En­quê­te sur la ré­mu­né­ra­tion des ar­chi­tec­tes: ré­sul­ta­ts (2e par­tie)

Combien gagne un·e architecte en Suisse romande? TRACÉS a posé cette question à son lectorat en mars dernier, qui a répondu par le biais d’un questionnaire anonyme – et les résultats sont édifiants. Le deuxième volet des résultats de cette enquête se penche sur les nombreux témoignages reçus.


 

Data di pubblicazione
11-09-2025

La chronique sur les résultats de notre «Enquête sur la rémunération des architectes en Suisse romande» se poursuit. Pour rappel, le premier volet, publié en juin 20251, portait sur les revenus selon le genre. Le second volet, que vous avez sous les yeux, s’intéresse aux plus de 200 témoignages détaillés laissés en fin de questionnaire. Les extraits retranscrits ici reflètent des préoccupations récurrentes au sein de l’échantillon des répondant·es. Les remarques ne se bornent pas à la question des rémunérations. Les conditions de travail au sens large (flexibilité, avantages, santé mentale, etc.) y sont également largement commentées. 

Lire la première partie de l'enquête: Enquête sur la rémunération des architectes: résultats (1re partie)

Des salaires insuffisants?

«Être architecte, c’est non seulement faire face à de multiples exigences, mais aussi assumer une lourde responsabilité. Dans ce métier, c’est toujours l’architecte qui porte la faute en cas de problème. Le stress est omniprésent, et pourtant, les rémunérations sont loin d’être à la hauteur des attentes. En dépit des compétences requises, notre travail est souvent dévalorisé, et nous n’avons que peu d’avantages, voire aucun.» (femme, 27 ans, GE, employée, ≈ 65000 CHF2)

L’avis de cette architecte genevoise en début de carrière est partagé par de nombreux·ses répondant·es: les salaires seraient insuffisants; ils ne correspondraient pas à la durée et à la difficulté des études (six années si l’on compte le stage), au stress quotidien, ou encore aux nombreuses responsabilités qui incombent aux professionnel·les.

De plus, selon plusieurs employé·es ayant témoigné, les salaires stagneraient et ne suivraient pas l’évolution du coût de la vie. Certain·es pointent du doigt une rémunération qui ne suffit pas à assumer des dépenses quotidiennes, pouvant être considérées comme essentielles. Une personne confie notamment ne pas réussir à épargner, tandis qu’une autre peine à envisager un avenir familial: «Les charges liées à une famille, telles que l’éducation, la santé, l’alimentation et les loisirs, représentent des dépenses considérables, rendant ce revenu insuffisant pour couvrir pleinement les besoins fondamentaux.» (homme, 34 ans, GE, employé, ≈ 85000 CHF)

Les conventions collectives de travail (CCT), en particulier celle de Genève, sont pointées du doigt par plusieurs répondant·es. Selon un architecte genevois particulièrement critique, les CCT serviraient de «prétextes pour rémunérer au minimum les architectes débutants dans la profession». (homme, 28 ans, GE, employé, ≈ 65000 CHF)

«Les charges liées à une famille, telles que l’éducation, la santé, l’alimentation et les loisirs, représentent des dépenses considérables, rendant ce revenu insuffisant pour couvrir pleinement les besoins fondamentaux.» Homme, 34 ans, GE

Des conditions peu enviables

Le niveau des salaires n’est pas la seule préoccupation des architectes employé·es. Il est notamment question des heures supplémentaires qui, bien qu’elles soient souvent exigées, ne sont pas toujours compensées ou rémunérées; mais aussi de la présence toujours plus grande des procédures administratives et des normes, qui complexifient la profession et «prétéritent les mandats et leurs résultats». (homme, 35 ans, VD, employé, ≈ 105000 CHF)

Plusieurs architectes dénoncent l’absence d’avantages (hors rémunération) dans leurs bureaux. Leur employeur·euse ne participe pas au coût du transport, n’offre pas la possibilité de faire du télétravail, et ne contribue pas, d’une manière ou d’une autre, à leur bien-être. Les remarques sur l’absence d’un 13e salaire sont récurrentes. Une personne constate également les mauvaises performances de sa «prévoyance retraite». (homme, 35 ans, VD, employé, ≈ 95000 CHF). En ce qui concerne les horaires de travail, une architecte de 30 ans confie n’avoir «aucune flexibilité dans le choix des temps de pause, ceux-ci sont figés pour tous les employés sans même la possibilité de quitter les locaux (hors pause de midi)». (femme, 30 ans, Vaud, employée, ≈ 75000 CHF)

Burn-out, changement d’orientation

«J’ai vécu un épuisement généralisé après plus de quatre années dans un bureau d’architectes (arrêt de travail, puis démission). Lors de ma deuxième expérience, j’ai vécu une situation de mobbing qui s’est terminée par un licenciement (un comportement visiblement systémique dans ce gros bureau). Ces événements ont eu un impact sur mes revenus (avec diminution de mon taux et périodes de chômage fréquentes avec fin de droit…).» (femme, 32 ans, VD, employée, ≈ 55000 CHF)

L’expérience vécue par cette architecte n’est pas isolée. Dans plusieurs commentaires il est question de burn-out provoqués par un rythme effréné ou, dans quelques cas, par l’attitude dénigrante et méprisante de certain·es supérieur·es hiérarchiques, ce qu’on appelle le mobbing. Ces situations, qui semblent courantes au vu du nombre de témoignages reçus, peuvent avoir des conséquences négatives durables sur la vie des personnes concernées. Elles peuvent même mener à des reconversions professionnelles, comme dans le cas de cette architecte: «Je suis en réinsertion dans un autre milieu que l’architecture après deux ans d’arrêt pour burn-out et mobbing. J’ai démissionné pour me sauver la vie alors que je travaillais pour un grand bureau genevois.» (femme, 30 ans, VD, employée, ≈ 75000 CHF)

«J'ai démissionné pour me sauver la vie alors que je travaillais pour un grand bureau genevois.» Femme, 30 ans, VD

Pression sur les honoraires

L’inquiétude face aux honoraires des architectes ressort de manière flagrante dans plusieurs commentaires, souvent écrits par des indépendant·es et/ou des employeur·euses. Certains bureaux accepteraient de faibles honoraires, ce qui influencerait de manière négative la rémunération des architectes dans leur ensemble. «En tant qu’indépendant, la pression sur les honoraires, et particulièrement le tarif horaire, est inversement proportionnelle à l’inflation de ces dernières années et au coût de la vie3. […] j’ai récemment été confronté à une pression d’un BAMO suite au gain d’un concours à 110.– TTC.» (homme, 38 ans, FR, indépendant, ≈ 65000 CHF)

À plusieurs reprises, il est question d’une meilleure protection du métier d’architecte, afin d’assurer de meilleurs honoraires et salaires, et même d’améliorer les conditions de travail. «Le métier n’est pas protégé au même titre que celui de médecin ou d’avocat. Cela semble être un véritable problème.» (homme, 33 ans, GE, employé, ≈ 45000 CHF)

La passion, un mythe à déconstruire?

S’il est un mot qui revient fréquemment dans les commentaires, c’est «passion». L’architecture serait, selon certain·es du moins, un métier «passionnant», qui exigerait donc des sacrifices. «Quand on aime, on compte moins bien.» (homme, 50 ans, VD, employé, ≈ 75000 CHF). D’autres y voient au contraire un mythe à décons­truire, un frein dans la lutte pour l’obtention de meilleures conditions de travail: «Cessons les sacrifices du métier ‹passion›. Qui a la passion de tenir des deadlines, hurler sur les mandataires et d’établir des tableaux excel?» (femme, 29 ans, GE, employée, ≈ 75000 CHF).

Notes

 

1. Guillaume Pause, «Enquête sur la rémunération des architectes: résultats (1re partie)», TRACÉS 6/2025

2. Rémunération annuelle à 100% 

3. À propos des honoraires à Zurich, voir l’article de Judit Solt: «Débats tendus sur les honoraires à Zurich», TRACÉS 8-9/2025

MÉTHODE

 

Les réactions suscitées par l’introduction d’une nouvelle CCT dans le canton de Genève en 2024 et la révision en cours des honoraires SIA ont provoqué des discussions au sein de la rédaction de TRACÉS. Il nous est apparu que peu de données existaient sur l’état des revenus dans la profession d’architecte en Suisse romande. Nous avons donc procédé à une enquête par questionnaire auprès du lectorat. Elle visait tous types d’architectes, des jeunes employé·es jusqu’aux patron·nes de bureaux bien établis.
Du 13 au 31 mars 2025, 851 personnes nous ont répondu. L’échantillon des répondant·es comprend notamment 32% de personnes étrangères et 44% de femmes. L’âge moyen se situe à 33 ans. La diversité des cantons romands y est bien représentée, bien qu’une large majorité travaille dans les cantons de Genève et de Vaud. Ce sondage n’est pas exhaustif et comporte des limites. Il ne remplace en aucun cas une étude plus poussée, réalisée par des professionnel·les.