Touche pas à mon ISOS!

Éditorial TRACÉS 07/2025

À Zurich, l'ISOS fait l'objet d'attaques récurrentes, qui vont aujourd'hui jusqu'à remettre en question son existence au niveau fédéral. L'accusation selon laquelle l'inventaire fédéral nuirait à la production de logement sert de prétexte. Mais l'argument ne tient pas la route. Comme le montre la récente étude publiée par l'OFL, Zurich est la championne de l'éviction. La politique de démolitions-reconstructions (Ersatzneubau) ne crée pas suffisamment de logement, voilà pourquoi la population s'appuie sur l'ISOS pour s'opposer aux projets. Au lieu de perdre de l'énergie à se battre contre l'ISOS, il vaut mieux le comprendre et amadouer cet instrument exceptionnel, comme à Genève où il fait partie intégrante de la planification, depuis des décennies. 

Date de publication
10-07-2025

L’ISOS1 ne plaît pas à tout le monde. C’est normal, l’inventaire fédéral empêche les investisseurs de construire n’importe comment, n’importe où. Entamé il y a cinquante ans, le patient travail d’inventaire n’atteint Zurich qu’en 2016. Depuis lors, cette relation naissante provoque incompréhensions et recours. Alors un narratif s’insinue peu à peu dans la presse: «la pénurie de logement, c’est la faute à l’ISOS!». Le 19 juin dernier, le Conseil des États a adopté une motion qui aurait pour conséquence le démantèlement pur et simple de cet instrument, dont les principes sont pourtant inscrits dans la Constitution (Art. 78).

Certes, l’ISOS est instrumentalisé, surtout depuis que les juristes ont compris qu’ils pouvaient activer son application directe quand un projet touche à une tâche fédérale (notamment quand des eaux souterraines sont impactées). Dans de tels cas, une commission fédérale indépendante doit donner un préavis (et non une décision, contrairement à ce qu’on peut lire ici et là). Celui-ci sert de base dans la pesée des intérêts: impact sur le site vs densité.

Jugé trop strict dans son application, l’ISOS fait actuellement l’objet d’une évolution concertée: l’Office fédéral de la culture a organisé entre janvier et juin des tables rondes avec une trentaine de parties prenantes (dont la SIA, la SSE, les milieux de l’immobilier, la défense des propriétaires, des locataires, etc.). L’attaque du parlementaire survient en pleine discussion. Avec en toile de fond la même rengaine dans la presse: «l’ISOS est responsable de la pénurie de logement!»

Mais voilà, les Zurichois, en matière de pénurie de logement, sont les mauvais élèves du pays. On y pratique encore la tabula rasa et les reconstructions ne compensent pas assez les logements détruits. On crée surtout des appartements plus chers, ce qui a pour effet de chasser les habitants hors du centre2. Voilà pourquoi les populations, excédées, font opposition. En réalité, Zurich n’a pas pris soin d’intégrer les prérogatives de l’ISOS dans sa planification et s’en mord les doigts aujourd’hui. Il serait inadmissible de priver ainsi l'ensemble du pays d'un instrument précieux (et jalousé dans toute l'Europe) et qui fait ses preuves ailleurs.

Ce n’est pas l’ISOS qu’il faut supprimer, ce sont les mauvais projets aux mauvais endroits. Ses défauts, sur le point d’être corrigés, servent de prétexte pour démolir un instrument précieux et utile à l’ensemble du pays. «Ce n’est vraiment pas le moment de s’attaquer à l’ISOS, s’insurge Ariane Widmer, qui vient de quitter son poste d’Urbaniste cantonale de Genève. Avec la pression extrême du développement vers l’intérieur, les urbanistes ont besoin de cet outil pour comprendre où construire et comment aborder les sites sensibles.» Genève entretien une relation sereine avec l’ISOS depuis les années 1980. Sa révision, en 2023, a permis de lever certains blocages et provoqué la création de la Plateforme patrimoine-paysage-territoire: pour chaque projet sur site sensible, l’ensemble des acteurs concernés se met autour de la table. Les projets s’en retrouvent ainsi renforcés, estime Ariane Widmer: «Si on travaille avec l’ISOS au stade de la planification, soigneusement, alors on est très conscients de l’enjeu du site avec lequel on compose. Cela solidifie les dossiers et, devant le juge, ce travail qualitatif a son poids face aux oppositions».

Moralité: au lieu de perdre son énergie à se battre contre l’ISOS, mieux vaut apprendre à le comprendre et l’apprivoiser. Il finira par être votre allié. 

Notes 

1 Inventaire fédéral des sites construits d’importance nationale à protéger en Suisse. En résumé, l’ISOS n’établit pas de règles, mais livre des clés pour inscrire un projet dans un site, en décrivant ses qualités: situation, relation au paysage, unité spatiale, qualités historico-architecturales. Les mesures proposées peuvent concerner la substance, la structure ou simplement le caractère – ce qui n’interdit pas d’intervenir, à condition de le faire de manière consciente.

2 Kauer, F., Lutz, E., Büttiker, D., Kaufmann, D., Activité de construction et phénomène d’éviction dans les grandes agglomérations suisses. Résumé. Office fédéral du logement, Berne, 2025


 

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