Ro­tor et le pro­jet FCR­BE: fa­ci­li­ter le réem­ploi des élé­men­ts de con­struc­tion

Étendre le réemploi dans le secteur de la construction: Léa Bottani-Dechaud, intervenante dans le cadre du forum Bâtir et Planifier 2022 et collaboratrice chez Rotor, présente quelques outils à même de favoriser le réemploi de matériaux, développés dans le cadre d’un projet européen coordonné par Rotor.

Data di pubblicazione
10-10-2022

Derrière l’acronyme énigmatique FCRBE se cache un projet européen, Facilitating the Circulation of Reclaimed Building Elements in Northwestern Europe. En français: faciliter le réemploi des éléments de construction. FCRBE, c’est avant tout l’histoire d’un partenariat qui regroupe onze organisations basées en Belgique, en France, au Royaume-Uni, aux Pays-bas et au Luxembourg dont les domaines de compétences et les profils sont variés: associations et coopératives de terrain, entreprises, organisations sectorielles, universités, centres scientifiques et administrations publiques1. Bien qu’évoluant dans des contextes différents, avec des activités et des prérogatives parfois éloignées, ces organisations ont en commun d’avoir mené des initiatives visant à promouvoir le réemploi des matériaux. En 2017, elles se sont réunies avec la motivation de compiler des informations servant à favoriser le ­réemploi dans le secteur de la construction. Ce partenariat s’est donné les moyens de ses ambitions en mettant sur pied un programme et en décrochant un financement européen, accordé fin 20182. Le projet à proprement parler a débuté en 2019 avec, pour méthode de travail, la mise en commun des compétences. La phase initiale du projet a été clôturée à la fin de l’année 2021, livrant l’ensemble des résultats attendus. Arrêt sur image.

1 % vs 99 %

Au démarrage du projet, nous avons estimé que seulement 1 % des matériaux de construction étaient réemployés dans de nouveaux projets après un premier usage. Bien qu’une importante fraction des 99 % restants puissent être de bons candidats au réemploi, ces derniers finissent le plus souvent dans les filières de recyclage et d’élimination des déchets.

Ce constat demande dans un premier temps de s’attarder sur la sémantique: le réemploi et le recyclage sont deux termes distincts. Le recyclage implique une transformation lourde du matériau d’origine. Souvent énergivore, cette pratique de traitement des déchets implique une perte importante de la valeur économique, historique et culturelle du matériau d’origine. De plus, ce procédé remet rarement en question les pratiques de consommation actuelles du secteur de la construction, gourmand en matériaux neufs et en matières premières.

À l’inverse, le réemploi s’inscrit dans une logique de prévention des déchets par la prolongation de la durée de vie des biens existants. Cette démarche se traduit par une série d’actions soigneuses telles que le démantèlement précautionneux, le nettoyage, l’entreposage et la remise en œuvre. Ces étapes ont pour objectif de préserver les caractéristiques d’origine et l’histoire des matériaux3. À beaucoup d’égards, le réemploi relève donc du bon sens. Mais que seul 1 % des matériaux fasse l’objet d’une forme de réemploi en dit long sur le degré d’absurdité auquel est arrivée notre économie linéaire. Pourtant, au-delà de ce constat péremptoire, il est intéressant de tenter de comprendre les obstacles qui entravent ces pratiques et de proposer des voies de contournement. Le projet FCRBE s’est concentré sur trois de ces obstacles.

Donner de la visibilité au secteur du réemploi

Un matériau fraîchement démonté est rarement prêt à être réemployé tel quel. Il doit passer par plusieurs opérations: ôter le mortier d’un carrelage, trier un lot de briques, déclouer et sabler une lame de parquet… Aujourd’hui, ces tâches sont assurées par des professionnel·les qui exercent ce métier depuis parfois plusieurs générations. En dépit de leur diversité, ces petites, voire très petites entreprises ont en commun de gérer un stock de matériaux. A minima, elles assurent donc une fonction essentielle de liaison entre les travaux de démolition (qui libèrent des matériaux réutilisables) et ceux de construction et de rénovation (qui remettent en œuvre ces mêmes matériaux). Certaines vont plus loin en effectuant les opérations qui permettent de transformer un élément brut de démontage en élément prêt à l’usage4 et en partageant la connaissance fine des matériaux qu’elles proposent à la vente.

Ce tissu économique occupe une place centrale dans la circulation des matériaux. Il manque pourtant de visibilité dans les débats et les politiques publiques. Pour rendre compte de la richesse de ce secteur, FCRBE a permis de mettre à jour Opalis et Salvoweb, deux annuaires en ligne recensant les entreprises spécialisées dans la vente de matériaux réutilisables5. Grâce à des visites de terrain, Opalis6 recense dorénavant près de 1000 entreprises en France et au Bénélux, et Salvo a documenté en détail 500 entreprises établies au Royaume-Uni et en Irlande.

Ces visites ont aussi permis de collecter des données qui ont mené à la publication de la première étude statistique sur le secteur du réemploi en Europe du Nord-Ouest, donnant ainsi une première idée chiffrée du secteur : quantité d’emplois, taille des entreprises, chiffres d’affaires ou encore nature et quantité des matériaux stockés7.

Systématiser l’identification des réutilisables avant démolition

Si la préservation de l’existant n’est pas possible, alors un bâtiment voué à la démolition totale ou partielle peut se révéler être une source intéressante de matériaux. L’enjeu consiste donc à les identifier, à évaluer leur potentiel de réemploi (y compris, au besoin, via des tests de démontage), à quantifier et à distinguer les filières de récupération possibles (réemploi sur site, revendeurs professionnels…).

Pour systématiser ce type d’audit, FCRBE a produit un guide pratique pour la réalisation d’inventaires des matériaux réutilisables8. Ce guide a été mis à l’épreuve dans des projets en cours lors de son élaboration, qui ont fourni des retours pertinents. Les enseignements de ces opérations pilotes ont d’ailleurs été synthétisés dans un rapport mettant en lumière des points d’attention et des conseils pratiques illustrés de manière à fournir des exemples tangibles pour les chargé·es de projets9. Un exemple parmi 16 autres: le projet NEXTMED, soit la rénovation d’un complexe hospitalier du début du 20e siècle à Strasbourg, au cours duquel 51 t de carrelage en céramique et de bois de charpente ont pu être récupérées et remises en circulation via les filières professionnelles du réemploi. Derrière ces résultats, deux outils de projet ont été essentiels: l’inventaire des matériaux réutilisables et l’identification de repreneurs potentiels via l’annuaire Opalis.

Des outils pour les prescripteurs

Intégrer des matériaux de réemploi dans de nouveaux projets reste un défi, en particulier dans ceux de grande échelle et/ou soumis à la législation sur les marchés publics. Pour répondre aux nombreuses questions des acteur·ices, le projet FCRBE a conçu un guide pratique et illustré afin de les aider à atteindre des objectifs de réemploi10.

Ce guide couvre différentes thématiques allant de la façon d’exprimer un objectif de réemploi à la rédaction des cahiers des charges et des spécifications techniques, en passant par l’adaptation des documents de marché, les procédures à mettre en place pour s’assurer de la bonne mise en œuvre des matériaux de réemploi ou encore les indicateurs à prendre en compte pour réaliser un bilan des résultats. À cela s’ajoute une collection de 36 fiches matériaux11, chacune couvrant un matériau de réemploi courant. Chaque fiche reprend une description, des conseils de récupération et de réemploi, les caractéristiques connues, la disponibilité et, à titre indicatif, les prix sur le marché et le bénéfice en matière d’émission de carbone. Comme leur homologue consacré aux inventaires, ce guide et ces fiches ont également été alimentés par les résultats de 20 opérations pilotes menées sur le terrain.

Ré-inventer les pratiques

Les quelques outils mentionnés ici font partie de ce que nous avons appelé le «Reuse Toolkit». Cette collection de références et de documents d’accompagnement (entièrement gratuite et disponible en ligne) s’adresse aux maîtres d’ouvrage publics et privés, aux architectes, aux autorités publiques et, plus largement, à toutes les personnes soucieuses de préserver et de prendre soin des ressources matérielles qui nous entourent12.

Le «Reuse Toolkit» tente de faire le grand écart entre, d’un côté, l’appétit (en grande partie irréaliste et insatiable) du secteur de la construction pour des solutions toutes faites, clé-en-main et réplicables et, de l’autre, une situation dans laquelle chaque projet doit réinventer la roue et bricoler dans son coin des solutions alternatives. Nous avons fait le pari d’une voie médiane. Celle de mettre à disposition des concepteurs et conceptrices des ressources susceptibles de les outiller pour poser, projet par projet, des choix relevant du bon sens. Des choix situés et pertinents en regard d’un contexte donné. Des choix qui dessinent des alternatives à la production conventionnelle du bâti tout en s’appuyant très largement sur toutes les formes d’intelligence située qui résistent à une certaine uniformisation des pratiques.

Au-delà des outils proprement dits, c’est surtout l’adoption de cette attitude qui permettra peut-être d’inverser la tendance, de diminuer la consommation effrénée et le gaspillage de ressources, et d’augmenter – comme le projet FCRBE s’en est donné l’ambition – la quantité de matériaux effectivement réemployés.

Informations pratiques

  • L’édition 2022 du forum Bâtir et Planifier a pour thème la ville circulaire. L’événement est organisé par la section Vaud de la SIA, la FSU romande et la FSAP et se destine aux professionnel·les de l’urbanisme, de l’architecture et du paysage.
  • Librement accessible, la manifestation se déroulera le 1er novembre de 13h00 à 17h30 au Théâtre Kléber-Méleau (Renens).
  • Programme complet: vd.sia.ch/BP-2022
  • Inscription obligatoire: participer [at] vd.sia.ch

Notes

 

1 Partenaires du projet FCRBE : Bellastock, Bruxelles Environnement, Centre scientifique et technique du bâtiment, Centre scientifique et technique de la construction, Confédération de la construction, Luxembourg Institute of Science and Technology, Université de Brighton, Université de technologie de Delft, Rotor, Salvo, Ville d’Utrecht.

 

2 Le projet FCRBE a bénéficié du soutien du Fonds européen de développement régional (FEDER) via le programme INTERREG Europe du Nord-Ouest.

 

3 Van Hoof, Adeline, « Zone à déconstruire. Petit tour d’horizon du réemploi et de la déconstruction », Rotor

 

4 De Jerphanion, Camille et Van Kan, Victoria, « Mechanics of rejuvenation », IQD 56, septembre 2019

 

5 opalis.eu, salvoweb.com

 

6 Opalis n’est pas une plateforme de vente en ligne. Le site s’attache avant tout à promouvoir les savoir-faire des revendeurs, en permettant de les identifier en fonction de leur localisation, de leur offre en matériaux et de leurs services associés.

 

7 Statistical analysis of the building elements reclamation trade in the Benelux, France, the UK and Ireland, FCRBE.

 

8 Reuse Toolkit: the reclamation audit – A guide to inventory the reuse potential of construction products before demolition, FCRBE, 2022. En accès libre sur opalis.eu.

 

9 37 case studies on reclaiming and reusing building elements

 

10 FCRBE Reuse Toolkit: stratégies de prescription. Intégrer le réemploi dans des projets de grande échelle et les marchés publics, 2021

 

11 FCRBE Reuse Toolkit: collection de 36 fiches matériaux de réemploi, 2021

 

12 Walter Stahel in conversation with Ellen MacArthur, 26 June 2019. Via medium.com

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