Une «troi­siè­me voie» du lo­ge­ment en France?

"Exposition Zurich" à la Cité de l’architecture et du patrimoine, Paris

La Cité de l’architecture remonte l’exposition dédiée aux coopératives nouvelle génération qui a été créée au forum d’architectures de Lausanne en 2017. L’architecture suisse aurait-elle donc autre chose à présenter que des détails onéreux et une exécution soignée ? Ce sont autant les modes de financement que les innovations typologiques des coopératives qui pourraient intéresser la France, malgré des différences de conceptions importantes concernant le logement à vocation sociale.

Publikationsdatum
17-10-2019

Dominique Boudet est critique d’architecture en France. Frappé par la qualité et la concentration des coopératives construites à Zurich, il publie en 2015 un dossier dans la revue d’architectures, puis un livre, Nouveaux logements à Zurich : la renaissance des coopératives d’habitat (Park Books, 2017). Martin Lepoutre a travaillé chez Adrian Streich Architekten, puis étudié la maîtrise d’ouvrage d’utilité publique, grâce à la fédération Coopératives d’habitation suisse. Il collabore aujourd’hui au projet Zollhaus au sein de la coopérative Kalkbreite. Ensemble, ils montent une exposition à Lausanne en 2017 qu’ils exportent maintenant à Paris, avec l’ambition de lancer un débat sur la conception du logement en France.

TRACÉS: La France doit construire plus vite, moins cher et plus écologique. Pour suivre le rythme, des HLM sont progressivement vendus à des acteurs privés. Dans ce contexte, le modèle coopératif pourrait-il servir de «troisième voie»?
Dominique Boudet: L’autorisation donnée aux offices d’HLM de procéder à la vente d’une partie de leur patrimoine a essentiellement pour objectif de leur redonner des capacités financières leur permettant de relancer la construction de logements sociaux. Cette initiative vient confirmer la préférence des Français pour la propriété, qui reste le fondement de la politique du logement en France. C’est à l’opposé de la coopérative, qui est fondée sur la location du logement, il est vrai associée à la propriété collective de l’immeuble. On aurait pu imaginer un transfert de certains immeubles HLM collectivement à leurs occupants pour former une coopérative. Mais les caractéristiques du logement social en France – de grands ensembles, éloignés des centres-villes, occupés par des populations à faibles revenus – rendent ces transferts peu aisés. Or, cela n’est peut-être pas impossible, si on y met les moyens administratifs et financiers. De tels transferts permettraient, dans certaines villes, de donner rapidement une réalité – et une visibilité – à la « troisième voie » du logement en France.

Martin Lepoutre: Il s’agit essentiellement d’une question politique.1 Si l’émergence d’une «troisième voie» représente une formidable opportunité, il n’est pas certain que la politique actuelle souhaite renforcer la participation citoyenne concernant le financement et la conception du logement, même dans un contexte où le logement abordable manque cruellement.

Quelle est la situation du logement coopératif en France? Le modèle existe-t-il? Est-il facilité par l’État?
DB : Même si elles n’ont pas connu le même développement que dans d’autres pays européens, les coopératives de logement ont existé en France. Le maître d’ouvrage de l’unité d’habitation de Rézé conçue par Le Corbusier, par exemple, était une coopérative. Mais à partir des années 1970, une nouvelle législation interdisant leur financement a porté un coup d’arrêt à leurs possibilités de développement. Depuis 2014, de nouvelles lois rouvrent cette possibilité…

ML : Le logement coopératif est resté marginal en France, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il y a un amalgame entre habitat participatif, habitat coopératif, habitat collaboratif, alors même que la plupart des coopératives en France ne sont pas des structures participatives. L’habitat participatif revenant à la mode, la législation a évolué pour inciter les promoteurs à faire du « participatif » et reconnaître juridiquement les coopératives d’habitants. Comme les Français s’orientent traditionnellement vers la propriété privée pour sécuriser leur patrimoine, la notion de propriété collective inhérente à la coopérative immobilière vient bousculer les mentalités, comme le fait la sharing economy. Enfin, les banques connaissent mal les montages financiers et ne veulent prendre aucun risque lors des opérations en zone tendue, là où le foncier est si rare. Or, c’est là que les montages hybrides coopérative d’habitants + bailleur social devraient être privilégiés. En Suisse, dans la plupart des villes dotées d’une réelle politique du logement, intégrer une coopérative d’habitants est obligatoire dans des opérations d’une certaine taille. C’est donc bien une politique publique forte qui permettrait de faire émerger une «troisième voie».

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Le modèle financier d’une coopérative suisse n’est-il pas réservé à des hauts revenus? Peut-on le comparer au logement social français?
DB: Avec l’augmentation continue du coût de la construction dans les villes, là où la demande de logements est la plus forte, les classes moyennes, en particulier les familles, sont pénalisées. Trop riches pour accéder au logement locatif social, mais trop pauvres pour acquérir un appartement en ville ou en proche banlieue, elles sont donc rejetées à la périphérie. C’est là que la coopérative de type zurichois démontre son avantage: elle permet aux classes moyennes de trouver un logement à un prix abordable dans des situations urbaines. Il est vrai que c’est une location. D’où la question: les Français sont-ils prêts à abandonner leur préférence pour la propriété, au profit d’une location abordable en zone urbaine?

ML: Le montant des parts sociales d’une coopérative est souvent inférieur aux fonds propres demandés par une banque lors d’un crédit immobilier. Par ailleurs, en Suisse, les coopératives se gèrent elles-mêmes et peuvent donc indexer le prix du loyer sur les revenus des ménages, ou encore intégrer quelques logements sociaux dans une opération, en partenariat avec la municipalité, ce qui permet de réduire les coûts d’investissement et de favoriser la mixité sociale. Les loyers coopératifs sont basés sur les coûts réels d’une opération, ils sont en ce sens indépendants du marché. Ils deviennent donc de plus en plus compétitifs face à des loyers libres qui augmentent. À moins que la tendance à l’urbanisation s’inverse, la coopérative a de beaux jours devant elle, et de longues listes d’attente!

Les coopératives zurichoises nouvelle génération modifient parfois les habitudes sur le plan de la vie en communauté, avec des désagréments et des avantages (espaces partagés, cogestion, etc.). Les Français sont-ils prêts pour ces évolutions? 
ML: La coopérative nouvelle génération est à mon sens le reflet des aspirations d’une population urbaine qui évolue. Le modèle de la famille traditionnelle n’est plus une norme : on étudie plus longtemps, on se marie moins souvent, si ce n’est plus tard, on déménage plus... Même connecté, on habite plus souvent seul. C’est le cas en particulier des personnes âgées, qui sont très impliquées dans certaines coopératives intergénérationnelles. Que ce soit de la colocation ou de la cohabitation, l’évolution des modes de vie implique aussi moins d’espaces privatifs pour plus d’espaces partagés et peut avoir une réelle répercussion sur la typologie et l’architecture. Hier le familistère de Guise, aujourd’hui le cluster… La gestion des espaces communs est un point important, mais qui relève surtout de la gouvernance. Celle-ci peut être résolue par certains habitants ayant du temps libre, mais tout aussi bien par un prestataire de services. L’important est que l’architecture offre un cadre de vie de qualité et une densité adéquate, mais aussi qu’elle garantisse l’intimité des habitants.

Existe-t-il en France des immeubles ou ensembles qui se rapprochent de ce que les Zurichois ont pu mettre en œuvre ces dernières années?
ML: En matière de participation, d’innovation architecturale ou de mixité programmatique, Zurich est en avance par rapport à la France et même au reste de la Suisse qui s’en inspire. Il y a quelques exemples de coopératives d’habitants à Lyon, Strasbourg, Toulouse ou Nantes – aucune à Paris pour le moment – mais au regard de la qualité des projets et de leur échelle, je dirais qu’on en est toujours au stade de l’expérimentation.

Note

1. Se référer à l’ELAN, loi sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, du 23 novembre 2018.

Colloque - 24 octobre 2019
Le logement en France. Quelles perspectives pour les coopératives?
Ordre des architectes d’Île-de-France, Les Récollets, Paris

 

Débat - 21 novembre 2019
La conception du logement : nouveaux modes de vie, nouvelles typologies.
Cité de l’architecture et du patrimoine, Paris

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