SWISS­MADE - avec NO­MOS à Ma­drid, Lis­bonne et Kaya

Entretien

Avec des réalisations en Espagne, au Portugal et au Burkina Faso, le bureau NOMOS est un référent dans l’exportation d’une pratique architecturale à l’étranger. Entretien avec ses partenaires à Genève et à Madrid, pour montrer que l’amitié et le bénévolat sont aussi des forces motrices de l’architecture contemporaine.

Date de publication
10-05-2021

L’histoire du bureau NOMOS ne relève pas de l’ordinaire. Fondée en 2011 à Genève par trois jeunes associés, la structure originale pilotée encore aujourd’hui par Katrien Vertenten & Lucas Camponovo a construit son savoir-faire, épaulée par l’expérience du bureau genevois «GA Groupement d'Architectes». De cette union et des nombreuses collaborations sur des projets d’envergure, s’est forgée une identité propre, tremplin professionnel permettant progressivement au jeune bureau de s’exporter en dehors du berceau genevois. Avec Ophélie Herranz Lespagnol & Paul Galindo, amis et aujourd’hui associés, Nomos a d’abord ouvert en 2012 une première cellule à l’étranger en s’installant au cœur de l’Espagne à Madrid. S’en est suivi quelques années plus tard en 2016, fruit du hasard et de son ouverture au panorama international, un troisième atelier à Lisbonne, soutenu par deux collaborateurs lusitains Jorge Paquete & Veronica Pires.

Aujourd’hui façonnée par des projets multiformes et cosmopolites, la pratique architecturale décentralisée de NOMOS lui a permis de se détacher graduellement des pragmatismes locaux de son contexte d’origine. En nourrissant leurs pensées et leurs dessins d’imaginaires insoupçonnés et contrastés, NOMOS et ses associés ont construit au fil du temps un savoir-faire original et plein de fraîcheur.

Entretien avec:

Katrien Vertenten (KV) & Lucas Camponovo (LC) à Genève et Ophélie Herranz Lespagnol (OH) & Paul Galindo (PG) à Madrid

espazium.ch: De nombreux bureaux d’architecture ont exporté leur pratique à l’étranger. Une opportunité ou un besoin?

KV : Un peu des deux. Nos mandats à l’étranger se sont présentés de manière fortuite. Par contre, déjà à l’époque de nos études au Tessin et de nos premières expériences professionnelles, nous avons senti ce besoin d’expérimenter l’architecture «ailleurs». C’est justement lors de notre étape aux Etats-Unis que Lucas et moi avons rencontré Paul et Ophélie à New York, sans nous imaginer que nous serions partenaires quelques années plus tard.

Quelles sont les origines de vos mandats par-delà les frontières?

KV : Chaque projet à son histoire. Notre projet au Burkina Faso est issu de la rencontre fortuite entre l’un de nos collaborateurs et un médecin suisse qui est également bénévole pour l’ONG burkinabé Morija. De cette rencontre est née l’occasion de participer à un concours d’architecture organisé sous forme de prix de solidarité auquel nous avons répondu. Quelques semaines plus tard, nous avions dans les mains la réalisation d’un centre médico-chirurgical en Afrique.

PG : Les projets en Espagne ont une tout autre origine: notre rencontre à New-York en 2008. De retour dans nos pays respectifs, ce hasard qui a lié nos affinités architecturales, nous a motivés dans un premier temps à répondre à des concours d’architecture avec nos structures indépendantes en Espagne et en Suisse, puis de réagir à des opportunités plus grandes comme le projet de La Nave à Madrid. Une œuvre que nous avons réalisée comme partenaires.

KV : Pour le Portugal, il s’agit encore d’une histoire différente. Tout a commencé en 2014 par l’intérêt d’un de nos clients à Genève d’investir dans l’immobilier au Portugal. Nous l’avons d’abord accompagné dans l’expertise de biens fonciers avec plus d’une centaine d’étude de faisabilité. De cette expertise ont émergé deux opérations de logement que nous comptions développer à distance. Fruit du destin, deux de nos collaborateurs de l’époque souhaitaient rentrer à Lisbonne et nous avons saisi cette opportunité pour ouvrir une structure dans ce pays en vue de suivre ces projets in-situ.

De quelle manière votre confrontation à ces autres contextes culturels et normatifs a-t-elle influencé votre manière de concevoir ces projets?

OH : Le fait que nous soyons des équipes basées dans les pays où nous agissons facilite beaucoup la compréhension du contexte. Nous pouvons plus facilement nous adapter aux contraintes locales et développer nos idées en fonction des ressources et des moyens à disposition. Il faut dire que pour y parvenir, la méthodologie de travail est commune aux trois structures, peu importe le lieu d’implantation des projets.

Est-ce qu’inversement vos expériences à l’étranger ont une influence sur votre manière de penser l’architecture en Suisse?

LC : Sans aucun doute. Mettre de côté sa culture et ses réflexes architecturaux pour s’immerger dans de nouveaux contextes est très stimulant. De retour à nos conditions locales, ces voyages intellectuels et ces confrontations à d’autres milieux bâtis sont involontairement mais réellement une source d’inspiration pour nos projets en Suisse. Chaque nouveau projet à l’étranger est une histoire qui en quelque sorte nous réinvente comme architectes.

KV : Comme concepteurs, la distance culturelle que nous avons en travaillant dans d’autres pays est une forme de libération architecturale. Avec ces projets nous apprenons à nous détacher davantage des problématiques et pragmatismes locaux. Notre projet Paso Doble à Lancy en est un exemple. Il s’agit d’une réalisation que je ne conçois pas comme telle, sans notre passage par l’Afrique et le Portugal. En quelque sorte, ces autres contextes sont des «laboratoires» pour tester des solutions que nous pouvons ensuite importer en Suisse.

Vous avez été «hôtes» d’un bureau étranger en Suisse. Comment s’est déroulée votre expérience avec Lacaton Vassal à Chêne-Bourg?

LC : Avec Lacaton Vassal, nous nous sommes retrouvés dans la position inverse d’architecte-traducteur d’une équipe de projeteurs étrangère. Comme pour nous au Portugal ou en Espagne, nous devions adapter la culture architecturale de Lacaton Vassal au contexte normatif et culturel d’un pays qu’ils ne connaissent pas de l’intérieur. Ce qui a priori ne paraissait pas chose évidente, à cause des règlementations et des standards qui ne sont pas les mêmes qu’en France, s’est avérée une réussite et l’une de nos expériences les plus enrichissantes.

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Comment gère-t-on une structure architecturale tricéphale comme la vôtre?

LC : Au départ, nous travaillions par «whorkshops» avec beaucoup d’allers et retours physiques d’un pays à l’autre. Ce système n’était pas une solution durable pour de multiples raisons. Depuis quelques années, et bien avant le covid, nous avons mis en place un système de vidéoconférence très performant qui nous permet entre autres choses de filmer nos croquis en direct ou de montrer des maquettes le plus naturellement possible. Même si, virtuellement, notre objectif est d’avoir la sensation de nous retrouver «à la même table».

OH : Il faut avouer que le processus d’apprentissage pour arriver à la souplesse et à la fluidité avec lesquelles nous travaillons actuellement nous a pris plusieurs années et plusieurs sous-formats de travail que nous continuons de perfectionner.

KV : Un autre aspect essentiel dans la gestion de nos projets à l’étranger, c’est la confiance dans les équipes locales. Ça ne marche que si nous réussissons à tisser des liens étroits avec les équipes locales.

LC : Le fait d’être d’abord des amis, puis des partenaires, a énormément simplifié cette tâche.

KV : En effet, l’amitié a simplifié les choses. Ce n’est pas nécessaire de planifier au millimètre chaque rendez-vous de travail car lors d’échanges plus informels pour parler de la famille, des voyages ou des loisirs, il nous arrive involontairement de résoudre certaines questions architecturales en suspens.

Comment sont perçues en Suisse vos idées importées de vos expériences à l’étranger, notamment par les investisseurs ou promoteurs?

LC : Dans le cas du centre médical au Burkina Faso, s’agissant d’un projet bénévole et donc sans intérêt économique, il a été beaucoup plus simple de faire passer nos idées car tout le monde a le même objectif. Il n’y a pas de rivalité entre maître d’ouvrage et maître d’œuvre. C’est d’ailleurs quelque chose qui nous a impressionnés chez Anne Lacaton. Peu importe les enjeux économiques ou projectuels, elle a toujours trouvé la manière et la capacité de dialoguer et de collaborer avec les maîtres de l’ouvrage.

Certains bureaux se plaignent d’une certaine «concurrence déloyale» par le fait d’externaliser une partie de vos ressources humaines à l’étranger pour répondre à vos commandes. Comment percevez-vous cette problématique?

KV : Nos bureaux sont implantés dans les pays où nous travaillons. Le jour où nous n’aurons plus de projets dans ces pays, nous n’aurons tout simplement plus de bureau. Certes, il y a un effet de «vases communicants» entre nos trois structures mais il arrive parfois que nos collaborateurs en Suisse s’occupent de certains projets à l’étranger malgré le déficit économique que ça engendre.

LC : Nous n’avons pas ouvert nos structures à l’étranger pour soulager nos finances en Suisse. La priorité a toujours été l’échange et la collaboration. Tant que ces expériences nous apportent un bénéfice intellectuel ou méthodologique, nous continuerons à les poursuivre, peu importe les conséquences directes ou indirectes.

PG : Contrairement à la production architecturale des siècles passés, l’esprit de collaboration entre bureaux d’architecture à travers l’Europe est un phénomène qui se généralise de plus en plus. Nous le faisons par exemple avec des structures en Belgique ou en France pour participer à des concours en profitant de l’enrichissement conceptuel ou méthodologique de ces expériences, sans nous soucier de la «propriété intellectuelle» de nos idées.

La Suisse fait souvent l’objet de modèle pour son système de concours publics. Y a-t-il des particularités dans les pays où vous avez travaillé qui pourraient servir d’exemple en Suisse?

LC : Ayant étudié avec Peter Zumthor, notre approche de la matière a toujours été l’un des points qui nous intéresse le plus. Nous essayons d’appliquer cette culture pour le détail d’une manière plus économique ou plus simple à mettre en œuvre. En conséquence, voir que dans d’autres pays comme le Portugal ou l’Espagne, cette approche de la matière, des techniques artisanales, des matériaux recyclés se fait encore «avec les mains» et pas seulement avec la machine, nous donne l’envie d’instaurer davantage cette approche en Suisse.

KV : Je ne crois pas au fantasme de la «feuille blanche» et du tout est permis. Aucun des contextes où nous avons travaillé n’est parfait. Je dirais même qu’avoir des contraintes précises, des lignes directrices claires ou des limites, est une chose importante pour un architecte. C’est ensuite notre capacité à répondre à ce mille-feuille réglementaire et technique qui nous permet d’aboutir à des solutions de qualité.

PG : Je dirais que c’est plutôt l’Espagne qui doit tendre vers des modèles plus «helvétiques» pour ne pas «gaspiller» ses ressources économiques ou territoriales. L’improvisation est très difficile à gérer économiquement et engendre des problématiques indésirables.

KV : L’expérience avec Lacaton Vassal est à nouveau un exemple qui va dans cette direction. Ce qui au départ semblait une bataille impossible avec les services de l’énergie pour valider certains choix de projet, s’est transformé en un dialogue fructueux qui a créé un précédent dans la manière d’analyser les performances climatiques d’un bâtiment.

Quel est l’avenir de vos structures à l’étranger? Que tirez-vous de ces expériences?

PG : Cette aventure qui dure maintenant depuis bientôt 15 ans nous donne une énorme flexibilité pour répondre aux différentes opportunités qui se présentent à nous. Ces dernières années et de manière fortuite, nous nous sommes entourés de bureaux à l’étranger qui travaillent dans les mêmes conditions que nous. Ce réseau décentralisé nous permet d’élargir notre compréhension de l’architecture et, indirectement, de nous protéger face à ce contexte professionnel où les petites et moyennes structures ont peu de chances de survivre sans ces collaborations et ce partage d’intérêts.

KV : L’état d’esprit qui nous a menés à la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui s’est considérablement renforcé ces dernières années par le perfectionnement de nos relations croisées. Nous n’avons aucune vision stratégique ou ambition pour agrandir nos structures à l’étranger, mais tant que ces expériences nous procureront du plaisir, nous continuerons à les poursuivre.

Swissmade - Entretiens :

 

  1. Entretien avec BUREAU | Daniel Zamarbide. Propos recueillis le 23.03.2021
  2. Entretien avec NOMOSKatrien Vertenten, Lucas Camponovo, Ophélie Herranz Lespagnol & Paul Galindo. Propos recueillis le 30.03.2021
  3. Entretien avec JACCAUD ZEIN | Jean-Paul Jaccaud. Propos recueillis le 13.04.2021
  4. Entretien avec CATHRIN TREBELJAHR | Propos recueillis le 20.07.2021

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