes liées à son projet, ce qui n’est pas toujours évident selon sa complexité. D’autant plus que cette complexité ne concerne pas que les conditions géologiques et les solutions techniques envisageables, mais aussi les relations et les exigences des différents partenaires impliqués dans le projet. Dans ces cas-là, avoir des mandataires externes à l’entreprise permet souvent de disposer d’une expertise plus neutre et mieux à même de favoriser le dialogue nécessaire à la résolution des inévitables imprévus.

Ensuite, le travail exigé pour répondre à un appel d’offres de ce genre est considérablement accru, puisqu’une part non négligeable des prestations d’ingénierie doivent être faites par les candidats sans certitude d’être rémunérées par l’attribution du mandat. Il est possible, comme ce fut le cas à Euseigne, de dédommager les participants, mais le montant proposé ne couvre qu’une part relativement faible des frais engagés et reste plutôt symbolique.

-> Quand la coif­fe fait la de­moi­sel­le

Tunnel des Pyramides, Euseigne (VS)

 

Maître d’ouvrage
État du Valais, Département de la mobilité, du territoire et de l’environnement (DMTE)

 

Bureau d’assistance au maître de l’ouvrage (BAMO)
Pini Groupe

 

Réalisation
Groupement Tunnel des Pyramides (GTP)

 

Entreprises
Dénériaz Bâtiment et Infra­structures (pilote), Infra Tunnel, Evéquoz, Ulrich Imboden

 

Ingénieurs civils
BG Ingénieurs Conseils et Pra Ingénieurs Conseils

 

Géologie
BEG – Géologie & Environnement

 

Électrotechnique
DPE Electrotechnique

 

Durée des travaux
Avril 2022 à octobre 2023

 

Coûts
10.5 mio CHF

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