«La po­li­tique du lo­ge­ment ne peut pas sup­por­ter seule tous les in­ves­tis­se­ments»

Pour Romain Lavizzari de la CFPI, le monde de la construction doit aujourd’hui prendre en charge des questions plus globales de cohésion sociale et de mobilités, sans toujours en avoir les moyens.

Date de publication
18-01-2024

Cet entretien a été mené dans le cadre du dossier de la revue TRACÉS (janvier 2024) sur la relation entre les architectes et les promoteurs

TRACÉS: Quel est votre modèle d’affaires?
Romain Lavizzari: Notre modèle d’affaires est assez simple: nous achetons des terrains, nous développons un projet, nous le construisons, de préférence en lots traditionnels c’est-à-dire avec des mandataires spécialisés et des entreprises par corps d’état, et nous le vendons. Nous privilégions ce modèle, plus transparent et qui nous permet d’avoir une vraie maîtrise de l’ensemble des intervenants, à celui de l’entreprise générale ou totale. Lorsque nous avons recours à l’un de ces deux modèles, c’est parce que la structure initiale du projet et les partenaires impliqués nous l’imposent, plus que par un souhait délibéré. Le modèle de l’entreprise générale ou totale a souvent un intérêt pour le maître d’ouvrage en termes de concurrence, d’interlocuteur unique, etc. Mais les prix rendus par les entreprises générales ou totales seront finalement assurés par leurs sous-traitants; certains le font bien, d’autres non. C’est pour cette raison que nous privilégions les corps d’état séparés.

Nous sommes directement impliqués dans nos projets, dont nous assurons les suivis de chantier, avec notre réseau d’entreprises locales de construction. Nous partons du postulat que tout le monde doit pouvoir gagner sa vie dans un projet. La transparence avec les entreprises et les mandataires nous paraît aussi plus saine pour tout le monde. Mais pour nous, cela représente beaucoup plus d’investissement et une prise de risques, qui doit être rémunérée. Ce n’est pas un gros mot. Cette rémunération est aussi encadrée: en zone de développement (ZD) à Genève, nous sommes «contrôlés» sur tout, y compris sur nos marges. On ne peut donc pas parler de spéculation! Parallèlement, nous donnons du travail à des mandataires, à des entreprises, qui prennent peu de risque. Notre ADN: gérer les variables d’un projet, les risques, le temps, les finances de A à Z et ensuite faire en sorte que tout le monde y trouve son compte, y compris nous, promoteurs et pilotes.

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Quels sont vraiment les risques dans le contexte genevois?
Tout d’abord, les terrains sont de plus en plus rares, ce qui pourrait faire exploser le coût d’acquisition, en partie contrebalancé à Genève par le fait que les projets se font en grande majorité en ZD où le prix de vente des terrains est régulé. Et si vous achetez un terrain déjà occupé par une habitation, les habitants doivent pouvoir se reloger ailleurs et demandent des indemnités de plus en plus élevées. Ensuite, depuis deux ans, la pandémie et la crise politique soutenue en Europe ont engendré des réactions extrêmement marquées sur le marché de la construction, avec des hausses des coûts jamais vues.

Mais le principal risque tient à la durée de réalisation des projets, 15 ans en moyenne à Genève pour nos projets. Comme nous essayons dans la mesure du possible d’acheter les terrains de façon définitive, sans promesse de vente conditionnée à l’entrée en force d’un PLQ ou d’une autorisation de construire, le portage financier peut être très long.

Quelles sont vos ambitions en termes de qualité architecturale et environnementale?
Nous organisons de plus en plus de concours dans le cadre de projets complexes, même si la démarche est chronophage et engendre plus d’investissements au départ. Le concours nous permet d’obtenir des visions différentes et de choisir un meilleur projet que si on le donnait directement à un seul bureau. Le concours fait sens quand on a un certain volume; pour des petits projets, le renchérissement est plus difficile à intégrer dans le plan de financement.

En termes de qualité architecturale et programmatique, il faut revoir certains fondamentaux pour prendre en compte les évolutions majeures de ces dernières années. La crise du Covid a mis en exergue le besoin d’une plus grande qualité de vie chez soi parce qu’on y passe plus de temps. Je pense notamment à la question des balcons terrasses, sur lesquels on doit pouvoir à minima mettre une table et six chaises. Mais la vraie prise de conscience concerne les services dans les immeubles, la qualité des aménagements extérieurs, les relations domaine public-domaine privé, des choses peut-être moins visibles mais fondamentales pour le bien-être des gens qui vont y vivre. Ce sont souvent de gros enjeux et de gros investissements, qui ne sont pas toujours pris en considération. On touche là la limite de l’ambition et de la possibilité de réaliser. Ce n’est pas de la mauvaise volonté ni un manque d’ambition, mais une réalité économique. En ZD, nous sommes extrêmement encadrés, et nous n’avons pas forcément les moyens de faire rentrer ces prestations dans l’équation de projet. Et si on doit augmenter les loyers pour pouvoir les financer, c’est la quadrature du cercle.

Sur les questions environnementales, nous ne nous sommes pas endormis sur nos lauriers depuis 30, 40, 50 ans. L’évolution se fait petit à petit, on ne révolutionnera pas tout du jour au lendemain. Au niveau énergétique, les premiers labels sont devenus des prérequis. Minergie, qui était initialement une incitation à faire mieux, est aujourd’hui un minimum pour obtenir des autorisations de construire. 

On nous demande de construire en bois, mais les filières de matériaux ne sont pas opérationnelles, voire même n’existent pas à l’échelle locale ou régionale : les forêts suisses ne permettront pas de répondre à la demande, et faire venir du bois d’Allemagne n’est pas très pertinent en termes de bilan carbone. 

Comment voyez-vous l’avenir?
Le contexte actuel n’est pas favorable, avec de grosses incertitudes sur les coûts. L’acte de construire ne cesse de se complexifier. Les couches se multiplient, donc les coûts, et on arrive aux limites de l’exercice. Le projet ne peut pas porter et résoudre, par le programme et par l’espace, des questions de cohésion sociale ou de mobilités, qui demandent beaucoup d’investissements de notre part, alors qu’il devrait y avoir une vision beaucoup plus globale. Notre message aux entités publiques et étatiques : la politique du logement ne peut pas supporter seule tous les investissements.

Romain Lavizzari, HEC-IEI, est associé de la Compagnie financière de promotion immobilière (CFPI) et président de l’Association des Promoteurs Constructeurs Genevois (APCG).

La CFPI est une petite structure familiale fondée en 1982, composée de cinq associés, pères et fils de deux familles différentes, spécialisée dans la promotion et le pilotage.

 

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