Le fu­tur de­vrait être une que­stion de col­la­bo­ra­tion

Rencontre avec Anupama Kundoo

Data di pubblicazione
09-09-2021

Tracés: Comment la philosophie d’Auroville a-t-elle influencé votre manière de travailler ?

Anupama Kundoo: Auroville a été pensée sous l’expression «la ville dont la Terre a besoin». J’ai eu l’opportunité d’y concevoir un grand nombre d’infrastructures publiques, ce qui m’a permis de mettre en application mes recherches, au travers de projets radicaux. Goodline, un projet de cohabitation urbaine que je développe actuellement, m’a aidée à imaginer de nouveaux systèmes de mobilité: nos villes actuelles sont dotées de vieilles infrastructures, chères et non écologiques, qui nous empêchent d’aller vers un réel progrès.

Quelles sont ces infrastructures que vous critiquez?

Je parle de tous nos types d’infrastructures: la pollution des transports individuels, l’énergie utilisée pour construire de nouveaux édifices ou pour la consommation et l’exploitation de nos bâtiments, notre utilisation excessive de l’eau… Nous arrachons trop de ressources au sol et nous produisons des déchets que nous n’arrivons pas à gérer. Avant l’industrialisation, nous étions en phase avec l’environnement, car nous n’avions pas d’autre choix: nous ne pouvions pas aller pêcher et prendre tous les poissons, car alors nous n’aurions plus eu de nourriture. Mais l’industrialisation nous a aidé à mettre le thon en boîte pour les dix prochaines années: une stratégie que nous avons appliquée à tous les autres secteurs. En conséquence, nous avons créé une manière de vivre qui mène notre économie, dans laquelle nous nous développons en ruinant la planète et en creusant l’écart entre les riches et les pauvres. À Auroville, même si ces faits existent, ils sont au moins reconnus et un certain nombre de lois ont été mises en place pour aller à l’encontre de ces phénomènes – par exemple, le sol ne peut pas être possédé.

Dans votre pratique, comment vous positionnez-vous sur la question du temps: en travaillant lentement, en refusant le rythme?

Ma pratique peut sembler très lente, vue de l’extérieur – lorsque j’ai commencé, je n’ai fait, en une année, qu’une hutte et une maison. Mais j’ai développé une nouvelle manière de construire en bois ou en briques. En trente ans, il y a eu une croissance exponentielle. J’ai pu accumuler un capital, sous formes de connaissances – par exemple dans le domaine de la construction en ferrociment, ou encore en briques de terre crue, assemblées puis cuites in situ.

Et dans vos travaux, comment cette question se matérialise-t-elle?

Je travaille avec différents aspects du temps : pour Wall House, j’explore le comportement de la construction en fonction des saisons, puisque les défis que la maison doit relever en hiver diffèrent de ceux qu’elle affronte en été. C’est pourquoi je conçois l’architecture comme une peau, à la manière d’un pullover que l’on mettrait ou que l’on enlèverait en fonction des besoins des utilisateurs. Peut-on éviter de donner de l’énergie à la maison pour les conditions fixes, mais plutôt lui permettre de s’adapter aux conditions temporaires? De même, je questionne la possibilité de l’habitat d’évoluer en fonction des besoins de ses habitants: au commencement, dans la Wall House, je vivais seule, puis j’ai dû accueillir ma mère et m’occuper d’elle, ensuite j’ai eu des enfants…

Peut-on vraiment suivre le rythme imposé par la société contemporaine avec cette approche?

Prendre le temps permet parfois de faire les choses plus vite: dans le cas de mon projet modulaire en ferrociment pour le logement d’urgence pour sans-abri (Full Fill Homes), la recherche a duré quatre ans, alors que la construction n’a pris que sept jours. Pour cela, je me suis basée sur les études que Pier Luigi Nervi a conduites dans les années 1950, mais aussi sur celles que Roger Anger a menées dans les années 1970. Je n’ai pas commencé seule, j’ai tiré parti de leurs recherches et je me suis efforcée de pousser plus loin ce matériau, de manière à utiliser aussi peu de matière que possible. Si mes étudiants s’appuient sur mon travail, je ne leur intenterai pas un procès: au contraire, il est plus profitable qu’ils commencent à le faire maintenant, de sorte que, dans vingt ans, ils soient plus avancés que moi.

La pratique contemporaine est fondée en grande partie sur la compétition, qui impose un rythme rapide aux architectes.

Aujourd’hui, beaucoup d’architectes font des concours: un seul de ces projets sera construit, alors que deux cents projets magnifiques ont été conçus. Le concours permet de parvenir à l’excellence, certes, mais la collaboration est une manière plus efficace de créer de la richesse, sans gaspiller la vie de qui que ce soit. Les ressources humaines sont les seules qui sont gratuites: si j’utilise juste mon cerveau, il n’y a priori pas de pollution, pas de problème environnemental, pas de problème économique. En investissant dans les ressources humaines, je peux économiser des ressources naturelles.

 

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