La 3e voie: ré­sis­ter et in­no­ver

Editorial paru dans Tracés n°18/2014

Date de publication
18-09-2014
Revision
10-11-2015
Cedric van der Poel
Codirecteur d'espazium.ch, espace numérique des éditions pour la culture du bâti

L’accumulation du capital et la marchandisation du sol ont sorti un bien aussi élémentaire que le logement de la sphère du social pour le cantonner à celui de l’échange économique. Des auteurs comme Karl Polanyi et David Harvey notamment l’ont thématisé1

Couplé au phénomène de métropolisation qui concentre les activités économiques dans des centralités urbaines, il n’est pas difficile de comprendre le mécanisme qui a entraîné l’arc lémanique dans une situation de pénurie et de cherté du logement. Même si la propriété  permet de sortir provisoirement l’individu de la dépendance au marché, elle n’est tout simplement pas une option pour une grande partie de la population. 

Entre la location et la propriété, il existe une troisième voie qui connaît un regain de dynamisme salutaire : les coopératives d’habitation et d’habitants. C’est à la fin du 19e siècle que, confrontés à l’augmentation des loyers et à l’insalubrité des logements, des travailleurs ont décidé de se réunir en coopérative afin de créer par leur propres moyens du logement sain et abordable. La formule est simple et elle n’a pas beaucoup évolué depuis plus d’un siècle. Il s’agit avant tout de fournir aux membres de la coopérative un loyer basé sur les coûts et non sur les prix du marché. Les immeubles sont donc soustraits à la spéculation à long terme ; la valeur d’échange, dominante sur le marché, est remplacée par une valeur d’usage. 

En Suisse, le logement d’utilité publique, dont font partie les coopératives, permet de proposer des logements dont le loyer est en moyenne 30 % inférieur au prix du marché. Il compte plus de 260 000 logements, soit 8,8 % du marché. Plus particulièrement, les coopératives d’habitation comptent 160 000 logements, soit plus d’un logement sur 20. Dans des villes comme Zurich, la proportion passe même à un sur cinq2

C’est précisément sur la capitale économique helvétique que ce numéro se concentre. Nous avons voulu montrer que, si l’objectif de cette troisième voie est avant tout de « réencastrer »  l’immobilier dans la sphère sociale3 – un mouvement de résistance pour le droit à la ville – elle est aussi un formidable laboratoire pour repenser la manière de vivre en ville et, par extension, celle de vivre ensemble. Le projet Kalkbreite présenté dans ce numéro en est le parfait exemple : diminution des surfaces par habitant, mutualisation des services et de pratiques quotidiennes, modularité des espaces, concertation et pratique journalière de la démocratie. S’il est nécessaire de laisser le temps à ce modèle de faire ses preuves, ce dernier a déjà à son actif toute une série de succès qu’il est important de relever : coût final et temps de construction inférieurs au devis et aux prévisions initiales, ou un programme mixte valorisant tant économiquement que culturellement le quartier. 

Souhaitons que les autorités en charge de grands projets comme le PAV à Genève ou Métamorphose à Lausanne aient l’audace de permettre le développement de structures aussi ouvertes, hybrides et urbaines.

 

Notes

1. Karl Polanyi, La grande transformation : aux origines politiques et économiques de notre temps, 1983, Gallimard, Paris / Harvey David, « L'urbanisation du capital », in : Actuel Marx 1/2004 (n° 35), p. 41-70, www.cairn.info
2. Pascal Magnin (2013), « La coopérative d’habitation comme réponse à la crise du logement ? », ARTIAS, Yverdon-les-Bains 
3. Cette idée est parfaitement défendue par Melaine Laesslé dans son mémoire de master défendu à l’IDHEAP : Les coopératives d’habitation comme alternative au marché immobilier? Valeur d’usage et valeur d’échange du logement, 2012, IDHEAP,  Lausanne.

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