Ré­si­den­ces sus­pen­dues

Plusieurs années après la construction de la bibliothèque et de sa surprenante canopée, la Fondation Michalski à Montricher vient d’inaugurer, en avril 2017, le dispositif qui parachève l’ambitieux projet : une série d’habitations compactes et hétéroclites, suspendues par des câbles à la canopée.

Publikationsdatum
03-05-2017
Revision
08-05-2017

Montricher, à 30 km de Lausanne, dans l’environnement idyllique du Jura vaudois, va devoir s’y habituer: la forme imposante érigée en 2011 va progressivement s’activer et accomplir ce pour quoi elle a été conçue: permettre à une communauté d’auteurs d’y vivre et d’y travailler.

Retraite manifeste
Ces cellules individuelles confortablement équipées comme des studios, avec salle de bain, cuisine, séjour et chambre, ne vont pas sans évoquer une tradition perdue des débuts de l’ère chrétienne: celle des moines stylites, qui choisissaient pour lieu de retraite et de prière le sommet d’une colonne d’un des nombreux temples en ruine du monde antique.
Ce ne sont ni les conditions de vie, ni le principe d’élévation qui induisent ce rapprochement entre les moines pénitents et l’inhabituel dispositif. Les cellules compactes, avec des grandes baies vitrées donnant sur le paysage sont loin du lieu de mortification du corps que représentait la colonne pour le stylite. Le rapprochement est à trouver ailleurs, dans la condition paradoxale d’un lieu tout à la fois en retrait et exposé. Se retirer du monde à la vue de tous. Tel était l’essence même de cette pratique, et force est de constater qu’elle s’applique aussi au concept mis en œuvre pour cette résidence.
Le brutalisme revisité des architectes Mangeat Wahlen s’accorde à merveille à ce double impératif du retrait manifeste. La structure évoque certaines grandes étapes de la pensée structuraliste en architecture: la ville spatiale de Yona Friedman, la nouvelle Babylone de Constant, pour ne citer que les plus connues.
L’ensemble reprend à ces grands projets utopiques le principe d’une grille, identifiable en tant que telle, à la fois support et dispositif intelligible de la fonction qu’il accomplit. La canopée devient un abri symbolique recouvrant sans renfermer les unités qui s’y agrippent. Elle unifie, confère un sens à l’ensemble hétéroclite, agissant autant comme un concept que comme une infrastructure.
La contradiction prescrite aux écrivains/résidents, (se montrer/se retirer) qualifie donc aussi l’architecture dans son ensemble. Nous nous trouvons face à un édifice qui se définit par toute une série d’injonctions contradictoires: une canopée qui n’abrite pas, un retrait monumental, un dispositif collectif et individualisant, tout à la fois pérenne et modulable. C’est bien ces contradictions qui activent le bâtiment, qui le font sortir de sa torpeur de chose bâtie pour le faire entrer dans l’instabilité de la chose travaillée par des tensions et des forces contraires. La canopée et les cabanes sont un work in progress, pas seulement pour ce qui s’y déroule, mais aussi pour leur façon de ne pas clore l’architecture dans une forme définitive.
Le dispositif maintient ouverte la promesse d’une évolution. Force est de constater que Vincent Mangeat et Pierre Wahlen ont construit un édifice comme on en voit rarement en Suisse: un dispositif d’exhibition complexe dont la théâtralité est en parfaite rupture avec une quelconque idée de simplicité et de tempérance. Ici, nous évoluons sous le règne du symbolique. Le concept, parfaitement structurant, ne se retire pas pour laisser place à un compromis réaliste. Bien au contraire, il s’intensifie dans la matérialisation.

Une exposition d’architecture
L’ensemble ne va pas sans évoquer un lieu où, en plus de l’activité d’écrivain, s’expose la pratique architecturale. Y contribuent la pluralité des matériaux (bois, métal, verre) et le caractère hétéroclite des formes suspendues sous la trame ondulante. Le tout fonctionne comme un instantané de ce que notre époque met sous le terme «unité d’habitation individuelle». Chaque cabane étant une variation du même programme, l’ensemble permet une lecture comparative. De ce fait, les neuf modules suspendus encouragent une approche critique des solutions mises en avant dans chaque cas.
Choix du métal contre celui du bois, de l’opacité contre la transparence, de la modération contre la radicalité, comme pour l’escalier à la limite du praticable de la cabane Bonnet.
Rintala-Eggertsson superposent les fonctions, là où Schaub-Zwicky les placent sur un même niveau. Fuhrimann-Hächler préfèrent monter vers la canopée, quand Elemental choisit de rester au ras du sol. Les architectes des unités semblent avoir été les premiers auteurs à avoir confronté leurs particularités individuelles dans l’espace commun et indifférencié de la canopée. Ce geste qui préfigure la communauté d’auteurs qui va y résider se révèle comme une tentative de faire converger le fond, ce à quoi sert l’édifice, et sa forme.
Mangeat-Wahlen, en grands orchestrateurs, livrent la plus complexe de leurs réalisations. Un ensemble dont on ne mesure pas encore la place qu’il pourrait occuper dans l’histoire de l’architecture. 

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