Den­sité, mixité, mo­bi­lité et po­li­tique du lo­ge­ment

Le soutien aux coopératives: une politique contre l'étalement urbain

La question du logement occupe actuellement une place centrale dans les médias et la discussion politique. La croissance de la population et la bonne situation économique ont provoqué l’assèchement du marché du logement et l’augmentation des prix, contraignant les ménages modestes à quitter les endroits attrayants. Le secteur de la construction tourne, lui, à plein régime. Chaque année, plus de 40?000 nouveaux logements viennent sur le marché. Cette activité se déploie surtout à la périphérie des zones bâties, mais aussi au centre des villes, le plus souvent sur des friches industrielles.

Date de publication
09-01-2012
Revision
01-09-2015

Un récent sondage a montré que les deux tiers de la population souhaitent mettre un terme à l’extension des zones constructibles et densifier à l’intérieur du périmètre bâti. Du point de vue de la politique du logement, ce désir de densification et, par là, de favoriser la mixité sociale et de raccourcir les déplacements, reflète un changement de paradigme. Ce dernier n’est envisageable que si l’on réussit à rendre attrayant un nouvel idéal d’habitat « moderne » pour une majorité de la population. 
La politique du logement a pour but de permettre à toutes les couches de la population d’accéder à des logements de qualité à des prix raisonnables. Ce principe est assuré en Suisse depuis des années et inscrit dans la Constitution fédérale. Cette dernière évoque la nécessité d’un logement « approprié », qui se base sur trois critères principaux : la surface de l’espace habitable par personne, l’équipement et la situation du logement, enfin le coût. A ces critères principaux, s’ajoutent la sécurité du logement, l’indépendance de l’occupant et sa liberté de transformer l’habitation en fonction de ses besoins. 
Ces critères permettent d’évaluer de manière objective les conditions de logement de la population et la qualité de vie individuelle non seulement en Suisse, mais également dans le monde entier. 
Si l’on tient compte de tous ces critères, la maison familiale individuelle en propriété occupe une place de choix. Avec la mondialisation des valeurs occidentales, cet idéal s’est d’ailleurs imposé partout dans le monde. Pour une grande partie de la population, un logement spacieux, calme, bien équipé et bien situé est un élément fondamental de la qualité de la vie individuelle.
Les caractéristiques positives des logements ne sont pas uniquement évaluées par des besoins individuels. Les trois dimensions économique, sociale et écologique occupent désormais une place importante. Un marché foncier dynamique, des conditions de logements favorisant la cohésion sociale, des bâtiments à consommation énergétique responsable, une occupation du sol cohérente, sont autant d’éléments qui participent à la création d’une ville durable de qualité. 
Cette situation opposant intérêt individuel et intérêt général est évidemment génératrice de conflits qu’il apparaît difficile de résoudre sans un profond changement de mentalité. 
L’idéal de la maison individuelle a joué un rôle clé dans le processus de suburbanisation puis de périurbanisation après la Seconde guerre mondiale. L’élévation générale de la prospérité, l’extension des voies de transport et la diffusion massive de l’automobile ont permis aux classes moyennes de quitter le centre densément peuplé des villes. 
On compte aujourd’hui, en Suisse, plus de 1,6 millions de bâtiments avec des logements, 58 % d’entre eux sont des maisons familiales. Malgré les critiques, ce type de construction continue à se répandre. On construit presque deux fois plus de maisons individuelles que d’immeubles d’habitation. Bien que leur proportion diminue depuis de nombreuses années, elles représentent encore près de 25 % des nouveaux logements construits. 
Trois éléments caractérisent cette évolution fondamentale de l’habitat. Premièrement, la séparation entre le lieu de résidence et le lieu de travail a induit le mouvement pendulaire quotidien ; deuxièmement, la diminution de la taille des ménages a disloqué le logement ; troisièmement, la fonction du logement ou de la maison ne doit plus seulement offrir un abri physique, mais aussi une intimité qui permet à l’individualité de s’épanouir. Le logement est devenu synonyme d’une sphère privée clairement séparée de la sphère publique et doit être protégée des regards étrangers. 
Ces éléments nous ramènent une fois de plus à l’habitat moderne, dont l’idéal est le mieux représenté par la maison individuelle. Une conséquence de cette évolution est la diminution des densités d’occupation et d’habitation. En 1980, un logement était occupé en moyenne par 2,55 personnes, 20 ans après, leur nombre s’élevait encore à 2,3. L’espace habitable par tête est passé de 34 m² en 1980 à quelques 50 m² aujourd’hui. 

Conséquences de la densification

Dès le début du siècle passé, la politique du logement a commencé à favoriser le processus de dédensification. Dans un souci sanitaire et dans le but de loger de manière adéquate les ménages les plus modestes, la politique du logement a encouragé la construction de logements bon marché et l’acquisition d’appartements et de maisons familiales. Si la ville s’est étendue, les possibilités de logement et la qualité de vie individuelle se sont incontestablement améliorés. Les conflits entre la couverture des besoins individuels et les exigences écologiques ne sont apparus que petit à petit.
Aujourd’hui, la politique d’aide au logement et une majorité de la population souhaitent que l’on cesse d’étendre les zones construites et soutiennent la densification des villes et par conséquent la mixité fonctionnelle et des trajets plus courts. Ce désir se retrouve néanmoins face à un dilemme. La densification du milieu bâti et de la population, qui représenterait un progrès du point de vue écologique, est en contradiction avec la logique qui a présidé jusqu’à présent le développement urbain de la Suisse. Dès lors, est-ce que les deux tiers de la population qui souhaitent stopper l’extension du milieu bâti sont prêts à assumer les conséquences concrètes sur le plan du logement individuel ? 
On assiste d’ores et déjà à la densification du périmètre intérieur, qu’il s’agisse de la construction des parcelles qui ne sont pas encore bâties ou de la réaffectation des friches industrielles. En outre, de nombreuses villes et communes entendent assouplir leurs règlements de construction et de zone pour permettre de construire de manière plus dense et d’accueillir des bâtiments plus élevés. Toutefois, la population indigène s’y oppose souvent, par peur du changement de son cadre de vie suite à la venue de nouveaux habitants. 
Plus délicat encore, la densification du milieu bâti n’entraîne pas forcément une densification de la population comme le montrent les expériences réalisées dans certains centres--villes. Ce sont avant tout des nouveaux types de ménages, de une ou de deux personnes, qui apprécient de vivre en ville et qui consomment le plus de surfaces d’habitation. Or, un véritable renversement de tendance ne serait possible qu’aux dépens d’une réduction de la surface habitable, un luxe auquel, une fois acquis, on ne renonce pas facilement. 

Concilier des intérêts différents

Pour dissuader l’agrandissement des surfaces habitables, la solution la plus employée est de renchérir le prix, notamment par le biais d’un impôt sur la surface ou de la libération des loyers. L’arrêt de l’extension du milieu bâti irait dans le même sens. La surface habitable individuelle ne pourrait être étendue plus qu’à l’intérieur du parc immobilier existant, ce qui aurait pour effet d’aviver la lutte pour l’espace habitable et d’entraîner inévitablement une nouvelle hausse des prix. Cette action pourrait empirer la situation des ménages plus modestes. Ce qui serait un progrès du point de vue écologique se ferait aux dépens de la justice sociale.
Concilier les intérêts en matière de logement et les intérêts écologiques est donc une tâche complexe. Il n’existe sans doute pas de solution rapide et optimale. Une approche pragmatique sur le long terme semble la plus appropriée. L’arrêt souhaité de l’extension des zones construites ne pourra être réalisé que si l’on assiste à un changement de philosophie et d’attitude radical sur le plan individuel. Cette révolution ne peut pas être imposée. Elle doit se faire la base d’expériences positives et de bons exemples prouvant qu’une autre forme d’habitat est possible tout en préservant une qualité de vie élevée.
En matière de politique du logement, cette révolution copernicienne a déjà eu lieu. L’OFL n’encourage plus l’accession à la propriété, mais soutient exclusivement les maîtres d’ouvrages d’utilité publique. L’offre de logements en coopérative offre un bon compromis entre les objectifs de la politique du logement et les exigences économiques, sociales et écologiques. 
Les coopératives sont tenues de construire à un prix avantageux. C’est pourquoi leurs ensembles d’habitations sont denses et la taille des logements n’est pas démesurée. En tant que locataires, les coopérateurs gardent une totale mobilité ; en tant que copropriétaires, ils jouissent d’une sécurité de logement élevée. Avec leurs offres avantageuses, elles contribuent à combattre la ghettoïsation sociale. Elles ne peuvent bénéficier du soutien de la Confédération qui si elles respectent au moins le standard Minergie lors de la construction de nouveaux logements. Le secteur de la construction de logements d’utilité publique est un acteur qui peut contribuer significativement à façonner une ville durable. 

Ernst Hauri est directeur de l’Office fédéral du logement.

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