«L’im­mo­bi­lier va de­voir se réin­ven­ter»

Pour Pascal Bärtschi, CEO de Losinger Marazzi, les questions de durabilité, de coût, de bilan carbone et de flexibilité du bâti doivent être prises en compte dès la conception du projet, et jusqu’à son exploitation, selon une approche globale.

Date de publication
29-01-2024

Cet entretien a été mené dans le cadre du dossier de la revue TRACÉS (janvier 2024) sur la relation entre les architectes et les promoteurs

Tracés: Quel est le modèle d’affaires de Losinger Marazzi?
Pascal Bärtschi:
Losinger Marazzi est un développeur-constructeur. Nous ne sommes pas promoteurs parce que nous n’achetons pas de terrains1. Nous sommes rémunérés pour notre capacité à développer un projet sur un terrain, à donner de la valeur à un foncier, mais nous ne retirons aucun bénéfice de l’achat ou de la vente de terrains ou de biens immobiliers. Ce positionnement implique que nous soyonås extrêmement pertinents dans nos développements: l’investisseur qui va acheter le terrain doit être convaincu non seulement par le terrain mais également par le projet que nous lui proposons, que ce soit sur les aspects urbanistiques et architecturaux, le segment de marché adressé ou encore le bilan économique. En tant que prestataire global, nous assumons la responsabilité de l’ensemble de la chaîne de production de valeur, hors achat de foncier, depuis l’identification des besoins et des utilisateurs finaux jusqu’à la remise des clés, en passant par tout le développement du projet, ce qui permet à notre client d’avoir un interlocuteur unique tout au long du processus.

Sur quels types de marchés, de projets et de territoires vous positionnez-vous?
Ces 15 dernières années, Losinger Marazzi s’est positionné sur des écoquartiers, des grandes opérations de construction neuve. Aujourd’hui, les choses ont changé. Il y a de plus en plus de freins au développement de ces grands quartiers, ceci de par les oppositions aux projets de densification, la volonté de la main publique de maîtriser le logement et le fait que la construction est considérée comme génératrice de CO2 et consommatrice de ressources. Nous devons donc opérer un repositionnement sur la transformation de bâtiments ou de quartiers existants qui arrivent en fin de vie ou dont les usages sont obsolètes. C’est ce qu’on appelle la régénération urbaine. Ces opérations permettent de revaloriser des bâtis en fin de vie, de redonner de la valeur aux bâtiments voisins grâce aux nouveaux services et usages générés par le projet. Ces projets sont ainsi mieux acceptés par l’écosystème parce que le bâti, les volumes sont déjà là.

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Comment travaillez-vous avec les équipes de mandataires?
La qualité d’un projet ne tient pas seulement à sa qualité architecturale, mais aussi à sa capacité à résoudre une équation économique, à répondre aux enjeux environnementaux, au potentiel de transformation du bâti. Tous ces paramètres doivent être pris en compte, ce que ne permet pas à mon sens un concours type SIA 142, dont les critères de jugement sont très majoritairement liés à l’architecture. L’architecte qui gagne un concours se sent souvent investi d’une mission et sa flexibilité n’est pas la même. Je constate que lorsqu’on a recours à des mandats d’étude parallèles (MEP) ou à des concours sur invitation, on peut, par le dialogue, identifier collectivement les enjeux et trouver des solutions qui satisfont à la fois l’architecte, l’utilisateur final et l’investisseur. Nous avons de très bons partenariats avec des bureaux établis, qui mènent de grands projets parce qu’ils ont conscience des enjeux, des sujets de digitalisation, de bilan carbone. Ils savent que le métier d’architecte a évolué et qu’aujourd’hui, seul le travail en équipe projet permet de répondre à de nouvelles complexités qu’un mandataire seul au centre, dans un modèle «traditionnel», ne peut pas gérer.

Quels montages privilégiez-vous pour réaliser vos opérations?
Nous ne travaillons plus qu’en entreprise totale, un modèle qui nous permet d’assumer la responsabilité de la conception et de l’exécution et de prendre les bonnes options en amont pour que les phases de construction et d’exploitation soient pleinement intégrées. Concrètement, les questions de durabilité, de coût, de bilan carbone et de flexibilité du bâti doivent être prises en compte dès la conception du projet.

Ma conviction est que l’immobilier doit s’appréhender sur l’ensemble de sa durée de vie: l’entreprise devrait donc aussi être challengée, respectivement impliquée, dans les coûts d’exploitation, sur le modèle design, build and operate. Cela ne sert à rien de faire le bilan carbone d’un projet en phase d’exploitation si énormément d’énergie grise a été consommée en phase de réalisation. De même qu’il est inutile de construire un bâtiment économique si les coûts d’exploitation explosent. Il faut donc avoir une approche beaucoup plus globale du coût d’un bâtiment, comme on le fait maintenant avec le bilan carbone global, y compris en tenant compte de la déconstruction ou de la capacité d’un bâtiment à être réutilisé, transformé, réaffecté. Ces modèles, qui impliquent une plus grande responsabilité des concepteurs et des constructeurs, devraient selon moi être amenés à se développer.

Quelle est votre stratégie vis-à-vis des labels?
Dès le début d’un projet, et en fonction du type de projet (construction neuve, transformation, en périphérie ou sur une friche industrielle), nous déterminons quel type de label nous visons. Heureusement, aujourd’hui, les labels se parlent de plus en plus alors qu’ils pouvaient être contradictoires entre eux il y a quelques années. Mais si la réglementation était garante des exigences, il devrait pouvoir être possible de s’en passer.

Le label doit amener une réelle valeur ajoutée, pas simplement un coup de tampon qui permet à un investisseur de se donner bonne conscience, respectivement de préserver la valeur de son asset. Aussi, nous avons aujourd’hui défini une «Trajectoire carbone», dont l’objectif est de réduire les émissions carbone de nos projets liées à l’énergie grise et l’exploitation de 30 % par rapport à 2021 d’ici à 2030.

Comment voyez-vous l’avenir?
Les rendements des investisseurs sont moins intéressants aujourd’hui qu’ils n’ont pu l’être il y a quelques années, mais la demande est là. Pour y répondre tout en satisfaisant aux enjeux du climat et aux enjeux économiques, il y a un certain nombre de pistes: la régénération urbaine en est une, l’hybridation ou la mutualisation des surfaces en est une autre. L’immobilier va donc devoir se réinventer. La question n’est pas: quels sont les m2 qu’on va construire, les m3 de béton qui vont être mis en œuvre, mais comment satisfaire les besoins des utilisateurs finaux? Si on y parvient en dépensant moins de matières premières, donc en générant moins de CO2, en n’étant pas dans une logique de construire plus mais de construire mieux, de mieux cibler les surfaces que nous construisons, tout le monde en tirera profit: l’utilisateur, la société, la planète, l’investisseur.

Note

 

1 Losinger Marazzi appartient au groupe français Bouygues et, à ce titre, est considérée comme une entreprise étrangère. Elle tombe ainsi sous le coup de la loi fédérale sur l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger (LFAIE), dite «Lex Koller», qui restreint l’acquisition d’immeubles en Suisse.

Profil

 

Pascal Bärtschi, ingénieur civil EPFL, est CEO de Losinger Marazzi depuis 2015.

 

Losinger Marazzi, filiale du groupe international Bouygues Construction depuis 1990, emploie plus de 800 personnes en Suisse et réalise un chiffre d’affaires annuel de près de 800 millions de francs.

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