Zé­ro, le chif­fre ma­gi­que

Éditorial de la revue Tracés du mois de novembre

Data di pubblicazione
04-11-2022

On connaissait les mots magiques («densité», «résilience», «communs», pour n’en citer que quelques-uns), il y a désormais le chiffre magique: «zéro». Zéro émission nette, zéro artificialisation nette, zéro déchet, zéro démolition, zéro construction neuve… L’incantation est reprise en chœur par tous les acteurs de la construction, comme si le dire suffisait à le faire advenir. Mais comment descendre en piqué vers le nul alors que toutes les courbes de consommation, de production, de destruction des milieux sont au plus haut – c’est la Grande Accélération1 – et que rien ne semble pouvoir stopper leur envolée, hormis un effondrement global qui résoudrait définitivement nos problèmes!

Business as usual, donc. Le train à grande vitesse de la modernité continue à rouler à tombeau ouvert et, pour l’arrêter, si on ne veut pas griller vif à brève échéance, il aurait fallu freiner depuis longtemps déjà. Certains ont fait ce choix à l’échelle individuelle ou communautaire. Dans le cas des systèmes complexes que sont les villes, le changement prend du temps, les injonctions évoluent, il faut savoir réorienter sa boussole. Le «développement durable», autre mot magique désormais passé de mode, auquel la plupart des métropoles se sont ralliées au début des années 2000 (densification des centres, écoquartiers, bâtiments basse consommation) a produit ses effets dix ou quinze ans plus tard. Entretemps, de nouveaux paramètres sont entrés dans l’équation – l’énergie grise, la pénurie de matériaux, les îlots de chaleur, les crises sanitaires – amenant à requestionner les concepts qui semblaient acquis et partagés. Le paradigme de la croissance démographique et économique, de l’attractivité des villes – qui a longtemps été l’alpha et l’oméga de l’action publique – est à son tour remis en cause. Comment alors s’orienter et agir dans ce contexte mouvant?

L’exemple de Meyrin (GE), Prix Wakker 2022, qui accueillait récemment le séminaire romand de l’association ecobau, est intéressant à ce titre. Depuis le milieu des années 2000, la ville maintient son cap: écologique et social. Elle mène de front des projets d’avant-garde : sociaux (logements abordables et coopératives dans l’écoquartier des Vergers), agricoles et alimentaires (coopérative agricole, supermarché participatif paysan, toujours aux Vergers), architecturaux (le Local Environnement, bâtiment éco-construit et en béton de réemploi, FAZ architectes, voir p.16), et d’autres plus classiques, mais également très exigeants, pour répondre aux besoins d’une population en croissance (l’école des Vergers, Minergie-Eco, structure mixte béton-bois, Sylla Widmann Architectes, voir p.34). Les deux approches ne sont pas exclusives l’une de l’autre et montrent qu’on peut penser bilan carbone et progrès social, construire en béton et en liège, urbaniser des terres agricoles et les cultiver. Meyrin construit ses réponses dans le temps, avec volonté et souplesse, envie d’expérimenter et acceptation du droit à l’erreur.

De l’incantation à l’action, peut-être arriverons-nous à nous rapprocher du zéro?

Note

 

1 Le terme désigne la croissance exponentielle de l’empreinte de l’activité humaine sur la planète (en termes de population, consommation, production, déplacements, extraction, artificialisation, perte de biodiversité, etc.). Will Steffen, Wendy Broadgate, Lisa Deutsch, Owen Gaffney, Cornelia Ludwig, «The Trajectory of the Anthropocene: The Great Acceleration», The Anthropocene Review, 2015

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