«La plus-va­lue ar­chi­tec­tu­rale peut faire toute la dif­fé­rence»

Grago est une jeune structure de promotion immobilière qui croit en l’architecture et en des collaborations intelligentes entre promoteurs, architectes et entreprises.

Date de publication
29-01-2024

Cet entretien a été mené dans le cadre du dossier de la revue TRACÉS (janvier 2024) sur la relation entre les architectes et les promoteurs
 

Tracés: Quel est votre modèle d’affaires?
Dahl Brunel, Nicolas Godel et Mathias Gratry:
Nous sommes des promoteurs «classiques»: nous achetons nos terrains et nous développons nos projets, que ce soit pour notre propre compte ou celui de tiers. Acheter les terrains nous permet d’avoir les coudées franches, de faire des opérations de qualité en contrôlant tous les mandataires. Nous analysons toutes les parcelles qui peuvent être développées, qu’il s’agisse de densification en zone villa, en ville, ou en zone de développement1, dans toutes les grandes villes de Suisse.

Dans un contexte de demande extrêmement soutenue, bien qu’il soit en constante évolution, nous sommes d’avis qu’il faut tenter des choses qui sortent de l’ordinaire du promoteur. La plus-­value architecturale peut faire toute la différence. Évidemment, ce contexte a aussi des effets pervers : puisque tout ce qui se construit est immédiatement vendu ou loué, certains en profitent pour construire vite et sans amour du détail.

Quel intérêt trouvez-vous à travailler en zone de développement?
Ce cadre est très respectueux de tous les acteurs: le promoteur touche sa marge, le vendeur du terrain obtient un prix correct. L’équilibre est assez bon, mais il a été mis à mal récemment avec la hausse des coûts de construction: les prix au m3 prescrits par les plans financiers n’ont malheureusement pas été revus à la hausse. Il faut contraindre le prix de vente du terrain et son prix de sortie (loyer ou prix de vente) mais, entre les deux, le promoteur doit rester libre de faire son métier et de choisir les postes auxquels il alloue un budget plus important parce qu’il recherche la qualité.

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Comment travaillez-vous avec les architectes?
En partenariat; nous leur fournissons les moyens financiers qui leur permettent d’exprimer leurs ambitions, dans le cadre que nous fixons, parce que nous connaissons le marché et les attentes de nos clients. Un peu comme un producteur avec un réalisateur dans le monde du cinéma. Nous sommes férus d’architecture et essayons, à notre humble niveau, d’apporter à nos confrères promoteurs genevois une inspiration tirée de la meilleure architecture suisse.

Nous ne mettons pas les architectes en concurrence; nous choisissons ceux avec qui nous avons envie de travailler, sur la base de nos expériences ou de leurs références. Nous recherchons ceux qui correspondront le mieux au projet que nous avons envisagé sur la parcelle que nous avons achetée: au programme, au budget, au type de terrain, à la sensibilité politique et économique de la commune.

Il en va de même quant au choix des entreprises: en mandataires séparés, nous choisissons celles avec lesquelles nous aimons travailler, parfois même sans mise en concurrence. Nous les réunissons autour de la table en début de projet, dans le bureau de l’architecte, et nous posons le cadre de notre collaboration: chiffrer au «vrai» prix, éviter les plus-values, discuter s’il y a un problème, en confiance et en bonne intelligence.

Quels avantages et inconvénients voyez-vous aux différents modèles de gestion de projet?
La majorité de nos promotions sont exécutées en «traditionnel», avec une mission complète pour le bureau d’architectes; mais nous travaillons aussi en entreprise générale ou totale. Les deux modèles ont leurs avantages et leurs inconvénients, qui dépendent des montages et des contextes, selon qu’on intervient seuls ou à plusieurs, avec des investisseurs qui veulent des retours rapides sur investissement ou en fonds propres, où nous avons plus de latitude.

Le premier avantage du modèle traditionnel, c’est la flexibilité. Cela nous permet, en collaboration avec le bureau d’architectes, de trouver des solutions, de nous adapter tout au long du projet. Au contraire, dans le modèle de l’entreprise totale, rien ne bouge, parce qu’il y a un engagement sur un prix: s’il y a des modifications, il y a des plus-values. Construire en corps d’état séparés, avec un bureau d’architectes qui a réellement les capacités d’assurer la direction de travaux, nous coûte aussi moins cher qu’en entreprise totale: pour garantir un prix plafond, l’entreprise prend une marge, ce que ne fait pas le bureau d’architectes, dont les honoraires sont prescrits par la SIA. Les bureaux doivent en revanche avoir fait leurs preuves en direction de travaux ou avoir un département dédié et pouvoir assurer un suivi administratif et des coûts très rigoureux. Sinon, ça peut effectivement nous coûter plus cher. Le modèle de l’entreprise totale, de son côté, offre un avantage financier très simple pour le promoteur qui fait de la PPE: il lui permet de percevoir plus rapidement son retour sur investissement qu’en corps d’états séparés.

Pour garantir la qualité architecturale du projet dans ce modèle d’entreprise générale ou totale, l’architecte est appelé à fournir un énorme travail en amont, travail que le promoteur va rémunérer selon l’échéancier SIA: son descriptif technique et ses plans d’exécution doivent être sans faille pour que l’entreprise réalise en tout point le projet, au clou près. Il arrive que certaines entreprises serrent les prix pour obtenir les marchés, en exploitant ensuite les failles des descriptifs pour se rattraper, et ce, au détriment de la qualité du projet et des futurs acquéreurs. Mais si on leur fournit du matériel de qualité, les entreprises travaillent bien, en Suisse en tout cas. Nous nous battons aussi pour que les architectes conservent la direction architecturale au moment du chantier et nous nous assurons d’avoir notre mot à dire sur les décisions ultérieures, notamment sur les modifications des descriptifs techniques.

Quelle est votre stratégie en termes de labellisation environ­nementale?
Nous avons pour habitude de nous concentrer sur les normes étatiques. Nos projets respectent toujours les normes environnementales les plus strictes, comme par exemple à Genève, le standard Très haute performance énergétique (THPE). Nous utilisons la géothermie quasiment pour tous nos projets et nous nous concentrons sur des typologies plus écologiques, comme l’habitat groupé. Quant aux matériaux, nous encourageons les matériaux durables. Récemment, nous avons par exemple construit dix logements à Anières avec structure et façade en bois suisse; nous en projetons d’autres avec des façades isolantes en liège apparent. Ces projets nous coûtent plus cher que les solutions classiques, mais ce sont toujours des sacrifices faits de bon cœur sur notre marge, car nous pensons qu’ils font la différence.

Nous exigeons des circuits courts et ne travaillons qu’avec des entreprises locales, suisses, voire genevoises, avec l’idée de nourrir le tissu économique local, mais aussi pour des questions de garantie: quand vous construisez en mandataires séparés, vous êtes responsables de la garantie vis-à-vis de vos clients, alors qu’en entreprise générale, c’est l’entreprise.

Comment voyez-vous l’avenir?
Il nous semble que les choses vont vers le mieux : des grands promoteurs dans les années 1960-1970 ont fait des choses magnifiques à Genève – Le Lignon, les Avanchets –, opérations novatrices pour l’époque. Après une traversée du désert, nous entrons à nouveau dans une phase très porteuse. La promotion immobilière est un beau métier, qui doit être mieux compris: nous finançons mais nous pouvons aussi collaborer avec un bureau d’architecture en interaction intelligente. C’est en tout cas notre façon de voir les choses.

Profil

 

Grago, société anonyme de promotion immobilière, a été fondée en 2004 par Mathias Gratry et Nicolas Godel, rejoints en 2017 par Dahl Brunel. L’entreprise est active dans le canton de Genève et les grandes villes de Suisse.

Note

 

1. Dans le canton de Genève, les zones de développement (ZD) accueillent les nouveaux quartiers. Les prix de construction et de vente, les loyers et la répartition des types de logements (PPE, locatif libre, LUP) y sont réglementés par l’État.

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