Sur les épaules des frères Ho­neg­ger

Malgré les défis techniques, normatifs et architectoniques, le bureau meier+associés architectes démontre que l’exercice de la surélévation peut être l’occasion de prendre soin d’un patrimoine commun et d’affirmer un parti architectural contemporain prolongeant l’existant. Retour sur une surélévation qui brille par sa discrétion.

Date de publication
26-10-2023
Alexandre Barrère
Architecte, chef de projet bureau Bonnard+Woeffray, chercheur associé à l’École nationale supérieure d’architecture de Clermont-Ferrand (ENSA)

À première vue, l’angle nord de la rue Charles Humbert, à Genève, ne se fait pas remarquer. À l’intersection de deux rues tranquilles du quartier de Plainpalais, siège depuis les années 1960 un immeuble de logements des frères Honegger1, sobre mais savamment dessiné. La façade se compose d’une trame structurelle rendue lisible par les modénatures du béton, répétant un module préfabriqué sur quatre étages, et surmontant des commerces vitrés en rez-de-chaussée. Sur le pignon, la façade se retourne vers la rue adjacente avec un mur-drapeau aveugle, «flottant» au-dessus du coin coupé du rez-de-chaussée. L’ensemble est équilibré et articule efficacement le croisement.

En 2022, le bâtiment s’est étendu vers le haut, croissant de deux niveaux supplémentaires. Les architectes du bureau meier+associés signent ici une surélévation efficace, environ 50 % d’augmentation du nombre de pièces, et prennent le parti d’établir un dialogue fin avec leurs prédécesseurs. Le choix des architectes est celui de la continuité – dans la structure, les matériaux, les couleurs, ainsi que dans l’esprit – sans pour autant renier un langage et des enjeux contemporains.

Une intervention légère, au propre comme au figuré

La continuité est tout d’abord utilitaire: la surélévation se pose «comme des pattes d’araignée», selon Ana-Inès Pepermans, associée du bureau chargée du projet, à l’aplomb de piliers et meneaux existants. Une étude de génie civil poussée a été nécessaire pour confirmer la faisabilité de ce principe de superposition, les frères Honegger étant, de surcroît, connus pour leurs structures fines. Finalement, l’ossature existante a pu recevoir deux niveaux supplémentaires sans requérir de renfort, mais en imposant à ceux-ci une légèreté maximale.

Guidés par cette idée de prolongement vertical de l’édifice, les bétons préfabriqués de la façade, superposés aux modules existants, reprennent les proportions, le matériau et le langage de l’existant. Ceux-ci sont cependant plus vitrés et évidés que leurs prédécesseurs, dotant les nouveaux appartements d’espaces lumineux ou de loggias. La façade de la surélévation demeure donc discrète; elle est située dans la continuité esthétique directe des frères Honegger, sans pour autant le pasticher. Car si les règles sont données par les prédécesseurs, la construction conserve une écriture contemporaine, avec un béton brut pour les deux premiers niveaux de l’intervention, et un capotage aluminium pour l’attique.

Dans une nécessité de légèreté, les deux étages ajoutés reposent sur une dalle de répartition en bois, placée sur la toiture existante, dont le large vide permet le passage des techniques présentes initialement ainsi qu’ajoutées, et dont la robustesse a aussi permis de supporter la grue nécessaire au chantier. Ce système est combiné à une poutre métallique s’étirant sur la longueur du bâtiment, reprenant les efforts du niveau en attique, légèrement en retrait et donc décalé par rapport aux descentes de charge existantes. C’est la nécessité et un inévitable pragmatisme qui guident un choix de techniques mixtes et complémentaires, combinant béton préfabriqué, bois et métal.

L’attique, en retrait, le seul dérogeant à la façade béton, est rendu invisible. Seul étage doté d’appartements de plus de deux pièces, il donne accès à une terrasse partagée, offrant une vue rasante sur les toits du quartier. Si l’immeuble existant était généreux et réussi dans son rapport à la rue, c’est aujourd’hui aussi le cas pour son rapport au ciel.2

Patrimoine commun

La surélévation de l’édifice profite à l’ensemble des locataires. Elle a en effet permis la réfection des équipements communs, principalement situés dans les étages préexistants (local vélos, ascenseur, hall d’entrée, escalier d’origine). L’extension du projet à l’ensemble de l’immeuble met ainsi en lumière les grandes qualités du bâtiment, caractéristiques d’une période faste, où de très nombreux logements collectifs genevois sont sortis de terre – près d’un tiers du parc bâti de l’époque aurait été construit par les frères Honegger.

L’immeuble est à l’image de tout un patrimoine bâti, souvent non répertorié comme tel, offrant des atouts architecturaux beaucoup moins répandus aujourd’hui, notamment dans la générosité des espaces communs. Par exemple le large couloir lumineux se répétant à chaque étage côté cour, l’épais linoléum d’origine au cachet intact, ou encore le généreux escalier en terrazzo, dont le dessin courbe contraste avec la rigueur de la façade, toute en minéralité et angles droits.

Les efforts consentis pour la réalisation d’un tel projet sont importants au regard du nombre d’appartements créés (6). Néanmoins, les vertus d’une telle démarche sont multiples: limitation de l’étalement urbain, création de logements neufs en centre-ville dont la majorité est destinée à des étudiants, entretien du bâtiment et mise en valeur de ses qualités.

Dans cet exercice, la démarche de meier+associés architectes tranche avec l’imaginaire qui accompagne les surélévations urbaines : celui du chapeau rajouté, rompant ­drastiquement avec l’existant, considérant celui-ci comme un niveau 0 à partir duquel construire. En effet, selon Ana-Inès Pepermans, l’objectif était de construire «main dans la main avec les frères Honegger», afin de prolonger le projet initial, tout en apportant des réponses aux enjeux contemporains de durabilité.

Notes

 

1 Avec près de 9000 logements réalisés, de nombreux immeubles commerciaux, d’artisanat et de bureaux, l’entreprise des frères Jean-Jacques, Pierre et Robert Honegger (1930-1969) a marqué et marque encore le paysage genevois. Franz Graf, Philippe Grandvoinnet, Yvan Delemontey, Honegger frères, architectes et constructeurs (1930-1969). De la production au patrimoine, Gollion, Infolio, 2010

 

2 En réalité, le pendant du rapport à la rue réside plutôt dans le rapport au paysage de toitures, pour la protection duquel Patrimoine Suisse s’est battu lors de l’adoption de la loi sur les surélévations en 2008.

Surélévation de 2 étages, avec création de 6 logements de 3 à 6 pièces dans un immeuble habité, Genève (GE)

 

Maître d’ouvrage
Privé

 

Architecture
meier+associés architectes

 

Pilotage et direction des travaux
PAHK-DT

 

Ingénieur civil
Ingéni

 

Ingénieur CV
M+S Ingénieurs Conseils

 

Ingénieur E
Sedelec

 

Ingénieur S
M+S Ingénieurs Conseils

 

Surfaces
500 m2

 

Projet
2016-2022

 

Réalisation
2020-2022

Magazine

Sur ce sujet