Diar-es-Saâda: pre­mière cité al­gé­roise de Fer­nand Pouil­lon

Exposées cette fin d’année au forum d’architecture de Zurich, les photos de Leo Fabrizio documentent l’œuvre bâtie de Fernand Pouillon en Algérie. Nous reproduisons ici quelques images de Diar-es-Saâda (1953-1954), la première des trois cités algéroises, et également celle où l’architecte français a pu prendre le plus de libertés.

Date de publication
11-12-2021

Fernand Pouillon (1912-1986) aurait construit plus de 4000 logements en Algérie.1 Dans les années 1950, le maire d’Alger Jacques Chevallier tente d’éviter une guerre en s’attaquant au problème du manque endémique de logement à Alger. Il souhaite que Diar-es-Saâda (la Cité du bonheur), soit une «cité sans ségrégation» qui réunisse Algériens et Français. La guerre ne sera pas évitée, mais Saâda sera cependant représentée sur le billet de 100 dinars comme symbole de l’indépendance. Pouillon y développe une vision «humaniste», qu’il faudrait évaluer en la comparant aux autres opérations de l’époque construites en béton, les cités dites «de recasement», qui ne comportaient souvent qu’un seul point d’eau et des toilettes sur le palier. L’architecte, qui venait de participer à la reconstruction du port de Marseille, ne souscrit alors ni aux idées modernistes ni au régionalisme de façade; il impose ses méthodes, évoque une architecture «climatologique», adaptée aux mœurs qu’il observe: des espaces délimités par les volumes (et non l’inverse), illuminés l’hiver, ombragés en été et rafraîchis par des fontaines qui brumisent l’air, des logements imbriqués mais toujours aérés.

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L’opération est rationnelle, économique, car tous les éléments sont préfabriqués: les pierres sont acheminées depuis la carrière de Fontevieille en Provence, les appartements reposent sur des dalles à hourdis – dans un système similaire à celui développé par les frères Honegger. Les blocs sont extraits à la forme définitive, en six modules (45, 67.5, 90, 112.5, 135 et 225 cm). Peu d’ouvriers sont nécessaires à la pose: deux réglettes, du mortier, puis la pierre. Le système permet de moduler les effets, sur trois échelles: d’abord les volumes, contrastés (barres, tours, plots), posés sur un site en pente aménagé en cascades, placettes et plateaux, encadrés de murets et d’emmarchements; puis dans les solutions d’angles et les façades, en variant les rythmes et les retraits; enfin par les remplissages variés des claustras qui ferment les cages d’escalier et les entrées (panneaux de Fibrociment, briques ajourées). Les exceptions sont taillées sur place et quelques détails improvisés, comme les sols des circulations, réalisés avec des chutes de marbre récupérées dans des carrières algériennes, des briques posées sur le chant ou des claustras. Ces dernières sont constituées d’éléments en terre cuite ou faïence. En faisant confiance aux artisans qui varient les éléments ou les vernis et en produisant des volumétries et des façades complètement modulables, Pouillon compose un ensemble dont la perception évolue à chaque pas.

Voilà ce que rapporte Leo Fabrizio. Le photographe lausannois se rend pour la première fois à Saâda en 2012. Les cités algéroises sont peu considérées et sans véritable entretien, depuis les années 1950. Il entame alors une véritable enquête sur les travaux de l’architecte honni. À travers tout le pays, il recense une œuvre composée de plus de 350 opérations réalisées avant et après l’indépendance de l’Algérie, dont il s’emploie à réaliser une iconographie contemporaine tout en œuvrant à la redécouverte de ce patrimoine architectural.2

Notes

 

1. Personne n’a la capacité de connaître ce chiffre à l’heure actuelle. Leo Fabrizio en compte 732 à Saâda, 1550 à Diar-el-Mahçoul, 2000 à Climat de France, auxquels il faut ajouter les logements sociaux d’Oran, puis les opérations réalisées après l’indépendance, que personne encore n’a recensées précisément : Staoueli, Cheraga, les logements sahariens, les villas privées, etc.

 

2. Sur ce travail, voir le dossier thématique consacré à l’œuvre de Fernand Pouillon en Algérie par la revue werk, bauen und wohnen en juin 2021 et Kaouther Adimi, Daphné Bengoa, Leo Fabrizio, Fernand Pouillon et l’Algérie, Bâtir à hauteur d’hommes, Paris, Éditions Macula, 2019

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