Une ma­chi­ne à fai­re en­tendre

Rencontre avec Yann Jurkiewicz, ingénieur acousticien

Publikationsdatum
02-08-2021

Tracés: Comment le cahier des charges pour l’acoustique d’un théâtre est-il défini?
Il y a deux types d’objectifs à distinguer. Tout d’abord, ceux parfaitement quantifiables et prévisibles par calcul, tels que les valeurs d’isolement entre locaux ou le bruit des équipements techniques (notamment des réseaux CVC); en résumé, l’acoustique du bâtiment, à laquelle s’ajoute la résonance entre espaces (foyers, ateliers, loges, bureaux…). Le second type d’objectifs, par nature plus subjectif, concerne la qualité acoustique des salles de spectacle; il existe là aussi des paramètres mesurables et modélisables, mais ceux-ci ne suffisent pas à décrire comment une salle «sonne», c’est-à-dire comment elle réagit à la voix des acteurs ou au système de sonorisation.

Pour la première catégorie d’objectifs, la définition du cahier des charges est relativement standardisée, à partir de valeurs recommandées par des normes. Elle se base aussi sur certaines « habitudes » issues d’expériences dans d’autres théâtres.

Pour la deuxième catégorie, le cahier des charges définit aussi des valeurs mesurables, principalement des temps de réverbération. Mais, plus encore que pour l’acoustique du bâtiment, une adaptation des objectifs est nécessaire en fonction de l’utilisation future de chaque salle. Un point essentiel pour la conception, pour éviter de créer une acoustique allant à l’encontre des besoins fonctionnels – ce qui serait désastreux. La conception d’une salle intégralement sonorisée sera ainsi très différente de celle d’une salle non sonorisée devant fonctionner en voix nue. Le comportement acoustique du plafond est en outre fortement conditionné par les installations de technique scénique souhaitées.

Pour les salles de théâtre, l’objectif acoustique principal est l’intelligibilité de la parole à toutes les places. Celle-ci doit être non seulement forte, même aux places éloignées, mais aussi claire et précise. Le dessin de chaque salle comprend ainsi des surfaces réfléchissantes apportant un supplément d’énergie acoustique qui renforce la voix des acteurs sans la «brouiller». On les appelle les réflexions précoces, parce qu’elles doivent parvenir aux auditeurs très vite après l’émission du son. Les besoins en la matière sont d’autant plus importants que la salle est grande et qu’elle doit fonctionner en voix nue.

Quelles sont vos méthodes de travail?
La modélisation 2D n’est utilisée qu’en tout début de projet, pour vérifier et ajuster les grandes dimensions avec le reste de l’équipe, mais les calculs acoustiques nécessitent très vite une approche 3D. Dans un premier temps, les modélisations reposent sur des géométries simplifiées et se focalisent sur les éléments jugés acoustiquement importants, afin d’analyser et d’optimiser le trajet des réflexions précoces avec toute la précision nécessaire, sans avoir à calculer le comportement acoustique complet de la salle. Au niveau scientifique, il s’agit d’algorithmes de tirs de rayons assez simples, qui offrent une bonne prédiction principalement pour les hautes fréquences des sons aigus.

Dans un second temps, lorsque la salle a pu atteindre un niveau d’optimisation jugé bon, on établit un modèle 3D plus complet de la salle, dans lequel toutes les surfaces se voient attribuer des caractéristiques acoustiques. Les prédictions reposent à nouveau sur les tirs de rayons, mais en recourant à des algorithmes plus élaborés que ceux utilisés initialement. Nous obtenons ainsi des résultats chiffrés pour de nombreux paramètres associés à la perception sonore à chaque place. Cette modélisation et les calculs eux-mêmes sont des processus assez longs: ce type de modèle a donc pour objectif de valider définitivement la conception, et non de comparer «à tâtons» des variantes.

Nous avons parfois recours à un troisième type de modélisation qui utilise des algorithmes d’éléments finis de frontière (BEM). Ils permettent une meilleure prise en compte de ce qui fait la complexité de l’acoustique, à savoir la nature ondulatoire du son, qui est largement ignorée par les tirs de rayons.

Yann Jurkiewicz est ingénieur diplômé de l’École Centrale des Arts et Manufactures (École Centrale Paris). Il est associé chez Kahle Acoustics.

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