Des né­vro­ses coll­ec­ti­ves et in­di­vi­du­el­les eu égard à l'ha­bi­tat

Le lion d’or, la plus haute distinction à la Biennale d’Architecture de Venise décernée au pavillon suisse, récompense une installation critique, à certains égards déstabilisante, sur la normativité de l’habitat.

Publikationsdatum
27-05-2018
Revision
30-05-2018

Une succession de pièces vides, évoquant des intérieurs domestiques, perturbés par des jeux d’échelles. Des pièces deux fois plus petites que la normale, une cuisine deux fois plus grande, des couloirs trop bas, des fenêtres disproportionnées. De quoi ce jeu avec les proportions est-il le signe?

Si se retrouver adulte face à une porte dont la poignée est à deux mètres du sol peut s’apparenter à un jeu d’illusion de rétrécissement, il s’agit surtout d’une expérience radicale de la normativité et de la façon qu’a chacun de l’incorporer, notamment dans les principes qui régissent notre rapport à l’habitat.

Il s’agit donc bien d’une mise en espace d’une névrose collective: la norme de l’habitat comme référent commun; des règles implicites capables de faire société. La normativité helvétique est ainsi transformée en principal attribut identificatoire.

L’altération de l’échelle est celle qui permet soudain de réaliser à quel point tout un chacun est tributaire de ce codex inébranlable. La dérégulation sensorielle voulue par l’installation est une façon plutôt ludique et simple de rendre possible une expérience critique de la norme.

Et bien évidement l’expérience critique opère aussi sur ceux qui ne connaissent pas les détails des standards domestiques suisses. Les prises électriques type J, et les poignées de porte en inox. 

Cette hétérotopie domestique ressemble beaucoup à ce que Jean Paulhan décrivait comme l’infini contenu dans une seule pièce, dans l’ouvrage intitulé La peinture cubiste. Dans cette perspective, la contribution suisse peut être rapprochée de l’interprétation qu’a faite Aaron Betsky de la thématique de la Biennale. Essayant de donner du sens à Freespace, le thème un peu vague de la Biennale de cette année, ce dernier a évoqué le «limbo space»; l’espace transitoire et indéfini.

Les limbes auxquelles pense Betsky sont ceux des aéroports, des frontières, des territoires indéterminés, des non-lieux du quotidien. Pour Betsky l’indétermination de ces espaces incertains est essentiellement politique. 

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La proposition suisse semble appliquer cette perte de repères, non plus à la cartographie mondiale, ni même celle de la ville contemporaine, mais à l’espace intérieur, celui du sujet dans son rapport à son foyer. Elle met en doute une fonction psychologique indispensable pour tout être équilibré: sa façon de déléguer à la norme le fait de faire consister le réel.

Toujours dans cette optique, la contribution met littéralement en échec le réel afin de nous projeter pendant un bref instant dans une sorte de non-lieu individuel. Un territoire indéterminé du rapport de chacun à ses certitudes. Un lieu où la norme, c’est-à-dire la loi bâtie, ne garantit plus la constance inébranlable du monde. 

Ce non-lieu où s’effondre les convictions les plus intimes délimite une véritable enceinte critique. Libre à chacun de faire ce qu’il veut à l’issu de la brève expérience: revenir sans tarder dans le giron protecteur de la norme rassurante et protectrice, ou entrer dans une posture d’ouverture et d’expérimentation, du fait d’avoir compris qu’il est possible, et même parfois souhaitable, de négocier avec les normes.

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