Quand ré­no­va­tion ri­me avec spé­cu­la­tion

Éditorial de Stéphanie Sonnette du TRACÉS de juin 2022

Data di pubblicazione
10-06-2022

Récemment, j’ai rencontré un habitant du quartier bâlois du Klybeck, petit noyau résidentiel coincé au milieu des installations industrielles de Novartis et BASF, pour discuter des revendications de l’association Zukunft Klybeck, dont il est l’un des membres fondateurs. L’association a été créée en réaction au projet de reconversion du site industriel en quartier mixte porté par le Canton, Swisslife et un consortium de caisses de retraite et de banques. Elle milite pour la prise en compte de la participation informelle dans les projets urbains et vient de lancer l’initiative populaire «Bâle construit l’avenir», par laquelle elle revendique, pour toutes les zones de transformation du demi-canton de Bâle-Ville, la garantie d’une participation effective de la population, des projets climatiquement neutres et au moins 50 % de logements à but non lucratif. «À Bâle, la crise du logement sévit depuis des décennies, rappelle mon interlocuteur. Il y a très peu d’offre et peu de logements abordables. La spéculation est énorme. Les propriétaires privés rénovent seulement pour augmenter les prix. Mon propre loyer a augmenté de 60 %».

Dans l’éditorial du dernier numéro de TRACÉS, à la suite des actions remarquées de Renovate Switzerland1, nous nous demandions comment «bien» rénover, en limitant l’empreinte carbone. La question est aussi: comment le faire sans prendre les locataires à la gorge ? Si les coopératives et les fondations d’utilité publique disposent de fonds propres pour absorber ces investissements sans les répercuter sur les loyers, les propriétaires privés ne se gênent pas pour les faire payer aux locataires, qui renoncent la plupart du temps à faire valoir leurs droits (juridiquement, c’est à eux d’engager une procédure pour s’opposer à une prétention abusive du propriétaire). Une étude récente commandée par l’ASLOCA2 révèle qu’entre 2006 et 2021, les locataires ont payé près de 78 milliards en trop aux bailleurs (compagnies d’assurances, banques, sociétés de capitaux), soit en moyenne 370 francs par mois et par foyer3. Belle rente.

La rénovation énergétique ne peut pas servir d’alibi à l’augmentation abusive des loyers. D’autant que rien ne garantit aujourd’hui que ces hausses seront compensées par une baisse des charges pour les locataires: si les consommations diminuent (et ça reste encore à voir), les prix de l’énergie s’envolent… L’État a son rôle à jouer pour réguler «le plus grand marché de Suisse», protéger les locataires contre des bailleurs en position de force sur des marchés tendus et garantir leur droit de bénéficier d’un logement de qualité à un prix raisonnable. La lutte contre le réchauffement climatique ne pourra pas se faire aux dépens des locataires.

Notes

 

1 Mouvement citoyen qui demande à la Confédération de mettre en place un programme national de rénovation massive des bâtiments.  

 

2 Évolution et rendements sur le marché de la location 2006 – 2021, Markus Schärrer, Dr. Dominic Höglinger, Céline Geber, Berne, le 8 février 2022 

 

3 Ce chiffre représente la différence entre l’évolution «normale» des loyers prévue dans le droit du bail (évolution du taux hypothécaire, inflation et coûts d’entretien) et leur évolution effective selon l’indice des prix à la consommation.

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