Un point rouge sur le i

À Winterthour, l’ancien périmètre Sulzer est le lieu d’une transformation douce engageant le redéveloppement ponctuel ou la simple réparation de bâtiments industriels. Baubüro «in situ» vient ainsi de surélever la halle 118 avec des éléments de seconde main.

Date de publication
19-06-2021

Comme sur nombre de chantiers à travers le pays, on a assemblé, vissé et bâti – mais au lieu de générer le volume habituel de déchets, une seule benne a suffi. À la ­lisière ouest du périmètre Sulzer à Winterthour, les artisans ont pris le contrepied du tout jetable: au cours des derniers mois, ils ont converti une ancienne halle industrielle en tour d’ateliers avec un minimum de matériaux et d’éléments neufs. Le ­nouveau faîte coiffant un édifice en maçonnerie plus que centenaire réunit des éléments déjà employés auparavant dans divers contextes. Détail saillant de la surélévation, la ­façade rouge est un symbole du réemploi: ­ces tôles ondulées en alu constituaient ­au­paravant l’enveloppe d’une imprimerie d’Oberwinterthour.

Utilisation de ce qui est disponible

Propriétaire de l’ouvrage, la fondation Abendrot a commandité cette expérience circulaire. La surélévation de trois étages devant prioritairement intégrer des éléments existants, il revenait au Baubüro «in situ» à Bale de suppléer à l’offre usuelle du marché en matière de bâti, d’enveloppe et d’équipements. Les architectes ont trouvé leur bonheur là où le vieux doit faire place à du neuf. Les projets de démolition ont été scrutés à la recherche d’éléments fonctionnels : non seulement la façade, mais encore des piliers, des parois, des escaliers et quelques équipements et installations techniques ont ainsi été soustraits aux démolisseurs. Selon Marc Angst, coresponsable du projet, beaucoup de pièces réemployables ont été trouvées dans les environs.

Des fenêtres récupérées sur place faisaient déjà partie du paysage urbain local, tandis que les radiateurs et les parquets massifs de la surélévation viennent d’une coopérative d’habitation voisine. Et vu que le remplacement a le vent en poupe à Zurich Ouest, on a aussi obtenu à brève ­distance d’autres fenêtres en parfait état, des plaques de marbre, ainsi que l’escalier extérieur. Une seconde vie a également commencé à Winterthour pour une installation photovoltaïque et une toiture en bac acier, cette dernière devenant coffrage perdu pour les planchers en béton recyclé.

L’ossature de la surélévation vient d’un dépôt de marchandises bâlois et les parois séparant les ateliers étaient à l’origine des éléments de scène et de pavillons mobiles. De même, plutôt que de partir au recyclage, des chemins de câbles, un tableau électrique et l’appareil de ventilation sont réutilisés tels quels.

Mines d’or pour chasseurs d’éléments

Dans la construction, le principe du ré­emploi s’avère manifestement plus simple que prévu. D’après Angst, l’offre d’éléments de construction parfaitement fonctionnels est vaste. Les sièges de banques ou d’instituts financiers en particulier représentent selon lui des mines d’or de matériaux de haute valeur qui, lorsqu’ils sont aisément démontables, constituent une riche offre de seconde main. La recherche de tels éléments est une nouveauté, mais pour Angst, si la chasse démarre assez tôt, on trouve presque toujours ce qu’on veut. Par rapport au volume global, la halle 118 est ainsi ­pour plus de moitié faite de matériaux réemployés.

Cela étant, le repérage d’éléments engendre un surcoût (cf. interview de Dario Vittani, Baubüro in situ, chasseur de pièces). Et l’étude de projet doit ménager des blancs pour permettre l’emploi d’éventuelles trouvailles de hasard. L’inverse arrive aussi, comme l’explique le codirecteur de projet Angst : la reprise d’un ascenseur en parfait état de marche s’est heurtée à l’absence de volonté des responsables. Cela englobe aussi les questions de garantie qui ont empêché le réemploi.

Quant aux ajouts, ils obéissent autant que possible au principe de circularité : faites de balles de paille issues de céréales conventionnelles, les façades thermiques des étages supérieurs sont crépies à l’intérieur de terre tirée d’une excavation voisine. Pour les éléments en dur, tels que pieux forés, fondations et planchers, on a privilégié du béton recyclé disponible dans le commerce.

Doigté constructif indispensable

Pour le réemploi, l'atout des pièces re­cyclées et des matériaux de seconde main ­serait d'être entièrement conformes aux standards et normes de construction. Leur réutilisation implique toutefois de vérifier et de documenter soi-même les exigences de qualité, de sécurité, de performance statique ou énergétique, comme le souligne Marc Angst. Mais les échecs, notamment pour la protection incendie, ont été peu nombreux: aux endroits visibles, on a ainsi opté pour du béton coulé sur place afin de laisser à nu des porteurs acier réemployés. Pour satisfaire aux strictes exigences d’isolation, il a fallu un certain doigté : des fenêtres peu isolantes ont été réunies dans un système de cadres double couche qui réduit suffisamment les pertes de chaleur.

Vous pouvez en savoir plus sur l'économie circulaire dans notre e-dossier.

Une opération d’architecture circulaire diffère aussi d’un processus de projet habituel dans le déroulement des études. Vu que la géométrie des éléments récupérés n’est guère prévisible, l’offre disponible impacte davantage la conception que pour un objet conventionnel, comme l’explique Angst. La surélévation est ainsi rythmée par différents formats de fenêtres et la hauteur des étages supérieurs a été dictée par l’escalier externe à disposition. De même, la façade emblématique montre comment nécessité fait loi : les différents profils des tôles ondulées ont motivé la recomposition en écailles de l’enveloppe extérieure. L’assemblage d’éléments de seconde main exige dans tous les cas une attention accrue : il faut d’emblée prévoir des tolérances plus importantes et, comme pour la rénovation de bâtiments anciens, parfois improviser lors de l’exécution.

Au niveau de l’expression architecturale et de la mise en œuvre, peu semble avoir été laissé au hasard. De l’extérieur, l’élégance de la surélévation métallique rouge évoque un point sur le i de la vénérable silhouette industrielle, tandis qu’à l’intérieur, l’ossature visible, les équipements sur crépi et les fenêtres disparates confèrent aux ateliers leur aspect brut.

Energie grise presque réduite à zéro

La surélévation offre-t-elle un gain écologique? Et quelle est l’économie de ressources par rapport à un bâti neuf classique? Avec le département d’architecture de la HES zurichoise en sciences appliquées, le bureau d’études a fait le bilan CO2 de son œuvre. Par rapport à du neuf écologiquement conçu, les résultats indiquent une faible trace carbone : grâce au réemploi massif, les rejets de gaz à effet de serre diminuent fortement et battent même de 45 % les valeurs cibles fixées par les barèmes SIA. La consommation d’énergie restante est due aux matériaux neufs non substituables et à la logistique du réemploi, qui inclut le démontage, le transport, l’entreposage et la préparation, ainsi que la remise en œuvre.

La règle maîtresse veut que plus la séparation d’éléments de construction est aisée, plus l’économie circulaire est opérante. Celle-ci se poursuit d’ailleurs dans la tour rouge des ateliers, dont les composantes particulières sont vissées et assemblées de telle manière que la plupart seraient disponibles pour un nouveau réemploi.

Participants au projet

 

Maître d’ouvrage: Stiftung Abendrot, Bâle

 

Architecture et technologie: Baubüro in situ, Zurich

 

Conception statique: Oberli Ingenieurbüro, Winterthour

 

Conception bois / façade: Josef Kolb, Winterthour

 

Physique du bâtiment: 3D Bauphysik Huth, Glashütten

 

 

Facts & Figures

 

Volume bâtiment (SIA 416): 5809 m3

 

Surface de plancher (SIA 416): 1534 m2

 

Standard énergétique: SIA 2040

 

Coûts: CHF 4.9 Mio travaux de base

Commandés par l'Office fédéral de l'environnement, les numéros spéciaux suivants sur l'économie circulaire ont été publiés par Espazium - Les éditions pour la culture du bâti :

 

No. 1/2021 «Architecture circulaire : Bâtiments, concepts et stratégies d’avenir»

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