L’ave­nir du trans­port à câble se­lon Gilles Dé­lèze

Si les remontées mécaniques cristallisent les débats autour du tourisme intensif dans les domaines skiables, elles sont aussi envisagées pour favoriser le transport public de la plaine vers la moyenne montagne. Moins coûteux et plus rapide que la voiture, ce transport décarboné offre de multiples avantages pour préserver les territoires du transport individuel motorisé.

Date de publication
18-09-2023

Laurence Crémel et Mathilde de Laage: Quelles sont les typologies de transport à câble existantes en Valais et quelle est la part de transport public dans l’ensemble des liaisons câblées?

Gilles Délèze: Les deux grands types de transport à câble sont les remontées touristiques et celles de transport public. Les infrastructures touristiques, qui partent généralement de l’altitude 1400 m vers les sommets, datent déjà de l’entre-deux-guerres. On en compte 600 en Valais, toutes tailles confondues, du grand téléphérique au petit téléski. Un certain nombre de téléphériques, qui montent de la plaine jusqu’à 1400 m, ont été construits dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, pour desservir les localités n’ayant pas d’accès routier. Les villages d’Isérables ou Bettmeralp sont deux exemples où il était plus efficace et moins cher de proposer un téléphérique que de construire une route.

Comment sont gérées ces liaisons câblées?

Beaucoup de ces installations, gérées par la commune ou la collectivité locale, se sont retrouvées dans les années 1970 face à des problèmes financiers. Pour les maintenir, le Canton en a repris parfois la gestion financière et la Confédération les a reconnues au titre de transport public régional à la fin des années 1990. 22 téléphériques assurent une liaison entre la plaine et la montagne. Parmi ceux-ci, 14 sont financés par le Canton et la Confédération au même titre qu’une ligne de bus. Depuis 2014, le transport à câble intègre les étapes d’aménagement du programme de développement stratégique de l’infrastructure ferroviaire PRODES. Les nouveaux projets de liaisons câblées sont intégrés dans ce fonds de financement afin de coordonner les connexions et la fréquence des dessertes avec l’ensemble des transports publics.

Le report modal est-il l’unique condition pour un projet de transport public à câble?

Le Valais arrive en queue de peloton des cantons dans les études sur le report modal. Pour améliorer cette situation, une dizaine de projets de liaison câblées sont en gestation, parmi lesquels deux télécabines : celui qui part de la halte ferroviaire de Conthey vers Haute-Nendaz et celui de la gare de Riddes vers la Tzoumaz. Ces deux derniers projets sont des télécabines et non des téléphériques car, même si on travaille pour la population locale, la demande touristique en saison est relativement forte, le débit doit pouvoir y répondre. L’intérêt est de bénéficier des recettes et de diminuer les coûts d’exploitation en construisant une installation également pour les touristes.

Si ces liaisons câblées doivent avoir, en plaine, une bonne connexion avec les autres transports publics, la question réside davantage dans la destination : on souhaite arriver au centre du village. Si la forme urbaine est étalée, nous devons évaluer la performance du réseau de mobilité douce et de transport public. Un transport à câble doit desservir un rayon de 500 m à pied à partir du cœur de la station. Dans une station comme Nendaz, on pourrait se poser la question, mais il y a un système de bus relativement performant et une centralité importante.

Comment se passe la collaboration avec l’Office fédéral des transports (OFT) pour la sélection des projets?

La sélection des projets repose sur cinq critères. Les deux qu’impose la Confédération sont assez restrictifs. D’une part, il doit y avoir 100 habitant·es à l’année à l’amont pour que la fonction de transport public soit assurée. Le projet Sion – piste de l’Ours (Veysonnaz), par exemple, a été écarté en raison de l’absence d’habitant·es à la piste de l’Ours. Le ­deuxième critère est celui de la double desserte, le téléphérique doit remplacer une ligne de bus existante. Dans certaines situations, la desserte fine des hameaux dans la pente pose problème car il est onéreux de faire un téléphérique avec des arrêts multiples. Il y a des cas où les deux modes doivent agir en parallèle, comme le funiculaire entre Sierre et Crans-Montana qui a la fonction de direct tandis que les deux lignes de bus servent d’omnibus.

Est-ce que le Service de la mobilité du Canton a aussi ses propres critères?

Nous avons trois autres critères d’évaluation. Le premier est celui de la vitesse : le téléphérique doit être plus rapide que la voiture ou le bus. Le projet Sion – Anzère a été écarté pour cette raison. Le deuxième critère est que le projet soit proportionné à la demande. Ce critère a éliminé le projet de télécabine vers Arolla. La route d’accès, exposée aux avalanches, est souvent fermée, mais on aurait dû construire un grand téléphérique de 6 km de long pour une faible demande. Le rapport coût-utilisateur n’était pas équilibré. Enfin, le dernier critère est celui l’acceptabilité de la ligne, soit du point de vue environnemental, soit du point de vue de la population.

Et pour les domaines skiables?

Les projets de développement et de planification sont réalisés par les stations de ski. Le Service de la mobilité du Canton arrive au moment des procédures administratives avec l’OFT pour la mise à l’enquête publique, la consultation des différents services concernés, l’élaboration du cahier des charges techniques et environnementales et pour délivrer l’autorisation de construire. Il n’y a pratiquement plus d’extensions prévues des 42 domaines skiables en Valais (depuis celles du Mont-Noble et du Lötschental dans les années 1990), car le marché est mature. Les projets de remontées mécaniques dans les domaines skiables concernent essentiellement du remplacement. En termes de quantité, le nombre d’installations diminue.

Comment la capacité d’investissement influence-t-elle les projets de remontées mécaniques?

Les petites stations, qui sont en dessous de 2 millions de francs suisses de chiffre d’affaires annuel, ne font pratiquement pas de projets. Leurs installations ne tournent souvent que le week-end ou pendant les vacances. La situation est plus délicate pour les stations qui font entre 2 et 12 millions de chiffre d’affaires annuel. Pour donner un ordre de grandeur, une remontée mécanique moderne, comme un télésiège débrayable, nécessite un chiffre d’affaires d’un million pour l’amortissement. Ces stations de taille intermédiaire, too big to fail, doivent à la fois se développer et entretenir ou remplacer leurs installations. Mais elles n’ont pas forcément l’argent pour effectuer les travaux avec la qualité que l’on voudrait. Les grandes stations qui font un chiffre d’affaire de plus de 12 millions, comme Verbier, Zermatt, Nendaz ou la région d’Aletsch, mettent en œuvre plus de moyens pour respecter l’obligation légale des mesures de compensation. Dans les années 1950, les ouvrages hydroélectriques prenaient les matériaux (graviers et sable) pour réaliser les captages d’eau à côté du hameau de Zmutt, dans la vallée qui monte depuis Zermatt au pied du Cervin. En compensation d’un projet de télécabine, Zermatt a renaturé cette plaine alluviale.

Quelles sont les préoccupations environnementales et paysagères dans le cycle de vie de ces infrastructures?

Le tracé en ligne droite d’une liaison câblées est assez contraignant. Quand on dessine la ligne sur la carte puis dans le territoire, c’est l’une des premières questions qu’on se pose : comment ne pas créer des nuisances pour les habitant·es et respecter les zones à protéger, ainsi que celles à éviter en raison des dangers naturels ? Ce n’est pas tant l’impact visuel des câbles et des pylônes qui compte, mais celui sur le milieu, du sol aux lieux de vie qu’il héberge. On compte une dizaine de mètres carrés par pylône auxquels il faut rajouter les bâtiments des stations. Pour le projet de téléphérique à 50 places entre Sion et Nax, on doit tenir compte du passage de la falaise, du conflit avec la ligne à haute tension, de la présence du faucon pèlerin, des prairies sèches et du gypse, une roche de faible portance où il faut prendre des mesures spéciales. Sur un autre projet, à Nendaz, les 400 derniers mètres pour rentrer dans la station sont en tunnel. Par exemple, pour un télésiège dans le Chablais, les défrichements ont eu lieu l’année précédente, en automne, et l’héliportage des éléments préconstruits des pylônes a permis d’éviter la période de nidification. Lors de l’exploitation, on a parfois un câble de contrôle et le service de la protection de la faune nous demande systématiquement qu’il soit visible pour l’avifaune.

Et la question du démontage?

Dans notre parc actuel des remontées mécaniques, seul 1 % est en phase de démontage. En Valais, la situation n’est pas problématique pour les grandes stations. Pour certaines petites stations qui ont été fermées, des solutions ont été trouvées avec la commune via des mesures de compensation pour le développement d’autres projets. On fait face aujourd’hui à un premier gros problème avec les installations de la station du Super Saint-Bernard, qui est à l’arrêt depuis plus de 10 ans. Le dossier est en cours de discussion avec l’OFT et l’Office des poursuites, car la société d’exploitation a fait faillite: il faut trouver une solution juridique pour savoir à qui incombe le démontage. Si les sociétés d’exploitation ne font pas faillite, nous les obligeons à procéder aux démontages avant tout nouveau projet. On a un certain nombre de règles et de pratiques assez claires au niveau cantonal et avec l’OFEV qui vont chaque année en se renforçant. Avant les années 1990, on enlevait seulement les pylônes et on acceptait que les socles en béton restent. Aujourd’hui, si les socles ne sont pas dans des zones délicates, comme une zone de protection de sources, on les enlève.

Pour revenir sur l’acceptabilité sociale, est-ce un frein pour certains projets?

Cela constitue une partie difficile faite d’oppositions. Nous avons actuellement un problème pour le projet entre Eischoll et la gare de Rarogne. Il y a déjà un téléphérique qui part depuis le village, que nous souhaiterions déplacer à côté de la gare, mais une association s’y oppose. L’argument ne porte pas sur le paysage mais sur la protection de la propriété privée. Les associations de protection de l’environnement ne s’opposent pas à priori aux projets qui ont un but pendulaire. Ils partagent les arguments de décarboner les transports publics et de maintenir l’habitat en montagne. Ils sont plus mitigés sur les projets touristiques, car cela revient à amener plus de monde à la montagne et à développer le tourisme intensif. Prochainement, nous devrions ouvrir des procédures d’aménagement du territoire pour plusieurs remontées mécaniques.

À quel horizon vont se développer tous ces nouveaux projets de transport public à câble?

Nous n’avons pas d’horizon temporel car nous sommes liés au programme PRODES. Les étapes de ce programme essentiellement ferroviaire de 13 milliards CHF prennent du retard. Des discussions sont cependant en cours avec la Confédération pour certains projets de transports publics par câble pour pouvoir programmer rapidement ces projets dont l’infrastructure est comparativement bon marché et dont l’exploitation coûte moins cher qu’une ligne de bus.

Gilles Délèze est chef de projets remontées mécaniques pour le Service de la mobilité du Canton du Valais.

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