Ré­si­dence d'ar­tistes La Becque - Celle que l'on ai­mera en­core lors­qu'elle ne sera plus jeune et belle

Logée sur les rives du Léman, La Becque, inaugurée ce week-end,  est la nouvelle résidence d’artistes qui entend s’imposer très vite comme l’une des références majeures du monde culturel en Suisse. Visite de ce microcosme conçu avec soin par le bureau Pont12.

Date de publication
14-09-2018
Revision
20-09-2018

La Becque est une résidence d’artistes à la Tour-de-Peilz. La parcelle sur laquelle a été érigée la demeure s’incline paresseusement jusqu’au Léman. Depuis l’extrémité du terrain, au bord de l’eau, le regard s’échappe en direction du Valais, dont les flancs incurvés creusent les montagnes. Ici, des herbes folles s’enroulent autour des façades ; là, les reflets vacillants du lac dessinent des arabesques sur les persiennes en bois. Il y a des endroits, comme celui-ci, dont l’insolente beauté fascine le visiteur. On imagine sans peine ce lieu vieillir, se vermouler, prendre cette patine qui confère aux choses leur charme. Le temps ne semble pas être l’ennemi de La Becque, mais son allié. C’est d’ailleurs le temps qui en fera un berceau de la création lémanique, objectif avoué de cette résidence qui ne manque pas d’ambition.

Un héritage en faveur des arts

La relation que La Becque entretient avec les arts existe depuis le début du 20e siècle. C’est dans cette propriété que Françoise Siegfried Meier (1908-2012) – riche héritière et violoniste à la Tonhalle de Zurich – passait ses étés. D’artiste, Françoise Meier a souhaité devenir mécène et faire ériger une résidence d’artiste sur le terrain de son enfance. Même si la violoniste a accompagné la réflexion du projet, ce n’est qu’après sa mort que les travaux ont débuté. Ainsi, le chantier de la Becque, attribué à Pont12 par mandat direct s’est déroulé de 2013 à 2017.

Située sur le flanc est du redent de la Tour-de-Peilz, au début de la ruelle de La Becque, la résidence est composée de bâtiments bas, compacts, qui reproduisent par mimétisme le tissu pavillonnaire environnant. Les six volumes de béton à la toiture végétalisée qui jalonnent le parc s’enfoncent dans un jardin sauvage imaginé par l’Atelier du paysage de Jean-Yves le Baron. C’est Luc Meier, nommé en août 2018 par le Conseil de la Fondation Françoise Siegfried-Meier en tant que directeur général, qui lancera l’appel à candidature ce 14 septembre 2018, afin d’attribuer les premières résidences. Ainsi, la Becque aspire à accueillir des artistes aussi bien novices que confirmés, issus de tous horizons. Les critères de sélection seront établis par un jury transdisciplinaire, qui ambitionne de trouver des créateurs et créatrices dotés d’un riche parcours et porteurs d’une intention forte. En outre, il examinera tout particulièrement les candidatures qui s’appuieront sur des projets explorant des thèmes liés à la nature et à la technologie. L’objectif de la Fondation est clairement avoué : elle souhaite préparer une relève artistique d’excellence

Des pavillons dans un jardin sauvage

Le visiteur qui longe la ruelle de La Becque, puis franchit le portail du domaine se retrouve face à deux constructions qui reçoivent les locaux communs: la première abrite la bibliothèque, quatre ateliers de 30m2 chacun et une large salle de réception pouvant accueillir une centaine de personnes ; la seconde construction, aux allures de petit immeuble d’habitation, héberge l’administration, un espace de travail ainsi que quatre chambres équipées, réservées aux courts séjours.

En poursuivant sa promenade dans le jardin sauvage, le visiteur découvre les quatre pavillons d’artistes construits en quinconce. Chacun comprend deux appartements qui s’ouvrent de plain-pied sur les herbes folles du jardin. D’une surface de 80 m2, chaque appartement est doté d’une chambre à coucher, d’un vaste séjour-atelier ainsi que d’une salle de bain. La chambre, éclairée par une étroite porte-fenêtre qui donne sur la terrasse, ainsi que par un percement zénithal, est un espace plutôt introspectif, par opposition au séjour-atelier qui s’ouvre sur le paysage par une baie vitrée. L’intimité de ce grand espace est assurée par une peau de bois qui court autour de la terrasse. Elle peut être tirée à loisir et ainsi protéger les occupants des rayons du soleil, des visiteurs indiscrets, ou même de la vue trop éclatante du Léman, lorsque celle-ci rend la concentration délicate.

Un espace modulable

Les séjour-atelier recèlent un dispositif ingénieux qui fait écho au plus grand fantasme d’écrivain: posséder un passage dérobé dissimulé dans le fond de sa bibliothèque. Mais faute de château aux murs épais, le dispositif s’adapte à la modernité du plan libre : ainsi la bibliothèque, imposante structure de bois articulant le séjour, se déplace autour d’un axe de rotation. Élément mobile qui permet de configurer plusieurs dispositions au sein du salon, elle peut alors séparer l’alcôve de la cuisine du reste de l’appartement, installer une séparation franche entre un espace de réception et un espace de travail, ou encore se placer en diagonale et laisser ainsi flotter de manière uniforme les espaces qui l’entoure.

Certes, l’esthète regrettera sans doute l’emploi un peu trop systématique de détails standardisés au sein des deux bâtiments communs, là où justement il aurait voulu voir l’empreinte de l’architecte sur les poignées des portes et les balustrades des gardes-corps, comme une invitation à s’engager dans l’ambitieux projet artistique que se destine à être La Becque. Heureusement, d’autres aspects du projet développent un goût affirmé pour le travail de la matérialité. Cette envie se lit dans la serpentine du Val d’Aost utilisé pour le cheminement au travers du jardin, mais aussi dans les délicats éclairages en laiton, ou encore dans les différents types de bois précieux mis en oeuvre. La poésie et la rigueur des architectes et des artisans culminent finalement dans la construction des quatre pavillons d’artiste.

En alliant avec nonchalance le pragmatisme et la créativité exigée par un tel lieu, Pont12 compose un projet dont le programme fait rêver, et qui ne faillit pas dans sa réalisation.

 

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