Wal­ter Brug­ger, pay­sa­gis­te to­tal

Que fait exactement un.e architecte-paysagiste dans la ville? Presque vingt ans après la disparition de Walter Brugger, on peut encore répondre à cette question en montrant les aménagements paysagers qu’il a réalisés dans la région genevoise et au-delà. L’exposition, intitulée «Les jardins et les paysages de Walter Brugger » à  voir jusqu'au 8 décembre compris au Pavillon Sicli à Genève, montre la valeur pionnière et innovante de sa production des années 60 et 70, encore en grande partie visible et constitutive du paysage local.

Publikationsdatum
03-12-2021
Valérie Hoffmeyer
journaliste, architecte paysagiste et correspondante régulière pour Tracés.

Les photographies

Les 19 images sélectionnées pour l’exposition ont été choisies parmi des dizaines de clichés, tous pris en 2021 par Stéphane Dondicol. Elles disent la diversité de la pratique de Brugger, qui s’est déployée sur plus de quatre décennies, et interrogent sa pertinence à la veille d’une catastrophe écologique annoncée.

Au-delà d’un simple état des lieux, le photographe met la précision de son cadrage au service d’un seul objectif : mettre en lumière le travail du paysagiste, montrer comment il réussit, souvent, à entrer en relation avec l’architecture, si monumentale soit-elle, et le grand paysage. De la cité du Lignon au siège du BIT, du parc et des toitures végétalisées de l’ensemble de Budé au petit jardin-tableau du Conseil œcuménique des églises, ces paysages célèbrent d’abord l’omniprésence du végétal. Arbres, arbustes, tapissantes ont pris une ampleur remarquable et visible aujourd’hui encore, dans des conditions qui ne sont pas toujours optimales. Talus ou bermes d’autoroutes, toitures, dalles de parking, terrasses d’hôpital, partout le végétal de Brugger s’épanouit, grâce notamment à la précision de sa technique et à l’adéquation des plantes choisies pour ces différentes situations. En 2021, ces caractéristiques-là nous parlent plus que jamais.

La commande des étudiant.e.s

Les images de Stéphane Dondicol répondent à une commande formulée par des étudiant.e.s en paysage. Parti.e.s durant un module exploratoire en reconnaissance de leur aîné, ils et elles ont arpenté les sites et dépouillé les archives; ils et elles ont vu et compris comment, dans les années 1960, le quartier international et les cités nouvelles se sont érigées sur des terres agricoles et d’anciens domaines, perçus à cette époque comme une page blanche où inscrire les marques du progrès. Ils et elles ont parfois jugé certains de ces aménagements «démodés» pour ne pas dire ringards, alors que d’autres sont protégés au titre du patrimoine paysager genevois. Moment passionnant que celui de ce basculement, qui n’a pas encore tout à fait choisi son camp.

De l’Amérique à Genève, le parcours de Brugger

Walter Brugger, c’est le paysagiste des Trente Glorieuses, un professionnel absolu et décomplexé qui traverse les échelles du projet de paysage. Formé aux Etats-Unis, il s’installe à Genève en 1959 et commence très tôt à œuvrer sur les grands chantiers de l’après-guerres. Une attitude probablement assez inédite dans la modeste Suisse romande, qui le mène très tôt à s’occuper de l’autoroute Lausanne-Genève en vue de l’Exposition nationale de 64 à Vidy. Il participe d’ailleurs aussi à ce grand projet, avec ses confrères Neukomm et Bischof. Et assure, en parallèle, la création de jardins privés, parfois pour le compte de propriétaires qui deviennent des ami.e.s au long cours.

Quelle que soit l’ampleur de ses interventions par la suite, on sait, parce qu’on le lit dans les archives qu’il a laissées, que Walter Brugger est compétent dans toutes les étapes du projet. Il est un fin technicien, un grand connaisseur des plantes, et aussi un concepteur. Un paysagiste total en somme. Dès 1966, il conçoit l’esquisse préalable qui définit les implantations du bâti, des sections et des collections du centre horticole de Lullier. A-t-il procédé de la sorte au Lignon ou à Budé, avec les frères Honegger, les Addor et Juillard, les Camenzind, tous ces architectes de renom avec lesquels il collabore dès ses débuts? Est-il réellement intégré aux équipes très en amont des projets, faisant valoir des critères paysagers pour décider des implantations du bâti? On aimerait dire oui, pour mieux revendiquer son héritage, mais les archives n’en fournissent pour l’heure pas la preuve.

Droit d’inventaire

Dans cet héritage qui compte plusieurs centaines de projets réalisés, peut-être mille au total, on souhaite aussi exercer un droit d’inventaire. L’œuvre collective de la filière architecture du paysage, qui fête ses 50 ans cette année sous ce regard tutélaire, exprime un peu de l’ambivalence que peut susciter l’époque et l’œuvre de Brugger aujourd’hui. Evocation du jardin du Conseil œcuménique des églises dans le quartier international de Genève, cette «Impression de jardin» occupe le centre du pavillon Sicli et en réplique, au sol, les formes organiques. Elle fait se rencontrer un procédé d’impression 100% manufacturé et un autre, presque industriel, à l’image des deux temps de la carrière de Brugger; celle, innovante et pionnière, des années 1960 et 1970, et celle, plus standardisée pour ne pas dire banalisante, des années 1980 et 1990. Et ce n’est pas là la moindre des qualités pédagogiques de l’œuvre bruggérienne: elle permet de rappeler à quel point la culture, la sensibilité, la curiosité pour le monde et les gens, alliés à une fine connaissance du végétal, de l’eau et du sol, restent la clé de voûte du projet de paysage. Tout en rappelant aux nostalgiques de cette génération qu’elle travaillait autrement, sur des territoires souvent vierges et libres de l’injonction contemporaine de construire la ville sur la ville. Et, surtout, l’urgence climatique et l’effondrement de la biodiversité en moins.

Valérie Hoffmeyer, commissaire de l’exposition

Les jardins et les paysages de Walter Brugger

 

Jusqu’au 8 décembre compris

Ouvert de 10 à 18h, tous les jours

Pavillon Sicli, 45 route des Acacias, 1227 Les Acacias

Entrée libre.

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