Phase 2, retour sur terre
Conçu par Herzog & de Meuron et Michel Desvigne, le second acte de Confluence, côté Rhône, entre en chantier et semble annoncer une vision de la ville durable plus sobre et pragmatique. Analyse
En 2009, les architectes bâlois Herzog & de Meuron, associés à MDP Michel Desvigne, sont retenus pour concevoir la phase 2 (ZAC 2) de Lyon Confluence. Dans un entretien avec Frédéric Lenne1, Gérard Collomb, maire de la ville et président du Grand Lyon, ne fait pas mystère des raisons de ce choix. S’il avoue « ne pas avoir été emballé par leurs premières propositions », Herzog & de Meuron sont « une référence », ils ont réalisé de « grandes œuvres dans le monde » et de « super beaux projets » qu’il a découverts lors d’une visite à Bâle.
Ville de l’âge IV ?
Pour cette deuxième phase, Herzog & de Meuron, soutenus par la société publique locale (SPL), opèrent en toute discrétion un virage radical. S’ils inscrivent eux aussi leurs îlots dans une trame existante classique la structure répétitive du marché gare ils prennent résolument le contre-pied d’un certain nombre de principes posés dans la phase 1, se livrant en creux à une analyse critique. Règles de gabarit des bâtiments et d’aspect esthétique des constructions (le camaïeu de blanc domine), organisation de la mixité à l’échelle de l’îlot, rapport au patrimoine existant, tout est requestionné. La SPL de son côté semble adopter une posture différente en matière de développement durable, délaissant la surenchère technologique au profit de l’évolution des comportements, notamment en matière de gestion du stationnement.
Le plan masse définit deux secteurs, le « marché », quartier dense et mixte installé sur les vestiges du marché-gare, et le « champ », situé à la pointe sud de la confluence, qui s’affranchit de la trame orthogonale et du système d’îlots. Il dispose au milieu du parc arboré des cheminements piétons publics et de pavillons dédiés aux entreprises innovantes. Les images, séduisantes, montrent un paysage ouvert et densément végétalisé, évoquant les campus à l’américaine. De nouveaux ponts et passerelles sur le Rhône et la Saône achèvent de connecter le quartier au reste de l’agglomération. Enfin, on n’ose évoquer les deux tours signal, symbolique d’entrée de ville premier degré, qui persistent à être dessinées sur les plans, de peur qu’elles ne finissent par se construire.
Pour concevoir cette deuxième phase, Herzog & de Meuron en appellent tout d’abord à l’identité de la ville, la prédominance du blanc étant censée faire écho à la couleur des bâtiments haussmanniens de la presqu’île et de la rive gauche du Rhône, par contraste avec les immeubles Moyen Age et Renaissance des bords de Saône, très colorés. Les espaces publics, traités très simplement en stabilisé, s’inscriraient eux aussi dans la tradition de l’espace public lyonnais. Artifice de communication ? Sans doute faut-il voir d’abord dans ces déclarations d’intention la volonté d’un retour à la sobriété. En gros, il est temps de siffler la fin de la récréation. La ville de la phase 2 sera donc monochrome, recyclera 30 % des bâtiments du marché gare (45 modules de halles) et s’autorisera les « immeubles de belle hauteur », euphémisme pour qualifier des bâtiments de 16 étages, quand les immeubles de logement de cette hauteur se comptent sur les doigts d’une main dans le centre-ville et que Confluence 1 plafonne à R+6 ou R+7. A la diversité architecturale de la phase 1, Herzog & de Meuron opposent la rigueur constructive et esthétique, signant au passage le retour aux formes simples des tours et des barres. Aux gabarits identiques, ils confrontent les « typologies hétérogènes ». On trouvera ainsi des maisons de ville R+2, des R+5 et 6 qui constituent la majorité de l’opération, des R+8 et 9, ainsi qu’une dizaine de R+15 et 16 accueillant des logements.
En matière de paysage aussi, les choses évoluent. L’esplanade François Mitterand, récemment livrée par Michel Desvigne face à l’Hôtel de Région et en « fond de scène » de la darse, est emblématique d’une nouvelle proposition pour le traitement des espaces publics de la phase 2. Plus que sobre, elle revient aux fondamentaux : une surface uniforme en stabilisé, plantée de deux essences frênes et chênes et ponctuée de bancs noirs. Aucune strate arbustive, à peine quelques jeux d’enfants. A l’échelle de la phase 2, la stratégie paysagère mise en place repose sur un principe de « cours jardinées ». Ces rues et passages publics, cœurs d’îlots privés, très plantés et en pleine terre, marquent un réancrage au sol par rapport à la phase 1, dans laquelle les cœurs d’îlots étaient majoritairement sur des dalles de parkings, incapables de produire des espaces agréables à vivre. Cette volonté de retrouver le « vrai » sol va de pair avec une politique de gestion du stationnement expérimentale et très ambitieuse. Deux parkings mutualisés de 1000 places chacun (sur six niveaux de sous-sol) seront en effet construits sur le quai Perrache, au bord du Rhône, pour accueillir aussi bien le stationnement résidentiel que les salariés, visiteurs et commerçants, en tenant compte des variations des taux de présence en fonction des heures de la journée. Dans les îlots, une partie seulement du stationnement s’organisera sous les bâtiments, sur un seul niveau de sous-sol afin de préserver la nappe phréatique et de libérer un cœur d’îlot en pleine terre. Les places manquantes seront réservées dans l’un des deux parkings mutualisés.
Symptomatique enfin d’une nouvelle approche, la procédure de consultation des opérateurs évolue également. Alors que la SPL sélectionnait des couples promoteurs-concepteurs sur la base d’un concours, donc d’une image, elle choisit désormais un promoteur seul, remettant le programme et l’innovation au cœur du projet.
A3, prototype
L’analyse du premier îlot de la phase 2, « A3 », en cours de commercialisation, laisse entrevoir ce que sera cette nouvelle vision de la ville. Pour cet îlot qui a valeur de démonstrateur, la SPL a d’abord sélectionné un promoteur, Icade, sur ses capacités à répondre aux valeurs du projet (innovation, qualité architecturale, enjeux environnementaux). A titre exceptionnel, elle a confié à Herzog & de Meuron le rôle d’architecte coordonnateur, ainsi que la maîtrise d’œuvre d’une tour, et à Michel Desvigne la réalisation des « cours jardinées ». D’autres architectes ont ensuite été choisis pour assurer la « diversité » architecturale de l’îlot. En réalisant eux-mêmes, les urbanistes en chef de la ZAC 2 entendent bien donner le ton.
Si l’on observe la configuration de l’îlot, on constate une simplification des formes architecturales marquant le retour à la tour et aux barres. Dans cet îlot qui comporte huit bâtiments indépendants les uns des autres, les hauteurs sont variées, du R+2 au R+16. La halle aux fleurs, vestige du marché gare, est reconvertie en centre sportif. Le cœur d’îlot en pleine terre accueille une crèche surmontée de logements en duplex, deux cours jardinées fermées, espaces privés dédiés aux habitants de l’îlot et un passage public traversant. Sur rue, les fronts urbains ne s’alignent pas systématiquement comme dans la phase 1, mais présentent des décrochés ou des retraits pour générer des surlargeurs de trottoirs.
En convoquant pour cet îlot la crème de l’architecture suisse alémanique (Manuel Herz et Christian Kerez) et une jeune architecte mexicaine multiprimée, Tatiana Bilbao, Herzog & de Meuron affirment leur volonté de rompre ostensiblement avec le façadisme bariolé de la phase 1. La façade de leur tour s’inscrit dans « une trame répétitive et régulière qui rappelle la sobriété et le raffinement des bâtiments historiques lyonnais », l’un des bâtiments de Tatiana Bilbao est un « volume de béton blanc matricé », celui de Christian Kerez « une structure presqu’industrielle », qui développe un langage classique, avec « un socle en béton estampé, une partie centrale en béton vibré et un couronnement en béton fibré centrifugé ». Retour à la matière brute, logique de tectonique, récit constructif mettant en scène les structures, l’îlot A3 a des allures de manifeste de la culture constructive suisse. La rupture avec la phase 1 est si évidente qu’elle pourrait passer pour donneuse de leçons.
En terme de programmation, s’il y a bien une mixité à l’échelle de l’îlot, l’imbrication programmatique prônée et mise en œuvre en phase 1 (le Monolithe) est remise en cause. Ici, les bâtiments dédiés à l’activité tertiaire sont indépendants, de même que les immeubles de logements sociaux. Seuls les commerces et activités trouvent leur place en rez-de-chaussée. Ce même principe d’autonomie des programmes est retenu à l’échelle de tout le secteur du marché, marquant peut-être une volonté de simplifier les montages opérationnels et la gestion des copropriétés, et de faciliter la commercialisation. On sait que les investisseurs ne sont pas toujours favorables à ce type d’assemblages.
Cette deuxième phase sera-t-elle capable de produire la ville durable tant espérée, non pas celle qui barde ses immeubles de technologie environnementale, mais celle qui offre un cadre propice à la qualité de vie des habitants, un développement urbain à long terme et une mutabilité des programmes ? Nous verrons. En matière de projet urbain, la Métropole de Lyon ne semble pas encore avoir trouvé sa voie. La Cité internationale conçue et entièrement réalisée par Renzo Piano dans les années 1990 a produit un quartier uniforme et sans vie. Confluence 1, comme d’autres projets urbains de la même période en France, s’est égarée dans une architecture débridée et extravertie sans aucun rapport avec l’identité de la ville. Enfin, Confluence 2, moins de cinq ans après la livraison des premiers bâtiments de Confluence 1, invente encore une nouvelle forme de « ville variée », plus attentive aux marques du passé.
Au delà de la forme urbaine, la question est celle de cet urbanisme de ZAC2, qui produit à marche forcée, le temps d’un mandat municipal, des morceaux monolithiques de la ville de demain, sur des modèles qui se périment tout aussi rapidement. La ville se constitue par sédimentation. Nous ne sommes plus à l’heure des grands projets d’extension, mais à celle de la reconstruction de la ville sur elle-même, dans ses interstices, avec les habitants, les bâtiments, le paysage qu’elle nous lègue, et dans une forme d’économie plus sobre. C’est peut-être sur ces bases que la pérennité de la ville que nous imaginons aujourd’hui peut se fonder.
Notes
1. «Défis de ville», Le Moniteur, 21 janvier 2010.
2. Zone d’aménagement concerté.