Lyon Con­fluence phase 1, tête de gon­dole

En l’espace de cinq ans, les anciennes friches industrielles et portuaires des bords de Saône sont devenues une vitrine de l’architecture contemporaine et de la ville durable. Visite

Date de publication
26-02-2015
Revision
25-10-2015

Tout a été dit sur le projet urbain Lyon Confluence, porte-étendard de la politique de rayonnement international de la métropole lyonnaise depuis plus de dix ans. Vendu au MIPIM, au SIMI1 et dans tout ce qui compte en matière de salons de l’immobilier internationaux, largement mis en scène et commenté dans de nombreuses publications, Confluence est l’un de ces multiples quartiers bâtis sur des friches industrielles et portuaires qui renouvellent l’image des agglomérations à coup de discours emphatiques sur le développement durable et la smart city. Lauréat du programme européen Concerto2 depuis 2005, du palmarès Ecoquartier du Ministère de l’écologie et du développement durable en 2009, labellisé Quartier durable WWF, démonstrateur de la « ville intelligente » grâce à son partenariat avec le Nedo, agence publique japonaise de soutien à l’innovation, il accumule les récompenses et multiplie les partenariats. 

Alors que la première phase est en voie d’achèvement, et que la seconde n’a pas encore débuté, une visite ­s’impose pour voir de plus près, au-delà des prouesses technologiques impossibles à évaluer, des discours et des images promotionnelles, quels environnements et quelle qualité de vie ce quartier est capable de générer, pour aujourd’hui et pour demain. 

A la pointe sud de la presqu’île de Lyon, le quartier de Confluence s’étend sur 150 hectares entre le Rhône et la Saône, coincé entre les voies ferrées et le centre d’échanges de Perrache au nord, et l’autoroute Paris-Marseille à l’est. Gagné sur les eaux à la fin du 18e siècle, ce secteur accueillait dans un passé récent, autour du quartier ouvrier de Sainte-Blandine, les activités indésirables dans le centre-ville : les prisons Saint-Paul et Saint-Joseph, des industries chimiques, les abattoirs, les voies ferrées, le port Rambaud sur la Saône et le marché gare à partir des années 1960. Le déclin de l’activité industrielle à la fin du 20e siècle et la libération de vastes tènements a offert à la Métropole l’opportunité de réaliser là un grand projet urbain pour étendre son centre-ville en en doublant la superficie. Créée à la fin des années 1990, la SEM3 Lyon Confluence, a missionné l’équipe constituée de l’urbaniste François Grether et du paysagiste Michel Desvigne pour concevoir la première phase du projet (ZAC 1), sur un territoire de 41 hectares en bord de Saône. Côté Rhône, il faudra encore attendre 2009 et la libération des terrains du marché gare pour lancer la phase 2 (ZAC 2), confiée à Herzog & de Meuron et Michel Desvigne. 

Centralité autonome


Aujourd’hui, tous les ingrédients de la centralité sont déjà là : une gare, un tramway, des commerces, un cinéma, un musée, des équipements publics, des emplois, des logements. La mixité et l’équilibre des programmes produit de l’intensité et de l’urbanité, en somme de la ville, et en cela Confluence remplit son contrat. Si on ne peut pas réellement parler d’extension du centre-ville, au moins tant que les liaisons à travers le centre d’échanges de Perrache n’auront pas été améliorées, Confluence fonctionne comme une centralité autonome, qui génère son propre rayonnement, à l’échelle du quartier élargi et du sud de l’agglomération. Par son caractère exceptionnel, nouveau et spectaculaire, plus sans doute que par son ambition environnementale, Confluence intrigue et attire. De nouveaux habitants, qui évoquent un très fort sentiment d’appartenance à ce quartier, lié à la sensation d’être des pionniers, des entreprises séduites par son image innovante, mais également des visiteurs et des touristes.

Comment s’organise cette première ZAC4 ? Côté Saône, le site est exceptionnel. Le paysage de la rivière et des balmes, ces collines boisées qui surplombent Confluence, s’insinue au cœur du quartier sous la forme de prairies et de bassins, d’une darse monumentale et d’un jardin public en cœur d’îlot. Un réseau de places s’insère dans une trame urbaine découpée en îlots prolongeant celle du quartier Sainte-Blandine. L’intensité se polarise naturellement aux abords de l’arrêt de tramway qui dessert le quartier et du centre commercial positionné au bord de la darse, face au bloc massif du siège de la Région Rhône-Alpes (Christian de Portzamparc). C’est là que se concentrent les principaux flux d’usagers et de visiteurs, tandis que le calme règne, et ce n’est pas un mal, dans les secteurs plus résidentiels. Le projet ayant pris le parti de limiter la place de la voiture dans l’espace public (stationnement sous îlots, peu de voies circulables), toute la partie ouest du quartier, proche des rives de Saône, et les abords de la darse sont ainsi réservés aux piétons. L’ambiance est ici quasi balnéaire, baignée dans un silence étrange et agréable, surprenant en pleine ville.

Zoo d’architectes


« Lyon Confluence sera un quartier contemporain, non pas tant dans le projet urbain en lui-même ou dans l’aménagement des espaces publics, qui restera assez traditionnel, mais plutôt dans l’architecture des bâtiments choisis. Le projet urbain pose un cadre, puis les concours d’architecture ont pour objectif, sur chaque bâtiment, de recevoir des propositions très plurielles, à l’image de notre époque et des nombreux courants de l’architecture contemporaine ». C’est ainsi que François Grether exposait sa vision de Confluence en 2006. 

Opération symptomatique du « projet urbain à la française »5 tel qu’il s’est développé un peu partout sur le territoire à la même époque (Masséna, Boulogne-Billancourt, caserne de Bonne à Grenoble...), Confluence s’organise donc en îlots bâtis disposés sur une trame viaire classique, attribués à différentes équipes de promoteurs-concepteurs, qui travaillent dans le cadre du cahier des charges établi par François Grether. Pour conjurer l’image des tours et des barres des années 1960-1970, ici comme ailleurs, la diversité a été prônée, jusqu’à l’écœurement : failles, décrochés de façade, porte-à-faux monumentaux, peaux de toutes textures et couleurs, moirées, brillantes, réfléchissantes, métalliques, vitrées, orange, vert, bleu. La tête nous tourne comme au manège. Cette diversité, héritée du principe de l’îlot ouvert et de la ville de l’âge III théorisés par Christian de Portzamparc, produit une juxtaposition d’architectures sculptures, un « style français » parfaitement générique, qui s’est imposé à Paris autant qu’à Lyon ou à Grenoble, au mépris des spécificités locales. Au milieu de ce grand parc d’attraction, le seul immeuble en béton brut et volets bois fait figure d’intrus. 

A Confluence, tout est donc exceptionnel. Logements, sièges d’entreprise, centre commercial, musée, tous les bâtiments, quel que soit leur programme, sont traités comme des objets singuliers. Dessinés par des architectes différents, qui ont à cœur d’exprimer leur singularité, ils ne semblent pas éprouver le besoin d’instaurer un quelconque dialogue entre eux, même lorsqu’ils sont accolés au sein d’un même îlot, et ne trouvent de cohérence que dans leurs gabarits.

On peut aimer ou pas ce paysage bigarré qui n’est pas sans évoquer un combat de coqs, à qui saura se parer du plus beau plumage. Mais, alors que la question du développement durable est la pierre angulaire de ce quartier, on peut s’interroger sur l’écologie et l’économie de ces bâtiments : multiplication des matériaux, provenance incertaine de ces bardages qui révéleraient sans doute, si on les mettait à nu, des couches d’isolants peu écologiques de compositions diverses... Ces multiples peaux et capots sauront-ils résister dans le temps ? Une chose est sûre, leur caractère si ostensiblement contemporain ne peut manquer, très vite, de se démoder. Déjà, comme sous l’effet d’une gueule de bois, les dernières opérations de la phase 1 reviennent à une certaine sobriété des matières et des couleurs. La phase 2 orchestrée par Herzog & de Meuron, prenant résolument le contre-pied de la première, va confirmer cette tendance. 

Un paquebot dans la darse


Pudiquement nommé pôle de loisirs et de commerces, le centre commercial (photo) de 53 000 m² SHON phagocyte l’un des meilleurs emplacements du projet, au bord de la darse, pour n’offrir au paysage et au public que ces façades opaques et monotones sur 300 mètres linéaires. Filant une énième fois la métaphore du paquebot, dont il a effectivement la lourdeur, le bâtiment se présente comme un socle de deux étages de commerces, bardé de bois, surmonté d’une « toiture ciel » de deux hectares, réalisée en coussins d’air en tétrafluoroéthylène (TFE), à peu près aussi légère que le « cristal nuage » du musée des Confluences. Comme ses voisins des lots A, B et C, il a été l’un des premiers à sortir de terre, à l’issue de ce que Pierre Joutard, directeur général délégué de la SPL, a appelé des « consultations chocs », produits d’appel pour Confluence garantissant la venue de grands opérateurs sur ce quartier alors en devenir. La logique commerciale d’Unibail-Rodamco, gestionnaire du centre, semble ici avoir primé pour produire un bâtiment totalement introverti, un bloc autonome qui ne joue pas le jeu de l’urbanité. L’architecte Jean-Paul Viguier a bien imaginé une rue intérieure traversante, mais elle se termine en cul-de-sac sur un magasin Zara qui s’est approprié la porte de sortie sur la Saône. Face aux jardins aquatiques et à la balme, là où la lumière du soir est la plus belle, rien ne peut se passer sur les quelques centaines de mètres carrés de béton nappés au pied de cette façade muette. Côté darse, les boutiques présentent aussi leurs arrières. Enfin, au sud, les 300 mètres de façade sont dédiés aux accès livraisons et parking. 

Hangars décorés


Le rapport de Confluence à son histoire industrielle reste ambigu. Le projet a beau en appeler à la mémoire des lieux, c’est l’impression de table rase qui domine et le traitement des quelques bâtiments et vestiges qui pouvaient être conservés laisse perplexe. Au sud de la darse subsistent deux grues de l’ancien port, des rails de train et trois bâtiments : la Sucrière, les Salins et l’entrepôt des douanes. La première, sommairement aménagée dans un premier temps, a fait figure de pionnière quand le site était encore à l’état de friche, en accueillant dès 2003 les biennales d’art contemporain. Aujourd’hui, à force de réhabilitations, d’ajouts, de plugs et de mises aux normes, elle est devenue un objet architectural parmi d’autres, dont la singularité tend à s’effacer. De même, le bâtiment des Salins disparaît à côté de l’excroissance cubique orange parfaitement gratuite dont il s’est vu affublé, siglée Jakob+MacFarlane (photo). L’entrepôt des douanes, résillé de noir, ne peut non plus s’empêcher d’accrocher à ses balcons ce qu’on imagine être une œuvre d’art : des grenouilles, oranges elles aussi. Reniant la belle sobriété de leur architecture, qui n’exprimait rien d’autre que leur fonction, en se parant de bardages, balcons largement décrochés en façade, escaliers extérieurs, ces bâtiments cherchent à gesticuler aussi fort que les nouveaux. Les grues et les rails du port Rambaud sont quant à eux réduits à une fonction quasi décorative. Quel intérêt dans ces conditions de préserver ces signes d’une histoire récente qui, dissous dans ce nouveau quartier, finissent par perdre leur sens ?

Habiter sous le capot


Que se passe-t-il sous la peau des bâtiments ? Une fois déshabillés, qu’ont-ils à offrir à leurs habitants, en termes de surfaces, de confort, d’intelligence des espaces ? Si certains appartements proposent quelques belles surfaces et des situations exceptionnelles, notamment pour ceux qui ont la chance d’habiter dans les étages élevés, la plupart s’en tiennent à des typologies classiques, normées par les contraintes des promoteurs et des bailleurs. A titre d’exemple, certains 3 pièces en cours de commercialisation plafonnent à 59 m². Quelles capacités de transformation peut offrir ce type de logement ? Pourra-t-on vivre longtemps dans des espaces qui n’offrent aucune latitude, aucun espace résiduel, aucune hauteur sous plafond pour créer des mezzanines, aucune cloison à abattre, aucun dressing à transformer en salle de bains ? Pour compenser ces petites surfaces, plusieurs opérations développent des formes d’extension des logements : coursives et paliers généreux, terrasses et balcons, vastes halls d’entrée. Ces extensions, largement théorisées par les architectes (l’intérêt des circulations à l’air libre, les paliers appropriables, susceptibles de créer du lien social, les seuils depuis le dedans vers le dehors), sont aussi devenues des arguments de vente pour les promoteurs. Aujourd’hui, le peu d’appropriation dont elles font l’objet pourrait laisser penser que l’on surinvestit les pratiques des habitants et leur envie de « vivre ensemble ». On est loin en effet des terrasses cultivées, des balcons bariolés et d’une certaine idée de vie en communauté des opérations d’habitat coopératif suisses ou allemandes. Le modèle de Fribourg-en-Brisgau, cet idéal d’habitants responsables, écolos, jardiniers, capables de créer un petit paradis sur le seuil de leurs portes et d’entretenir volontairement, gratuitement et avec le sourire les parties communes est-il soluble dans notre culture latine ? L’avenir nous le dira. 

Au-dela de la question des surfaces, la configuration en îlots denses et assez épais, particulièrement dans les trois premières opérations A, B et C, génère des situations inconfortables. Parce qu’elle oblige à créer des failles et des courettes pour amener la lumière au cœur de l’îlot, certaines fenêtres, voire des balcons, se retrouvent en vis-à-vis et à l’ombre. Dans le Monolithe (photo), les logements et bureaux orientés sur un cœur d’îlot démesuré baignent dans une pénombre triste. Les portes-fenêtres de certains appartements ouvrent de plain-pied sur la dalle béton nu, sans transition. On a peine à imaginer que les habitants puissent sortir une table et des chaises sur cet espace hors de proportions, fréquenté le jour par le public et les salariés des entreprises, offert à la vue de tous. On pourrait citer aussi des balcons et terrasses situés en rez-de-­chaussée au niveau de la rue, surexposés aux regards, ou des vis-à-vis malheureux autour d’un jardin public en cœur d’îlot. Toutes situations qui auraient sans doute pu (ou dû) être réglées par le cahier des charges de la ZAC. 

De la cellule de logement à l’immeuble, et jusqu’à l’îlot et la trame, la question de la durabilité de la ville à venir reste entière sur Confluence 1. La phase 2 qui commence y apportera peut-être de meilleures réponses. 

Stéphanie Sonnette, juriste et urbaniste de formation, membre de la rédaction de la revue criticat, est rédactrice spécialisée en aménagement urbain.

 

 

Notes

1. Le Marché international de l’immobilier (MIPIM) et le Salon de l’immobilier d’entreprise (SIMI) sont deux grandes foires de l’immobilier qui ont lieu en France, respectivement à Cannes et à Paris. 
2. Le programme européen Concerto encourage les établissements publics de coopération intercommunale à développer des projets urbains majeurs exemplaires en matière d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables: réhabilitation de sites existants ou création de nouveaux quartiers.
3. Société d’économie mixte, rebaptisée aujourd’hui SPL (société publique locale).
4. Zone d’aménagement concerté.
5. Ariella Masboungi, Projets urbains durables : stratégies, éditions du Moniteur, Paris, 2012

 

Chiffres clés

Territoire du projet : 150 hectares
Foncier mutable : 70 hectares
Phase 1 : 41 hectares – 400 000 m² SHON
Phase 2 : 35 hectares – 420 000 m² SHON
Nombre d’habitants : 7000 aujourd’hui (quartier Sainte-Blandine) ; 10 500 à la fin de la phase 1 ; 16 000 à terme
Nombre d’emplois : 7000 aujourd’hui ; 14 000 à la fin de la phase 1 ; 25 000 à terme

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