«La loi sur le CO2 est une éta­pe»

La nouvelle loi sur le CO2 sera soumise au vote des Suisses le 13 juin. Pourquoi la SIA soutient-elle ce texte? Quels en sont les points essentiels? Adrian Altenburger, vice-président de la SIA et président du conseil d’experts Énergie, nous apporte son éclairage.

Data di pubblicazione
11-05-2021
Verena Felber
Rédactrice au sein de l’équipe Communication de la SIA

Pourquoi la SIA approuve-t-elle la loi sur le CO2 révisée?
Adrian Altenburger: Nous sommes convaincus que cette nouvelle loi contribuera non seulement à la décarbonisation du parc immobilier et par extension à la lutte contre le changement climatique, mais aussi à assurer un approvisionnement énergétique durable à l’échelle suisse. En effet, la SIA promeut depuis longtemps déjà une gestion intelligente de l’énergie, avec en ligne de mire l’Accord de Paris. Nous considérons la loi sur le CO2 comme une étape vers l’objectif « zéro émission nette » d’ici 2050.

Quels sont les éléments clés de cette loi?
Le bâtiment est le cheval de bataille de la SIA. Pour la première fois, des objectifs contraignants de baisse des émissions produites par le bâti existant sont énoncés, échelonnés d’ici à l’horizon 2030. Le législateur impulse ainsi des actions concrètes. Point important, la loi définit des mesures d’accompagnement, par exemple l’augmentation de la taxe sur le CO2 qui accélérera la réduction des émissions. En outre, cette loi place le secteur de la construction face à des questions fondamentales telles que : comment concilier respect des prescriptions et efficience économique ? Car il arrive encore bien trop souvent qu’une chaudière cassée soit remplacée sans réflexion préalable. Ce qui signifie que l’on passe alors à côté d’une alternative plus écologique pour les 20 prochaines années.

Vous parlez indirectement de «contrainte» — un terme que les détracteurs de la loi invoquent fréquemment…
Ce sont des arguments dogmatiques de personnes et d’institutions qui généralement n’éclairent qu’une partie de la problématique et relèvent avant tout de la défense d’intérêts particuliers. Ils exploitent la connotation négative du terme et alimentent ainsi les blocages dans l’esprit des gens, qui finissent par se braquer. À partir de là, les arguments objectifs et techniques font difficilement contre-poids.

Faut-il des prescriptions pour atteindre des objectifs concrets dans la lutte contre le changement climatique?
Pas seulement. Les rénovations durables produisent de la valeur ajoutée écologique et économique tout au long du cycle de vie d’un bâtiment — à condition que soit réalisée à temps une analyse exhaustive, ce qui est loin d’être la norme. Nous avons le privilège de pouvoir voter sur les prescriptions et textes de loi, ce qui relativise l’effet de « contrainte ». Qui plus est, la loi prévoit une baisse progressive — par paliers — des émissions de CO2, il ne s’agit donc pas à proprement parler d’une interdiction.

Pourquoi est-ce si difficile de convaincre les opposants à la loi sur le CO2 du caractère essentiel qu’elle revêt 
Le fait que les énergies fossiles mènent dans une impasse est aujourd’hui largement accepté. Mais c’est une autre paire de manches que de convaincre une entreprise prospère de réviser son modèle d’affaires et d’investir dans la formation continue de ses collaborateurs alors qu’elle n’en a pas la nécessité économique. Pourquoi changer quoi que ce soit si les chiffres sont bons ? Il est plus simple de semer le trouble dans l’esprit des gens en brandissant l’épouvantail des interdictions que de les convaincre par des arguments techniques et économiques. Cela étant, je place mes espoirs dans les plus jeunes générations, que l’urgence climatique concerne davantage encore que les gens de mon âge.

Encore faut-il qu’ils se rendent aux urnes…
La mobilisation des jeunes reste l’une de nos priorités, j’espère qu’ils sauront reconnaître l’importance de cette votation. Mais de manière générale, nous devons atteindre un fort taux de participation.

Un autre contre-argument est celui du financement des rénovations, qui pourrait excéder les moyens des propriétaires immobiliers.
La loi sur le CO2 ne rendra pas les rénovations plus onéreuses. Si ce texte est accepté le 13 juin, il ne faudra pas remplacer d’un coup toutes les chaudières fossiles! Sans compter qu’il existe des solutions dites de contracting — assimilables au leasing. Si ces formules facilitent le financement de voitures ou de télévisions, pourquoi ne pas y recourir pour des pompes à chaleur? Il serait d’autant plus dommage de s’en priver, sachant que la plupart des fournisseurs d’énergie sont tenus par l’État de proposer des tarifications avantageuses et que le Programme Bâtiments de la Confédération et des cantons offre des allègements. Cela exige toutefois de se pencher sur la question. Or, tant les propriétaires immobiliers que les professionnels accusent plusieurs trains de retard à cet égard. À l’heure actuelle, le secteur est encore trop cloisonné : les installateurs en chauffage s’occupent du chauffage, les installateurs-électriciens de l’électricité. Il manque une approche systémique globale, et pour ça, il faut que les professionnels soient correctement formés.

Les professionnels ne sont-ils pas assez qualifiés?
Il ne faut pas généraliser. Mais nous avons besoin de plus de professionnels capables d’apporter aux maîtres de l’ouvrage un conseil conceptuel global dès les premières phases du projet. Mettons qu’une chaudière, généralement surdimensionnée, doive être remplacée : il pourrait être suggéré au maître de l’ouvrage de combiner l’installation du nouveau système de chauffage à une rénovation de la fenestration, ce qui permet d’assurer le même confort thermique avec moins de puissance et des températures de chauffe plus basses — ce en conservant les mêmes radiateurs.

Quel est selon vous le risque que la loi sur le CO2 soit rejetée?
Il ne faut pas le prendre à la légère. Nous devons briser la coalition délétère entre ceux qui la rejettent en bloc, et ceux qui estiment qu’elle ne va pas assez loin.

Quelle position comprenez-vous le mieux?
Ceux qui en veulent davantage, et plus vite. Mais il vaut mieux faire un premier pas avec cette nouvelle loi que de stagner faute de consensus. Car on ne peut pas à la fois se rengorger lorsque la Suisse se place en tête des classements de l’innovation et dans le même temps, empêcher cette évolution légale. Le savoir et le progrès sont inscrits dans l’ADN du pays, nous contenter du statu quo serait contraire à son esprit pionnier. Tirer sur le frein à main relève non seulement de l’obstructionnisme, mais contrevient aussi aux valeurs qui font le succès de la Suisse.

Qu’est-ce qui changerait pour les concepteurs en cas d’adoption du projet de loi?
Il faut que le secteur de la construction reconnaisse cette loi comme une opportunité et s’assure d’être à jour au niveau technique pour répondre aux attentes des mandants. Il serait impardonnable que les propriétaires immobiliers soutiennent le projet de loi et que derrière, notre branche se révèle incapable de l’appliquer. La seule chose qui serait pire, c’est que la loi soit rejetée le 13 juin. Pourquoi attendre, alors que nous savons tous pertinemment que la question climatique ne pourra être repoussée indéfiniment ?

Dans son nouveau document de position «Protection du climat, adaptation climatique et énergie», la SIA reconnaît la nécessité de limiter le réchauffement global à 1,5 degré Celsius. Les mesures de la loi sur le CO2 peuvent-elles y suffire?
Ce sont des leviers qui pourront contribuer à diviser par deux les émissions de CO2 d’ici 2030. Cette loi seule ne pourra pas régler le problème global, mais faire fonction d’exemple, pour d’autres pays également. Si nous parvenons à atteindre cet objectif jusqu’en 2030, nous aurons posé un jalon important et préparé le terrain pour les prochaines étapes.

 

Tables rondes en ligne

 

La SIA organise deux tables rondes en ligne consacrées à la loi sur le CO2 le mardi 18 mai 2021: en français de 12h15 à 13h15 et en allemand de 16h à 17h. Des partisans et des détracteurs de la loi débattront de ce que signifie la lutte contre le changement climatique pour nos vies quotidiennes, nos logements et nos villes. La participation est gratuite.

Pour en savoir plus: https://www.sia.ch/fr/services/sia-inform/detail/event/7088/nc/1/.

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