Coo­pé­ra­tive Les Ram­bos­sons: Lancy est une fête

Si les finitions du logement contemporain helvétique sont parfois d’une sobriété qui confine à l’austérité, l’immeuble Les Rambossons de Jaccaud+Associés à Lancy (GE) est au contraire une ode aux détails. Dans l’entrelacs d’un programme plutôt conventionnel se tisse un projet qui n’hésite pas à utiliser la couleur et la matière. Enfin!

Date de publication
24-11-2023

L’avenue des Communes-Réunies trace, malgré son nom, une coupure nette dans le tissu urbain de Lancy: à l’est, contre les voies ferrées, de vastes surfaces vertes ordonnent une série d’équipements publics (école, piscine, stade, conservatoire), entre les mailles desquelles demeurent quelques villas isolées; à l’ouest, de petites maisons ouvrières sont toisées par des barres des années 1970.

L’immeuble de logements en coopérative Les Rambossons, réalisé par Jaccaud+Associés, déploie son élégante façade en béton préfabriqué le long de cet axe important. Plutôt linéaire à l’est, à peine scandé par les redents de ses trois cages d’escalier extérieures, le bâtiment forme une barrière protectrice contre le bruit de l’avenue. À l’ouest, la géométrie plus audacieuse de sa façade, constituée de balcons et de découpes saillantes, révèle des appartements projetés vers un petit parc, le Jura et le soleil couchant.

Coopérative sur le long terme

Tout commence en 2004, lorsque la Fondation pour la promotion du logement bon marché et de l’habitat coopératif (FPLC) acquiert une première parcelle, puis six autres dans ce secteur déclassé en zone de développement1. Au début des années 2010, la FPLC lance un appel à candidatures pour louer et développer ces terrains: les élues seront l’Habrik – une jeune coopérative enthousiaste, mais qui n’avait pas nécessairement les épaules à l’époque pour mener seule ce projet –, associée à la Société coopérative pour l’habitat social (SCHS) – une coopérative plus établie, fondée en 2002. Pour sélectionner le bureau qui remportera le mandat, un concours sur invitation rassemblant trois équipes est organisé en 2016, à l’issue duquel Jaccaud+Associés se distingue. Presque vingt ans après le début de ce processus, le projet est livré et les premier·ères habitant·es ont emménagé.

Loggias collectives

Le projet est collectif à plusieurs échelles: par son jardin (fait de vergers, de pieds de façade plantés et de potagers) déjà présent au stade du PLQ; par son rez-de-chaussée, qui accueille une garderie, une salle commune, des buanderies, des ateliers vélos et des arcades commerciales qui ont pour but de soutenir une économie locale et utile à la communauté (en l’occurrence, un·e podologue et une boulangerie sans gluten); et enfin par ses généreuses cages d’escalier extérieures en double hauteur, qui se muent en balcons communs.

L’élégance du dessin de la façade claire en béton préfabriqué contraste avec les espaces de circulation aux couleurs fauves. En décidant de placer les cages d’escalier en dehors de l’enveloppe thermique, les architectes ont économisé des espaces à chauffer et de la surface brute de plancher. L’ascenseur, quant à lui bien au chaud, est subtilement dissimulé derrière ce qui semble être une porte palière. Dans la cage d’escalier, un étage sur deux devient une loggia avec vue sur le paysage, que six à huit logements peuvent s’approprier. En recréant ces sous-unités, les architectes façonnent des espaces collectifs à plus petite échelle. Pourtant, même en fin d’été, on trouve encore peu de tables, de chaises ou de pots de fleurs sur ces petites terrasses communes; le temps doit faire son œuvre et les projets des coopérateur·ices doivent y germer, en dépit du bruit obsédant de l’avenue des Communes-Réunies et du plan des appartements, qui fait de cet espace partagé un lieu électif et non obligé2. Aux Rambossons, la typologie assume que la façade est demeure la façade de protection: on y passe souvent, on y dort parfois, mais on vit le plus possible de l’autre côté, à l’ouest, au-dessus du jardin, puisque c’est là que se trouvent les séjours et les salles à manger.

Le vivre ensemble, mais chacun chez soi

Cette individualité se retrouve dans les logements: ce sont des appartements conventionnels de 2, 4, 5 et 6 pièces3, dévolus à des unités de vie. On est donc loin de l’expérimentation de type cluster que l’on rencontre dans d’autres coopératives fondées à la même époque.

Ce qu’il faut relever en revanche, c’est la géométrie du plan, animé de redents qui viennent chercher les vues sur le Salève. Chaque appartement dispose d’une séparation jour-nuit assez classique: on pénètre depuis la loggia distributive dans un premier hall, qui dessert les chambres et les salles de bain. Puis dans l’espace principal, où le séjour et la salle à manger sont articulés par la cuisine-laboratoire, pensée comme un grand meuble habité – sorte de bar construit, pour ses parties massives, en tulipier et en multiplis de bouleau pour les surfaces. La boîte cuisine agit comme un pivot: on vit au-dedans d’elle et autour d’elle.

Les balcons, habillés de grands rideaux blancs qui mimétisent, dans un mouvement plus doux, les cannelures verticales des bétons préfabriqués, sont pensés comme des pièces d’angle qui structurent la façade et vont chercher de nouvelles vues, afin de rompre la mono-orientation. Le dessin simple mais élégant des garde-corps est à l’image de ce projet tout entier: une attention fine aux détails, une logique constructive qui devient ornement.

L’accessoire n’est pas superflu

Avec un coût total de 37 mio CHF pour 80 logements, on se situe ici dans la fourchette haute des coopératives. Dès le début du projet, la maîtrise d’ouvrage a exprimé son envie et sa capacité à accorder une pleine attention aux finitions. Ici, les coloristes du bureau Burkhard et Fata Farbgestaltung ont été appelées pour collaborer avec architectes et usager·ères pour l’aménagement intérieur: et cela fait un bien fou, ces textures soyeuses et ces couleurs, ces garde-corps jaune poussin, ces mains courantes en chêne, ces murs ocres, ces halls bleu canard, ces terrazzo et ces marbres scagliola4… Alors que, dans la plupart des logements suisses récents, le béton brut prédomine, que les mains courantes en métal se teintent timidement de rouge et que l’on tente encore de faire passer ce dépouillement pour le summum du bon goût – alors qu’il s’agit, le plus souvent, d’une absence de budget –, la couleur des Rambossons interpelle. On pourrait se rappeler aussi qu’il n’y a pas si longtemps, un siècle tout au plus, l’ornement était la norme. Si la sévère modernité en a proscrit l’usage, peut-être qu’à l’avenir nos habitations retrouveront ces finitions accessoires, mais qui confèrent tant de charme à l’ordinaire.

Notes

 

1 Serge Guertchakoff, «80 logements coopératifs émergent aux Rambossons», Tout l’immobilier, 6-12 sept. 2021

 

2 Comme c’est le cas ailleurs, par exemple pour les logements en coopérative route Rigaud à Chêne-Bougeries, dont les cuisines donnent directement sur les espaces de circulation. Lire Nicolas Bassand, «Coopérer en zone villas», TRACÉS 5-6/2019

 

3 En concertation avec la maîtrise d’ouvrage, les 3 pièces présents dans le rendu de concours ont été transformés en 2 pièces, pour mieux répondre aux besoins des personnes qui habitent seules.

 

4 Substance composite à base de sélénite (gypse), colle et pigments naturels, qui imite le marbre et d’autres pierres dures.

Les Rambossons, immeuble de 80 logements et 3 arcades, Lancy (GE)

 

Maîtrise d’ouvrage
Coopérative SCHS – L’Habrik

 

Architecture
Jaccaud+Associés

 

Propriétaire
FPLC Fondation pour la promotion du logement bon marché et de l’habitat coopératif

 

Génie civil
Pillet

 

Ingénieur CVS
Amstein+Walthert

 

Aménagements paysagers
FAZ Architectes

 

Année de construction
2020-2023

 

Surface SBP
9255 m2

 

Coûts
CHF 37 mio

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