Un en­sem­ble or­di­naire, mais haut en cou­leurs

À proximité de la gare de Renens (VD), au sein d’un contexte et d’une mise en œuvre contraignants, HHF Architekten réalise un projet oxymore: un ensemble simultanément banal et courageux. Les quatre volumes anodins, emballés dans une enveloppe de céramique colorée, révèlent leur richesse dans leurs typologies du rez-de-chaussée, qui encouragent une souplesse d’usage.

Publikationsdatum
04-04-2022

L’ensemble de quatre immeubles appelés Aux Entrepôts est le résultat d’un concours remporté par HHF Architekten en 2016, mais le projet s’intègre dans une réflexion initiée préalablement par KCAP Architects&Planners (maître d’ouvrage: CFF Immobilier). Ces derniers avaient effectué une étude qui définit aujourd’hui la forme du nouveau Parc du Simplon à Renens, situé à proximité de la gare, le long des voies de chemin de fer en direction de Lausanne. L’étude imposait en conséquence la forme urbaine avant même le choix d’un projet lauréat, limitant ainsi l’exploration des typologies.

La parcelle autrefois dédiée à des entrepôts CFF s’inscrit dans un contexte urbain aujourd’hui marqué par la présence du gymnase de Renens (2017), de logements et de surfaces commerciales – le quartier des Entrepôts – qui constitue une intervention urbaine majeure à Renens. La réalisation des quatre immeubles sera à terme protégée des voies ferrées par des immeubles de bureaux plus élevés. L’entier du quartier est aussi surélevé par rapport au niveau des routes principales, ce qui crée un étrange sentiment de distance avec son environnement, tel un morceau de ville qui, pour ordonner le tissu urbain, se voit obligé de s’en éloigner. Une position insulaire qui sera néanmoins nuancée par une promenade au long des voies qui reliera le Parc du Simplon à la gare de Renens.

Se démarquer par la couleur

Sur le plan volumétrique, l’ensemble constitué par HHF n’a rien d’exceptionnel: quatre plots, aux typologies standards, qui ne se distinguent peut-être que par les retraits au niveau de l’attique. Mais avec ses couleurs, le projet trouve un sens dans cette sorte de franchise, presque naïve; une clarté évidente. Chaque bâtiment se rend distinctif par des couleurs vives, peu communes pour du logement mais qui s’inspirent de la palette colorimétrique du quartier – du jaune, du rouge, du vert et de l’aubergine, couleur empruntée au gymnase de Renens. Pour atteindre cet effet, les architectes ont sursaturé les plaques de céramique; un choix colorimétrique qui confère à l‘ensemble une force plastique considérable. Les larges ouvertures reprennent quant à elles les proportions des fenêtres industrielles. Par leur abstraction volumétrique, leurs rythmes réguliers, la simplicité des détails, ces grandes maisons pourraient évoquer certaines intrigantes façades d’Aldo Rossi – à mi-chemin du malaise et du déjà-vu rassurant – et sur lesquelles on peine à mettre des mots.

La façade devient ainsi l’enjeu central du projet. Sa matérialisation ne sera donc pas liée aux caractéristiques propres aux matériaux, mais à leur propension à incarner les couleurs établies dans le projet de concours. Dans ses phases initiales, le projet devait être conçu en céramique artisanale mais cette dernière ne permettait pas aux architectes d’atteindre la palette de couleurs souhaitée. Après recherches, leur choix s’est porté sur des plaques de céramique industrielles de 240 × 52 × 14 millimètres.

Ce caractère abstrait exerce aussi un rôle fonctionnel et culturel pour les habitants du quartier. La force expressive de la façade en fait un point de repère, un signal dans la ville. Cet aspect ouvre une discussion essentielle: le lien entre logement et ville. Dans l’ensemble de HHF, cette relation est construite par une façade dont la matérialité audacieuse refuse la neutralité derrière laquelle les logements se cachent habituellement. L’immeuble cherche au contraire à être aperçu de loin. Les architectes parviennent à le questionner par une série de choix, anodins en apparence, mais qui, une fois cumulés, achèvent la puissante simplicité de ce projet. Ainsi, ils osent proposer la couleur également dans les cages d’escaliers, manière de distinguer les immeubles à l’intérieur par un rappel de l’aspect extérieur: une rupture avec la tendance minimaliste actuelle caractérisée par des escaliers en béton brut; une invitation, pour les habitants, à s’approprier leurs espaces communs.

S’approprier le vis-à-vis

Si les typologies, compactes, des étages ne nécessitent pas que l’on s’y attarde longuement, étant donné qu’elles ressemblent beaucoup à ce que l’on peut trouver sur le marché locatif conventionnel, les architectes ont développé d’intéressants logements-ateliers en rez-de-chaussée. Conçus de plain-pied, ces appartements renoncent au rez-de-chaussée surélevé approximatif que les immeubles avoisinants adoptent. Leur plan, étroit et traversant, tire profit côté chambre d’un jardinet privatisé et, côté séjour-­atelier, de la place du quartier: il offre ainsi la possibilité de concilier travail, habitat et espace public – une recherche de flexibilité d’usage particulièrement d’actualité en temps de crise sanitaire. Côté place, un jardin d’hiver sert de couche protectrice entre le monde extérieur et l’habitation. Il devient un seuil, un filtre flexible pouvant être ouvert et fermé à volonté. L’habitant reste libre de décider au jour le jour de la relation qu’il veut établir avec le quartier, oscillant entre la franche mise en vitrine de son séjour, ou une exhibition plus timide, qui n’en demeure pas moins plus intime que ce qu’on a l’habitude de voir en Romandie. Un dispositif qui, par l’incorporation du travail dans le logement, en relation directe avec l’espace public, rappelle les traditionnelles maisons ouvrières centenaires, comme on en retrouve à Renens.

Innover au sein de l’ordinaire

En conclusion, Aux Entrepôts de HHF incorpore dans la région dynamique de l’Ouest lausannois des réflexions contemporaines sur le logement, dans un cadre contraignant. Les architectes revisitent donc une tradition du logement oubliée au fil du temps, qu’ils réimaginent, parvenant ainsi à réinterpréter finement des dispositifs bien connus dans un territoire qui les a souvent ignorés.
Ainsi, la qualité intrinsèque du quartier se retrouve dans une étonnante simplicité: la couleur d’une façade, l’abstraction de son dessin, la juxtaposition d’un atelier-logement et de l’espace public. Avec ce projet, HHF a su profiter de toutes les fenêtres de liberté dans les détails les plus anodins, afin de convaincre un maître d’ouvrage, CFF Immobilier – plus connu pour sa rigueur d’exécution que pour son audace – d’explorer des thématiques passionnantes.

Aux Entrepôts, logements, Renens (VD)
Maître de l’ouvrage
CFF Immobilier

 

Architecture
HHF Architekten

 

Entreprise totale
PORR Suisse

 

Programme
Logements et surfaces commerciales

 

Concours
2016, 1er prix

 

Réalisation
2016-2021

 

Surface
7539 m2 + 4427 m2 en sous-sol

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