Queens of struc­ture

Signatures d’ingénieures civiles

Après un passage au parc des Bastions de Genève, les 18 Queens of Structure paradent sur les campus de l’EPFL puis Energypolis de Sion. Inaugurée en Allemagne, remontée à Zurich, l’exposition itinérante est complétée à chaque étape par des personnalités inspirantes de l’ingénierie au féminin. Les Romandes ont en ajouté quatre.

Date de publication
22-05-2025
Élise Bérodier
Ingénieure, Dr Phil. Material Science, General Manager d’Eurofins Microscan
Nicole Parlow
Ingénieure, Ingenieurbüro für Tragwerksplanung Dr.-Ing. Christian Müller, Berlin, coinitiatrice du projet Queens of Structure
Nicole Zahner
Ingénieure structure indépendante chez StudioC, Berlin

Les architectes d’ouvrages emblématiques sont généralement connu·es, mais plus rarement les ingénieur·es qui les ont accompagné·es. Pourtant, sans leur travail, sur lequel les architectes s’appuient pour développer leurs projets, ces ouvrages ne pourraient pas être construits. Parallèlement, l’image stéréotypée des ingénieurs est souvent masculine. Pourtant, saviez-vous que le pont de Brooklyn à New York, la tour Saint-Jacques à Bâle ou le Rolex Learning Center à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) ont été conçus et réalisés sous la direction de femmes?

L'exposition Queens of Structure, présentée ce printemps en Suisse romande, veut remédier à cette double invisibilité des ingénieures civiles. En effet, non seulement les contributions des femmes sont rarement perçues, mais le travail de la profession est, dans l’ensemble, peu connu et reconnu. L’exposition vous invite donc à découvrir la diversité du métier d’ingénieur·e civil·e à travers les portraits et projets de 18 femmes, les Queens. Les parcours et les perspectives de ces femmes passionnées par leur métier, illustrent la variété des défis et les différentes manières de les aborder. 

Genèse allemande du projet

Queens of Structure a été présentée pour la première fois en 2021, sur le campus de l'Université technique (TU) de Berlin, en parallèle du festival Women in Architecture. Le projet est l’initiative de quatre ingénieures civiles, toutes actives en Allemagne: Birgit Hartwig, Nicole Parlow, Anath Wolff et Nicole Zahner. C’est Nicole Parlow et Nicole Zahner qui ont ensuite repris le concept pour en faire une exposition itinérante en Allemagne et en Suisse. Soucieuses d’ancrer la manifestation dans chaque lieu d’exposition, le contenu est chaque fois complété avec des portraits d’ingénieures locales, permettant ainsi de couvrir davantage de thèmes du génie civil. 

Le titre qu’elles ont donné au projet, Queens of Structure, peut sembler paradoxal. On dit en effet souvent que les femmes ont l’esprit d’équipe et qu’elles restent dans l'ombre, deux qualités qui ne correspondent pas vraiment à l’idée de «reines»! Pourtant, l’ingénieure civile est souvent la seule femme dans l’équipe d’un projet et la seule femme à exercer ce métier dans un cercle d’ami·es. Ainsi, qu’elle le veuille ou non, elle est considérée comme un modèle et se retrouve sous les feux de la rampe. Cette exposition assume cette singularité et intronise ces femmes en tant que reines. 

Évolution en Suisse romande

Queens of Structure a été présentée pour la première fois en Suisse sur la Theaterplatz de Bâle, à l'automne 2022. Voir tant de portraits de femmes ingénieures civiles, comme elle, a été une véritable révélation pour Maléna Bastien Masse. Inspirée, elle a souhaité présenter l’exposition en Suisse romande et donc la traduire en français. Elle a rapidement été rejointe par neuf amies et collègues ingénieures pour former le comité d’organisation suisse romand.

À lire également (en allemand): entretien avec Nicole Zahner, 2021

Après un appel à candidature, quatre nouvelles figures romandes ont été sélectionnées et ajoutées aux Queensoriginales. Emilie Bélanger, partenaire du bureau -T-, met en avant le viaduc haubané Mohammed VI, au Maroc, qu’elle a réalisé avec le bureau français Setec TPI. Ce projet est représentatif des défis de la conception des ouvrages d’art, entre optimisation et esthétique. Isabelle Fern, asset manager au Groupe E, devient en 2021 la première femme experte niveau 3 pour les barrages placés sous la surveillance de la Confédération. Pour aborder les défis de la transition énergétique, elle présente le projet de confortement du barrage de Lessoc (FR), réalisé au sein du bureau Lombardi Ingénieurs Conseils. Alix Grandjean est spécialiste des monuments historiques et ingénieure indépendante. Elle souligne toute l’importance de la conservation de nos monuments historiques en parlant de la maintenance de la cathédrale de Lausanne. Enfin, Rachel Nenavoh, directrice de sd ingénierie neuchâtel sa, met en lumière toute l’importance d’une bonne planification des aménagements routiers pour la qualité de vie en milieu urbain. À travers différentes interventions dans la commune de Milvignes, (NE), elle démontre comment il est possible de pacifier le trafic et de mieux intégrer la mobilité douce.  

L’enthousiasme pour le projet d'exposition au sein du milieu de la construction en Suisse romande a dépassé toutes les attentes, avec le soutien de nombreux bureaux et entreprises. Le partenariat de la SIA, avec son Réseau femme et SIA, est un bel exemple de l'appui des milieux professionnels. Portée par cet élan collectif, cette version de l’exposition, traduite en français et actualisée, se veut la continuité d’un engagement déjà pris par les créatrices allemandes: celui de valoriser une profession trop souvent restée dans l’ombre, d’inspirer les générations futures d’ingénieur·es et de contribuer à une meilleure reconnaissance des femmes dans un secteur historiquement masculin. Le courage et l’engagement des femmes présentées dans cette exposition contribue à faire progresser la profession vers une nécessaire mixité.

Femmes et génie civil en Suisse romande

 

La première diplômée de l’École d'ingénieurs de l'Université de Lausanne (qui deviendra l’École polytechnique fédérale de Lausanne – EPFL) est la genevoise Cécile Biélier-Butticaz, dans la section Génie électrique1. Avec son mari, elle travaille sur la seconde galerie du Simplon en Valais. Il faut attendre 1965 pour qu’une femme y obtienne un diplôme de génie civil. La première professeure en génie civile n’est nommée qu’en 2010. Il s’agit de Katrin Beyer, qui est depuis début 2024 doyenne de la faculté regroupant le génie civil, l’architecture et les sciences de l’environnement (ENAC-EPFL).

Malgré une progression de quelques pour-cent ces dix dernières années, le taux d’étudiantes en génie civil stagne autour de 25% à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL)et sous les 20% dans les dix Hautes écoles spécialisées3. À une époque où le secteur de la construction est florissant et où une pénurie d’ingénieur·es civil·es se fait sentir en Suisse, il est urgent de lever les dernières barrières empêchant le recrutement de jeunes filles dans cette filiale. Ces barrières sont à la fois liées aux stéréotypes de genre, conscients ou non, et à l’image du métier d’ingénieur·e civil·e. La mise en lumière de modèles semble plus que jamais nécessaire pour faire évoluer la profession vers plus de mixité. MBB

 

Notes

  1. «Les femmes célèbres du campus», EPFL, 2022. Source (Dernière consultation: 19.02.2025)
  2. Carlier, Rémi: «À l’EPFL, des femmes de génie (civil)», Mars 2021. Source (Dernière consultation: 19.02.2025)
  3. «Titres délivrés dans les hautes écoles spécialisées (y.c. HEP): tableaux de base », Office féféral de la statistique, juin 2024

Ce texte est une adaptation de la préface du catalogue qui accompagne l’exposition. Les portraits des pionnières de l’ingénierie et les ingénieures contemporaines sélectionnées peuvent être consultés sur le site du projet – queens-of-structure.org

Exposition 
QUEENS OF STRUCTURE
Jusqu’au 9.06 : Place Ada Lovelace, EPFL
Du 11.06 au 06.07, Campus Energypolis, Sion

Informations: Queens of Structure

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