The Play­ground Pro­ject

L’exposition qui vient de se terminer le 15 mai dernier à la Kunsthalle de Zurich et le catalogue auquel elle a donné lieu constituent une remarquable tentative de sortir de l’oubli les grandes étapes de l’évolution des aires de jeux au 20e siècle.

Date de publication
24-05-2016
Revision
26-05-2016

The Playground Project regroupe des réalisations des quatre coins de la planète, datant pour l’essentiel de 1950 à 1980. S’efforçant de penser le sujet au-delà de l’innovation plastique, le décryptage de Gabriela Burkhalter1 aborde les aspects sociologiques et politiques.

Des terrains d’aventures dans les décombres des villes européennes bombardées, aux parcs métabolistes japonais des années 1970, le tour d’horizon que propose l’ouvrage donne à voir un esprit partagé, entre des réalisations distinctes. 

Il permet surtout d’établir à quel point certaines aires de jeux préfigurent une conception de l’urbain, tantôt généreuse, ouverte et participative, tantôt épurée et structurante. La place faite aux enfants dans l’espace public serait-elle un indice sur le type de ville que l’on souhaite mettre en place? Si la recherche de Burkhalter ne répond pas directement à cette question, elle livre la plupart des éléments nécessaires pour y répondre. 

Situation et spatialité des aires de jeux,miroirs de la ville

Ce qui caractérise certaines aires de jeux de la seconde moitié du 20e siècles, c’est la volonté de mettre en place des dispositifs qui vont permettre le jeu libre, de préférence sans surveillance. Si cela devient soudain une nécessité, c’est que la modernisation est en train d’expulser les enfants de la rue. L’arrivé de l’automobile, l’habitat de masse et la métropolisation des grands centres urbains chassent les enfants du milieu qu’ils occupaient tout naturellement : les délaissés, les terrains vagues et les rues secondaires.

La réplique de certains architectes et urbanistes à cette éviction sera d’essayer de freiner ce repli. Le travail d’Aldo van Eyck pour la ville d’Amsterdam reste emblématique de ce désir de maintenir les enfants dans la rue. S’y ajoute une véritable reconnaissance d’une «fonction» urbaine au jeu des enfants. La présence des enfants dans l’espace public est, pour le grand architecte structuraliste, un élément constitutif de l’urbanité. 

L’ouvrage de Burkhalter a le mérite d’étayer cette idée avec de nombreux cas bien moins connus. Au modèle de van Eyck d’une activation des parcelles vides par des micro-aires de jeux disséminées dans le tissu urbain, viennent s’ajouter d’autres interventions emblématiques, souvent oubliées. 

Les aires de jeux brutalistes du New-Yorkais Richard Dattner sont caractéristiques de cette extension des champs de références que l’ouvrage rend possible. Connues aux Etats-Unis pour les nombreuses polémiques qu’elles ont générées, notamment par des mouvements NIMBY (Not In My BackYard) qui s’y sont opposés, les aires de jeux de Dattner posent la question des enjeux socio-économiques du partage de l’espace public.

Situées, pour certaines d’entre elles, dans les parties huppées de Central Park, elles ont suscité une levée de boucliers de la part de riverains qui redoutaient l’arrivé massive dans leur pré carré des habitants du nord du parc, essentiellement afro-américains. Dattner s’est ainsi retrouvé au cœur d’une polémique émanant d’une planification urbaine socialement, pour ne pas dire racialement clivante. Une partie des nombreuses aires de jeux qu’il a réalisées à Central Park ont depuis fait l’objet d’une rénovation quasi patrimoniale, la dernière datant de 2015. 

The Playground Project fait aussi une part importante à un collectif mythique de l’esprit de 1968. A Paris, Group Ludiq est à l’origine de l’aménagement par ce CCI2 d’une aire de jeux dans un des pavillons des Halles Baltard désaffectées. Le lieu sera pendant quelques années une parfaite illustration des théories situationnistes du détournement. Un édifice fonctionnel, transformé avec peu de moyens en espace consacré au jeu. Ironie de l’histoire, la touche de Group Ludiq, notamment les espaces sphériques praticables, semble avoir influencé le nouveau terrain d’aventures imaginé par le sculpteur Henri Marquet, livré en 2013 dans le cadre de la rénovation du jardin des Halles. 

Une des idées les plus intéressantes de la recherche de Burkhalter consiste à expliquer l’apparition des aires de jeux comme une réaction aux catastrophes, humaines ou naturelles. Y aurait-il des vertus cathartiques dans l’activité des enfants ? Au-delà des terrains d’aventures européens, il est question des aires de jeux japonaises, étroitement corrélées à des destructions massives comme les tremblements de terre. Les aires de jeux du sculpteur Isamu Noguchi ne viennent pas seulement combler le vide laissé par des catastrophes naturelles. Elles ont aussi pour fonction de constituer des terrains pouvant être réutilisés pour héberger dans l’urgence des rescapés. Il en va ainsi de certains jeux conçus pour pouvoir être transformés et accueillir des équipements d’urgence.

De Paris à New York en passant par Copenhague et Tokyo, The Playground Project dresse un formidable inventaire d’usages partagés autour d’une fonction précise: le jeu des enfants. A une époque où les enfants sont de plus en plus tôt appelés à entrer dans la sociabilité individualisante des supports numériques, la recherche de Burkhalter pourrait constituer un appel à maintenir la sociabilité des enfants de tous âges dans l’espace public.

The Playground Project    
Gabriela Burkhalter, Kunsthalle Zurich, JRP|Ringier, Zurich, 2016 / CHF 48.–

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