Ar­chi­ves du bâ­ti - en­tre­tien #5: Cen­tre Ca­na­dien d’Ar­chi­tec­tu­re à Mon­tréal

Réunis pour la première fois pour répondre collectivement à un entretien, quatre des directeurs associés du Centre Canadien d’Architecture (CCA) à Montréal, témoignent de leurs expériences pour faire face aux défis dans la promotion de la culture du bâti contemporaine.

Data di pubblicazione
03-12-2020
Albert Ferré
directeur associé des publications du CCA depuis 2012
Rafico Ruiz
directeur associé au département Recherche du CAA depuis 2019

espazium.ch: le CCA possède près de deux cents archives d’architectes reconnus. Quels sont vos critères d’acquisition de nouveaux fonds et comment ont-ils évolué au fil du temps?

Martien de Vletter : La collection du CCA est un outil pour explorer et développer des idées sur et au sein de l’architecture. Ces idées encouragent le débat contemporain et éclairent souvent le processus de l’architecture, qui est le domaine spécifique à partir duquel nous abordons le monde. Notre critère principal d’acquisition est celui de la pertinence pour les recherches actuelles et futures, par nous et par d’autres, même si, bien sûr, nous ne sommes pas toujours en mesure de comprendre immédiatement la pertinence et le potentiel d’un fonds ou d’une archive. Nous devons constamment revoir et recadrer notre manière de penser. Mais de manière générale, nous pensons que notre mission est de réunir des sujets et des figures qui ont eu une influence mondiale sur l’architecture au cours de l’histoire.   

Souvent, les grandes idées sur l’architecture et la ville sont contenues et se retrouvent dans des archives liées à une pratique ou un individu en particulier. C’est la raison pour laquelle le CCA s’intéresse aux archives, et cela depuis sa création. Ces fonds contiennent également les travaux de toute une carrière, dans le temps et à travers de nombreux projets. Nous sommes constamment à la recherche d’opportunités pour appréhender et interpréter la collection, que ce soit de manière thématique ou transversale.  

Nous avons développé une stratégie d’acquisition par niveaux ; dans certains cas, nous nous demandons expressément à des architectes de nous faire don de tous les documents qui ont été produits autour d’un projet (comme pour l’initiative Archéologie du numérique) ; dans d’autres cas, nous nous intéressons à l’ensemble de l’archive d’un individu ou d’une structure (comme pour Álvaro Siza, et plus récemment pour Bernard Tschumi).

Au cours de ses vingt premières années d’existence, le CCA a constitué un fonds autour du modernisme d’après-guerre, notamment avec des collections importantes de dessins de Le Corbusier, Mies van der Rohe, et d’autres. Les archives d’Aldo Rossi, de John Hejduk, de Peter Eisenman, de Cedric Price et de James Stirling ont rejoint la collection vers 2000, inaugurant une nouvelle série de réflexions sur le modernisme et ses répercussions. Ces dernières années, le CCA a étendu cette stratégie aux archives d’historiens tels que Kenneth Frampton, Tony Vidler et Jean-Louis Cohen. Le fait qu’un même lieu abrite des travaux d’architectes et des travaux d’historiens de l’architecture nous permet, en multipliant les angles d’approche, d’étudier les sujets sur lesquels nous travaillons de manière plus transversale.

Lorsqu’il m’a fallu décider à qui confier des archives couvrant près de quarante ans de réflexion et de pratique architecturales, mon choix s’est porté vers le CCA, d’abord pour la richesse de sa collection, qui permet de faire « dialoguer » entre eux des architectes comme Eisenman, Rossi, Hejduk, Price et Siza, entre autres, et ensuite pour les normes de conservation et les ressources hors pair de cette institution. Je suis particulièrement heureux que les archives les plus complètes sur le parc de la Villette – qui en retracent toute l’histoire, du concours à la construction, en passant par la conception et l’administration – se trouvent désormais au CCA, dans un contexte francophone où les chercheurs pourront pleinement accéder et étudier ces documents historiques. – Bernard Tschumi

Je suis heureux que mes archives se trouvent au CCA, non seulement parce qu’elles y seront en sûreté, mais surtout parce que les chercheurs pourront y accéder et les consulter en ligne, creuser encore plus loin certaines de mes recherches et contredire les analyses existantes.  – Jean-Louis Cohen

La série d’expositions «Manifeste» a été pour nous une occasion supplémentaire de réunir les archives de projets traitant d’aspects spécifiques et ciblés sur des débats contemporains qui nous intéressent : par exemple, les projets de Greg Lynn et Michael Maltzan sur notre manière d’imaginer le cosmos ; les projets de Bijoy Jain et Umberto Riva sur l’habitat domestique et les modes de production architecturale ; et des projets d’OFFICE Kersten Geers David van Severen et Go Hasegawa qui proposent une vision originale du rôle de l’histoire de l’architecture dans la pratique contemporaine.  

Nous nous sommes également engagés à créer des espaces et des ressources pour les voix non blanches et non occidentales qui, dans notre domaine, ont longtemps été sous-représentées ou écartées. Ces dix dernières années, nous avons ajouté à notre collection les archives d’Aditya Prakash et la pratique menée par Amancio Williams, ainsi que des dossiers sur des projets de Shoei Yoh. Dans les années à venir, nous comptons renforcer cette politique d’acquisition. Une bonne part de notre travail au CCA est de tenter de déconstruire des choses perçues comme évidentes ou normales dans notre monde ; par ailleurs, la nature même de notre collection repose sur un ensemble de présupposés qu’il nous paraît important de remettre en question.

De nombreux architectes internationaux vous ont cédé leurs fonds (A.Siza, A.Rossi, C.Price, K.Frampton, J.Hejduk, Ábalos&Herreros, P.Jeanneret, P.Eisenman…). Pour quelle raison le CCA s’est-il converti en l’une des institutions les plus importantes au monde en termes de collection d’architecture?

Martien de Vletter : La mission ou l’objectif du CCA n’a jamais été de devenir l’institution avec la plus importante collection d’architecture – nous cherchons plutôt la pertinence, ou à contribuer à un débat pertinent. La question n’est pas de posséder, mais de savoir ce qu’on fait avec ce qu’on a. C’est ce qui motive notre réflexion à chaque fois que nous ajoutons quelque chose à la collection. Nous voulons que notre collection – les fonds, mais aussi les photographies, les documents imprimés et les dessins, ainsi que les fonds de bibliothèque – soit accessible aux chercheurs, et qu’elle serve aussi de support pour nos propres programmes.

Récemment, nous avons par exemple lancé un programme de résidences intitulé Chercher et raconter, pour lequel on invite un chercheur à développer un propos à partir d’une idée inspirée d’un fonds d’archives spécifique ; il travaille avec nos archivistes pour sélectionner des documents qui étaieront son propos, puis il partage ses résultats dans un article ou une vidéo. Ensuite, nous numérisons le matériel sélectionné, afin de le rendre accessible pour de nouvelles recherches. Là encore, il ne s’agit pas d’avoir le plus de dessins accessibles en ligne – nous cherchons plutôt des moyens de recontextualiser et de questionner les matériaux. Dans ce cas, la numérisation est moins une simple opération technique qu’un outil pour mener ces idées à bien. À ce jour, la série a fait participer Michael Meredith sur le fonds John Hejduk, Peter Testa sur le fonds Álvaro Siza, Inderbir Riar sur le fonds Van Ginkel Associates, Kim Förster sur le fonds Institute for Architecture and Urban Studies, Albert Ferré sur le fonds Foreign Office Architects, Kurt Forster sur le fonds Aldo Rossi, Yu Momoeda sur le fonds Shoei Yoh, et Sangeeta Bagga sur le fonds Pierre Jeanneret. Nous poursuivrons la série avec Shirley Blumberg sur le fonds John C. Parkin, Eva Pratt sur le fonds Umberto Riva, et Michelle Provoost sur le fonds Aditya Prakash.

Nous considérons également que nos productions, nos événements et nos publications font partie intégrante de notre collection. Un autre exemple récent porte sur les archives du cabinet dirigé par l’architecte argentin Amancio Williams, qui ont rejoint la collection du CCA cette année. En mars, nous avons organisé un événement à Buenos Aires, « Querido Amancio », au cours duquel des amis, des collègues, des étudiants et d’autres personnes ont donné une lecture publique de lettres adressées à Williams sur l’importance de ses travaux. Ces types de conversations et d’activités autour de notre collection, qui peuvent très bien commencer par des expositions et des programmes publics, enrichissent la collection et suscitent des réflexions sur ce qu’elle contient.  

Dans cette optique, nous souhaitons explorer les questions et les demandes soulevées par la communauté architecturale en rapport avec de nouvelles perspectives et interprétations historiques – l’analyse de la réalité historique permet de reconnaître par exemple le rôle des couples, des partenaires et des collaborateurs. On se pose par exemple la question de savoir si le fonds Amancio Williams devrait ou non inclure le nom de sa compagne Delfina. Nous sommes impatients de poursuivre ce type de réflexion, qui permet d’éviter que les archives ne deviennent statiques.

Le CCA était à l’origine un centre d’archivage qui s’est progressivement transformé en musée et centre de recherche sur l’architecture. Comment et pour quelle raison cette transformation a-t-elle eu lieu?

Rafico Ruiz : Le CCA n’a jamais eu pour unique mission l’archivage et la conservation. Dès sa création en 1979, il a été conçu comme une nouvelle forme d’institution culturelle constituée de tout un ensemble d’éléments – la recherche, les expositions, les publications et l’acquisition de fonds pertinents d’archives – qui pouvaient tous se renforcer mutuellement. C’était, et cela reste, une manière dynamique et excitante de travailler, où tout ce qu’on fait se transforme en «recherche» de nature à susciter des questions et à être partagée avec un large public.

Dès ses débuts, le CCA a donc été spécifiquement conçu comme un « centre », un lieu de rassemblement à partir duquel on observe et on évalue l’architecture comme une pratique sociale. Notre bâtiment, conçu par Peter Rose en collaboration avec Phyllis Lambert, a été inauguré en 1989, et s’est peu à peu adapté à la définition élargie d’un centre d’architecture. Notre Programme de bourses de recherche CCA a débuté en 1997 et a évolué au fil des décennies. Nous avons travaillé à élargir la portée et les formats de ces programmes de recherche, qui vont d’une étude historique traditionnelle sur les premières formes d’architecture baroque à la définition de projets collaboratifs sur des histoires de l’architecture dirigées par des Africains, en phase avec le programme général du CCA. L’un des principes fondamentaux du CCA est d’aborder la recherche dans son sens le plus large, comme quelque chose d’ouvert et de non restrictif. Elle engage des universitaires, des architectes, des urbanistes, des artistes, des décideurs politiques et d’autres personnes qui vont considérer et débattre de l’architecture comme une question d’intérêt public.

Quel est le rôle ou l’influence des archives d’architecture dans la culture du bâti contemporaine?

Francesco Garutti : Les discussions sur le rôle des archives sont au cœur des débats institutionnels – et, évidemment, des pratiques artistiques contemporaines – depuis au moins une dizaine d’années. Le problème est de savoir comment les utiliser et les activer, comment en faire un instrument pour interpréter le présent, et un outil pour les praticiens aujourd’hui. En 2003, sous la direction de Mirko Zardini, le CCA a lancé un format de recherche et d’exposition intitulé « Sortis du cadre ». Cette série d’expositions, recalibrée par Giovanna Borasi en 2015, est un format spécifiquement conçu pour interroger la définition même d’archive, ainsi que pour donner forme à des relations nouvelles et dynamiques entre les archives du CCA et la diversité de nos publics. Les commissaires en résidence explorent la collection avec nous pour en faire une exposition qui découle de leurs points de vue. Les commissaires avec qui nous travaillons ne sont pas uniquement des chercheurs et des universitaires au sens traditionnel du terme ; l’idée est aussi d’inclure le point de vue d’architectes et d’autres praticiens, afin de faire émerger de nouvelles interprétations et résonances.

Cette année, nous avons exploré des éléments apparemment secondaires de la collection Gordon Matta-Clark au CCA avec Yann Chateigné, Hila Peleg et Kitty Scott. Nous avons invité ces trois commissaires à explorer et à révéler des systèmes de référence cachés et moins évidents, afin d’élargir la portée du champ d’études sur Matta-Clark et d’approfondir la signification et l’héritage de son œuvre. D’une certaine manière, cette récente édition de « Sortis du cadre » est emblématique de l’approche que le CCA veut promouvoir : replacer les archives dans un contexte plus large, multiplier les interprétations afin que l’histoire devienne un agent actif du présent.  

Outre « Sortis du cadre », nos projets d’exposition sont souvent l’occasion de passer commande de nouvelles œuvres – des films, des photos, et même des dessins –, qui est une façon de dynamiser un matériau déjà existant dans notre collection, en le replaçant dans un dialogue orienté vers le présent et l’avenir.

Vous êtes une institution de référence dans le domaine de la culture numérique, notamment grâce à des programmes de recherche tels que « l’archéologie du numérique ». Quelles sont les opportunités et les limites de la numérisation dans l’archivage d’architecture?

Albert Ferré : Pour une institution qui conçoit sa collection comme une ressource pour la production de nouveaux savoirs, l’impact des technologies et de la culture numériques est multiple : elles affectent les processus de conception étudiés et collectés, la nature de ce qui constitue une archive, les flux de diffusion des contenus et l’engagement des publics. « Archéologie du numérique » sert de cadre expérimental à ces questions. Vers 1990, nous avons identifié vingt-cinq projets qui intégraient les outils numériques de manière innovante et stimulante ; nous les avons étudiés, collectés, exposés et publiés. Il en a entre autre résulté une série de petites publications numériques qui mettent en évidence l’originalité des matériaux numériques utilisés tout en explorant le potentiel de la technologie epub.

 Cette expérience a non seulement étoffé notre programme de publication numérique – nous collaborons aujourd’hui avec le Graduate School of Design de Harvard sur une nouvelle série de publications électroniques –, mais elle nous a aussi permis de mieux comprendre comment améliorer l’accès et l’exploitation numérique du contenu que nous produisons. Notre site internet, qui permet d’accéder au CCA en dehors de Montréal, a évolué ; de simple outil de communication, il est devenu une véritable plateforme éditoriale et de recherche qui met l’accent sur la présentation des idées produites au CCA, décrit le contenu de notre collection et donne un compte rendu de toutes nos activités comme un corpus disponible pour la recherche. Concernant plus spécifiquement la collection, et en considérant que sa valeur repose sur la capacité à la contextualiser et à établir de nouveaux liens, nous créons constamment des projets qui alimentent notre programme de numérisation à travers des points de vue singuliers sur une sélection d’objets – comme « Dire et raconter », décrit plus haut – afin que le matériel de première main (les objets numérisés) et les interprétations ou idées qu’il a suscité puissent être partagés en ligne.

Comment l’ère numérique est-elle en train de changer la recherche architecturale et sa diffusion culturelle? 

Rafico Ruiz : Il s’agit peut-être moins d’une question de changement que de savoir quels types de relations se nouent entre ces technologies numériques émergentes et le rôle social de l’architecture. Des institutions culturelles comme le CCA ont précisément pour mission de servir de médiateur dans ces relations. Notre rôle est de documenter la culture numérique architecturale contemporaine, et d’y participer activement, mais aussi d’envisager son avenir et la mettre à disposition pour aborder des questions urgentes, comme les conditions urbaines postcoloniales, la précarité sociale et d’autres enjeux qui déterminent nos axes de recherche.  

Le CCA incarne bien la réalité physique qui est propre à la recherche architecturale – à savoir les rames et les rames de documents papier que des chercheurs viennent prendre le temps de consulter et d’étudier à Montéral. C’est l’un des axes essentiels de notre programme de résidence de recherche doctorale – offrir aux doctorants du monde entier un forum qui leur permette de poursuivre leurs recherches en archives, dans un cadre qui n’ignore pas les absences que créent les archives. Et pourtant, surtout depuis les années 1980, l’importance croissante des technologies numériques dans la production architecturale a aussi accentué la dépendance de la recherche architecturale aux bits et aux octets. Aujourd’hui, les chercheurs qui travaillent sur notre collection peuvent – et doivent – parcourir des fichiers CAD, par exemple de 1996, et faire réellement l’expérience de ces documents numériques de manière à comprendre à quoi ressemblait la couleur 8 bits et ce qu’elle permet de voir (ou non). Le CCA a contribué à l’élaboration d’une vision rétrospective du numérique en architecture, notamment, comme l’a mentionné Albert, avec Archéologie du numérique.  

L’ère numérique est bel et bien une « ère », ouverte et en perpétuelle évolution, qui demande à être étudiée et révisée. Cet aspect prospectif est un élément important de notre stratégie de recherche au CCA : comment interroger notre avenir architectural commun ? Nous le faisons notamment grâce à notre Programme de recherche multidisciplinaire, financé par The Andrew W. Mellon Foundation, qui nous permet de traiter de questions architecturales et urbaines cruciales au carrefour de plusieurs disciplines. Nous avons récemment lancé un appel à candidatures pour notre cinquième projet de recherche multidisciplinaire Mellon-CCA, Le numérique aujourd’hui : architecture et intersectionnalité. Ce projet, qui débutera officiellement au début de l’année 2021, réunira un groupe de huit chercheurs qui, ensemble, réfléchiront à la manière dont la conception numérique recoupe les relations concomitantes entre race, genre, classe sociale, aptitude et sexualité. L’objectif est de réunir une équipe multidisciplinaire de chercheurs, de conservateurs, de praticiens et de spécialistes en technologie pour débattre de l’interconnexion entre production architecturale numérique et formation de l’identité sociale. Il s’agit à la fois de l’avenir de l’ère numérique, mais aussi de son passé. Le changement numérique est selon nous un phénomène qui émane de la circularité de l’histoire, mais qui se trouve également dans un continuum avec notre présent commun.

Le CCA est bien plus que ses archives. Quelle(s) est/sont la/les mission/s ou vision/s du CCA aujourd’hui?

Albert Ferré : De toute évidence, notre travail est renforcé par notre collection, mais la question est de savoir en quoi consiste ce travail. De ce point de vue, notre position n’est pas très différente de celle des chercheurs que nous accueillons, dont l’objectif est d’exploiter la collection pour étayer un argument spécifique. Comme l’a expliqué Giovanna dans son entretien, notre mission est d’interroger le monde qui nous entoure – et la façon dont nous nous y rattachons – du point de vue de l’architecture, qui n’est pas seulement de la construction mais aussi une manière de voir le monde.  

Par cette pratique de questionnement, notre objectif est de remettre en cause les présupposés sur lesquels repose la société occidentale contemporaine en considérant et en valorisant d’autres manières de faire, d’autres perspectives. La recherche, la collecte d’archives, les expositions et l’édition sont les moyens dont nous disposons pour développer et articuler ces positions ; en les rendant publiques, notre souhait est également d’encourager des discussions pertinentes sur des sujets qui nous semblent urgents aujourd’hui. En ce sens, la recherche, la collecte de documents, le commissariat d’exposition et l’édition sont des activités interconnectées qui sont, pour nous, impossibles à distinguer. Ce décloisonnement des pratiques muséales traditionnelles nous permet de mobiliser l’ensemble de l’institution autour des sujets ou des questions sur lesquelles nous travaillons. Et nous engageons des collaborateurs clés qui partagent des idées et des perspectives précieuses, non seulement sur le contenu de nos recherches, mais aussi pour recadrer nos propres approches et nous indiquer d’autres pistes.

Pour quand un «CCA c/o» en Suisse?

Francesco Garutti : Le programme CCA c/o a été conçu pour étendre nos explorations de la situation présente à plusieurs endroits du monde, en examinant des grands sujets de notre société contemporaine à partir de points de vue différents. L’intégration de nouveaux thèmes dans notre programme est une façon de nous transformer en travaillant avec les autres. Notre programme c/o Tokyo lancé en 2018 a donné lieu, parmi de nombreux autres projets, à une série de films reflétant une nouvelle approche des architectes envers le monde rural, tandis qu’à Buenos Aires, l’idée de crise imprègne de nombreux thèmes et projets que nous développons actuellement avec notre commissaire Martin Huberman. Il pourrait être intéressant de se pencher sur les grands sujets à explorer en Suisse pour en faire une sorte de manifeste de notre présent.

Le CCA entretient une relation étroite avec la Suisse grâce à certains projets, dont par exemple l’exposition qui se tient actuellement chez nous, Les choses qui nous entourent : 51N4E et Rural Urban Framework. Afin d’explorer la pratique architecturale en tant qu’écologie élargie, nous étudions entre autres un projet très important, dirigé par Freek Persyn, Design in Dialogue Lab à l’ETH Zürich. Il s’agit d’une étude de cas extrêmement pertinente sur la nécessité, non seulement de réfléchir à la manière de faire de l’architecture, mais aussi de repenser et de refonder le rôle de l’architecte.   

Nous sommes également très heureux d’entretenir des liens avec la Suisse par le biais de nos chercheurs et collaborateurs, ainsi que grâce à plusieurs graphistes avec lesquels nous avons travaillé. Deux de nos récentes publications figurent dans la sélection du concours des plus beaux livres suisses : Le Musée ne suffit pas, conçu par Jonathan Hares, qui est une réflexion sur le rôle des institutions culturelles contemporaines, et Nos jours heureux : Architecture et bien-être à l’ère du capitalisme émotionnel, conçu par Laurenz Brunner et Geoff Hann, qui est une analyse critique de la façon dont douze années de capitalisme émotionnel ont affecté notre façon d’imaginer et de concevoir l’environnement bâti, depuis le krach financier de 2008 à aujourd’hui – alors qu’une nouvelle crise sans précédent est probablement en train de bouleverser notre présent.

À propos de :

 

Martien de Vletter (Directrice associée de la collection depuis 2012) supervise la collection du CCA. Elle est responsable des acquisitions, des donations, des prêts, ainsi que de la conservation et de l’accès à la collection. Avant de rejoindre le CCA, elle était conservatrice en chef de l’Institut d’architecture des Pays-Bas (aujourd’hui le Het Nieuwe Instituut) et éditrice chez Sun Architecture. Elle a récemment publié plusieurs articles sur la conservation des collections numériques. 

 

Albert Ferré (Directeur associé des publications depuis 2012) supervise le programme des publications imprimées et numériques du CCA, ainsi que sa plateforme éditoriale en ligne. Architecte de formation, il était auparavant directeur éditorial d’Actar (Barcelone / New York) et directeur de la bibliothèque du Fonds Prince Claus (Amsterdam).

 

Francesco Garutti (Conservateur au département d’architecture contemporaine depuis 2017) supervise le département Expositions et Programmes publics du CCA. Animant des projets de recherche interdisciplinaire au carrefour de l’art et de l’architecture, il a récemment été commissaire de plusieurs projets au CCA tels que Les choses qui nous entourent : 51N4E et Rural Urban Framework (2020) et Nos jours heureux : Architecture et bien-être à l’ère du capitalisme émotionnel (2019). Il a également dirigé la série d’expositions « Sortis du cadre » sur le fonds Gordon Matta-Clark (2019-2020).

 

Rafico Ruiz (Directeur associé au département Recherche depuis 2019) supervise le département recherche du CCA, dont le programme de recherche multidisciplinaire Mellon-CCA, le Programme de bourses de recherche, le Programme pour les doctorants et le Programme pour les étudiants de master. Titulaire d’un doctorat en histoire, théorie de l’architecture et communication de l’université McGill, il a publié plusieurs ouvrages sur le colonialisme de peuplement, les infrastructures et l’architecture des régions circumpolaires.  

 

Dossier: «Archives du bâti»

 

 

Du rôle des ar­chives et de leur ab­sence - Éditorial de Yony Santos & Cedric van der Poel, novembre 2020

 

Anglais / Français