De peau, de chair et d’os

Après avoir mis à niveau les installations techniques et et éliminer des défauts de construction majeurs, la Neue Nationalgalerie de Mies van der Rohe à Berlin va à nouveau accueillir du public dès le mois d'août. La rénovation méticuleuse du bâtiment par David Chipperfield Architects a duré cinq ans. Et ce temple de la modernité conserve son vitrage simple. 

Date de publication
12-07-2021

140 millions d'euros pour restaurer un bâtiment qui a presque 50 ans, voilà une somme considérable. Lorsque l'on apprend que cette rénovation a duré cinq ans, de début 2016 à aujourd'hui, il ne fait aucun doute qu'il s'agit bien là d’un monument extraordinaire.

La Neue Nationalgalerie de Mies van der Rohe à Berlin, déposée en 1968 par l'architecte comme un temple antique sur un podium en pierre, est considérée comme un chef-d'œuvre. L'importance de la halle d'exposition vitrée avec son toit noir monumental en caissons métalliques ne s'exprime pas seulement au niveau formel; c'est aussi le seul bâtiment que Mies a réalisé en Europe après son déménagement aux États-Unis en 1938 et le dernier qu'il ait construit sur le Vieux Continent.

Il fait ainsi figure de point final du modernisme classique. En effet, au début de l'année 1977, moins de neuf ans après l'inauguration de la Neue Nationalgalerie, le Centre Pompidou, conçu par Richard Rogers et Renzo Piano avec un look provocateur et techniciste de trame et de tubes, ouvrait ses portes à Paris. À cette époque, plus personne n'aurait apprécié le pathos de la geste «miesienne». Le «premier modernisme» était bel et bien mort.

Plus que la peau et les os

En 2012, le bureau berlinois de David Chipperfield Architects avait obtenu le contrat de rénovation du bâtiment dans le cadre d'une procédure VOF (Vergabeordnung für freiberufliche Leistungen).

Mais comment restaurer un tel monument? En le démontant pièce par pièce avec le plus grand soin possible, en réparant ou en remplaçant celles-ci lorsque nécessaire, et enfin en remontant toutes les composantes à leur place d'origine. Dès le début, l'ensemble des personnes impliquées - les responsables de la conservation des monuments, le maître d'ouvrage, les architectes et les utilisateurs - se sont ralliés à l'idée de préserver autant que possible l’original. Le démontage complet du bâtiment jusqu'à l'état de gros œuvre fut cependant nécessaire, ainsi que l'élimination des matériaux de construction polluants (amiante entre autres); le béton de la structure porteuse et des plafonds devant également être assaini.

Diminué dans sa chair

Martin Reichert, associé en charge du projet chez Chipperfield, parle de peau, de chair et d'os. Tandis que la "peau", soit les surfaces de la construction, et les "os", soit le gros oeuvre - ont pu être largement préservés, la "chair", comprenez les chapes, les crépis, les plafonds Rabitz, l'isolation thermique et les éléments en béton cellulaire, ont subi des pertes inévitables.

Réparer plutôt que remplacer

Lorsque cela fut possible, on opta pour la réparation et non le remplacement - des poignées de porte à la table du bureau du directeur conçue par Mies. Les traces de cinq décennies d'utilisation furent laissées apparentes. En revanche, les lavabos des WC visiteurs installés à l'époque de la construction et qui avaient été remplacés entre-temps, ont été reproduits en petits lots. La moquette d'origine des salles d'exposition avait également disparu ; les architectes l'ont fait retisser sur la base de photographies et d'échantillons présumés originaux.

Quant à l’installation technique du bâtiment, invisible, elle a été entièrement remplacée. Elle était hors d'usage et vétuste. Les musées accueillent aujourd’hui beaucoup plus de visiteurs qu'en 1970, la climatisation, tout comme l'infrastructure du bâtiment, doivent dès lors être plus efficaces. 

Ainsi donc le bâtiment dispose d’un véritable ascenseur pour le public; avant la rénovation, les personnes en fauteuil roulant devaient être accompagnées au sous-sol par le personnel de surveillance et utilisant le monte-charge destiné aux œuvres d'art !

On pourrait penser que le maître d'ouvrage - Preussischer Kulturbesitz - s'est offert une luxueuse rénovation pour son Mies. Il n’en est rien, le bâtiment présentait vraiment des dommages structurels considérables après quasi 50 ans d'utilisation. Ces derniers étaient en partie "inhérents à sa conception", comme le dit diplomatiquement Martin Reichert : Mies avait accordé "plus d'attention à l'aspect et aux proportions qu'à l'utilité".

Délicats vitrages 

Les immenses vitrages de la façade en sont un bon exemple : afin d'obtenir la plus grande transparence possible, Mies avait utilisé des verres de 12 mm d'épaisseur seulement - avec des formats de 5,40 sur 3,43 mètres pour la halle supérieure. Au début de la rénovation, il ne restait que quatre vitres en verre coulé d'origine. Toutes les autres avaient été brisées à la suite de dilatation de la façade et remplacées par des vitrages partitionnés.

Après un examen minutieux, les partenaires du projet ont décidé de ne pas opter pour le vitrage isolant. Cela aurait notamment eu pour conséquence que les cadres de vitrage existants, à l'endroit des poteaux verticaux, n'auraient pas pu être réutilisés. Au lieu de cela, on a choisi un verre de sécurité feuilleté deux fois plus épais que ceux d'origine, composé de deux verres (2 x 12 mm) collés ensemble.

Un film de 3 mm d'épaisseur inséré entre les vitres "soude" entre eux les deux verres partiellement précontraints. Il s'agit du Ionoplast, qui est plus solide, plus rigide, plus résistant et stable aux températures que le polyvinylbutyral (PVB). Seul un fabricant chinois fournit des vitres de ce format.

Casse-tête que la corrosion

Par des températures extérieures inférieures à 5 degrés Celsius, de la condensation s'observait sur le simple vitrage. Cela avait entraîné une corrosion considérable sur certains des cadres. À l'avenir, un rideau d'air situé à l'intérieur de la façade rénovée, alimenté par des bouches à fente de sortie situées dans le sol, aura pour effet que les verres seront embués moins rapidement. En outre, l'eau de condensation restante sera à l'avenir évacuée de manière contrôlée par des goulottes à condensat.

Pour des raisons esthétiques, on a renoncé à une réduction accrue de la transmission des UV; en effet, ceci aurait nécessité une pellicule UV de l'espace intermédiaire au sein du verre, avec pour effet une réflexion de couleur bleu-violet. Le désir de garder intacte la transparence naturelle a également motivé l'acceptation d'un standard énergétique bas concernant l’enveloppe du bâtiment.

Les casses répétées des verres s'expliquent notamment par le fait que la façade était structurellement incapable de réagir de manière adéquate aux déformations, par exemple celles liées aux variations de température. 

Absorber les mouvements de la façade

Afin d'y remédier, les ingénieurs en façades de Drees & Sommer, à Stuttgart, ont mis au point des meneaux à expansion qui, à l'avenir, seront capables d'absorber de manière flexible les mouvements de la façade. Les ingénieurs ont conçu une construction étanche à l'air et à la vapeur afin d'éviter la formation de corrosion dans les joints et les cavités des profilés.

À l'instar de la rénovation du pavillon Corbusier de Zurich (TEC21 22/2015), l'approche méticuleuse, guidée par un soin quasi archéologique, a été, pour la Galerie nationale, l'occasion de réfléchir aux normes patrimoniales actuelles et d'explorer l'éventail des possibilités offertes. "Le sérieux avec lequel toutes les parties concernées ont discuté de questions de préservation patrimoniale, même apparemment marginales, était spécifique à ce projet, déclare l'architecte Martin Reichert. Heureusement, les planificateurs ont été aidés, entre autres par Dirk Lohan, le petit-fils de Mies qui avait à l'époque coordonné la réalisation de l'ouvrage.

Imitation créative du style Mies

Les architectes n'ont apporté des changements visibles qu'à deux endroits au sous-sol: afin de pouvoir faire face aux flux actuels des visites, un nouveau vestiaire ainsi qu'une boutique ont été aménagés sur les surfaces de deux anciens dépôts. Le plafond en béton apparent et les puissants piliers attirent l'attention dans ces espaces, alors qu'ils sont cachés par les revêtements partout ailleurs dans le bâtiment. 

Les équipements - armoires et comptoirs - ont été inspirés par le mobilier du bâtisseur; en bref, on imite de manière créative, "angles Mies" inclus, à l'exemple de ceux des armoires du vestiaire. Ceci est à remarquer : il y a encore 15 ans, la conservation des monuments berlinoise aurait insisté pour que ces nouveaux équipements se démarquent clairement du bâtiment existant, d'autant plus pour un ouvrage de cette importance.

Les Staatlichen Museen Berlin sont convaincus qu'après cette rénovation très fidèle, le bâtiment est à nouveau prêt pour les 50 prochaines années. Après tout, Mies avait bien déclaré à ses étudiant-es de Chicago: "On ne peut pas inventer une nouvelle architecture chaque lundi." À la Potsdamer Strasse, cela s'applique également à sa substance physique. La Neue Nationalgalerie rouvrira ses portes le 22 août 2021.

Informations complémentaires

 

Documentation web informative des Musées Nationaux de Berlin sur la rénovation du bâtiment.

 

Lien vers l'entretien de Bauwelt avec Ludwig Mies van der Rohe, réalisé en 1964 à l'occasion de la planification préliminaire de la Galerie nationale.

Intervenants

 

Maitre d'ouvrage
Stiftung Preussischer Kulturbesitz, représentée par le Bundesamt für Bauwesen und Raumordnung (BBR) 

 

Architecture
David Chipperfield Architects Berlin mit BAL Bauplanungs- u. Steuerungs GmbH

 

Gestion de projet
KVL Bauconsult GmbH, Berlin

 

Architecture du paysage
TOPOS Stadtplanung, Landschaftsarchitektur und Stadtforschung, Berlin

Les faits

 

Procédure de passation des marchés publics
VOF-Verfahren 2012

 

Surface brute au sol
env. 14'000 m2

 

Surface utile
9'200 m2

 

Coût total
140 Mio. Euro

Littérature

 

Bauwelt Einblick: «Neue Nationalgalerie», 50 pages, Mai 2021, engl., ca. 12 Euro/15 Fr.

Sur ce sujet