Se ba­la­der au-des­sus des voies

Si elle assurera un rôle de liaison essentiel dans le périmètre Sécheron, la Passerelle de la Paix offrira aussi à ses usagers l’occasion de percevoir ce quartier en plein développement selon un angle inédit.

Date de publication
15-02-2013
Revision
23-10-2015
Jacques Perret
Ingénieur en génie civil EPFL, Dr ès sc. EPFL et correspondant pour TRACÉS.

Le concours organisé par la Ville de Genève pour l’ouvrage qui a récemment été baptisé Passerelle de la Paix stipulait que ce dernier devait assurer «la continuité de la promenade piétonne reliant le secteur des organisations internationales au lac, promenade qui figure dans le plan directeur du site central des organisations internationales de Genève, nommé Jardins des Nations». Et c’est effectivement à cette notion de promenade que l’architecte Pierre-Alain Dupraz se réfère d’emblée lorsqu’il évoque certains des choix qui lui ont permis de remporter le concours.
Parmi eux, l’architecte retient l’option de renoncer à un tracé totalement rectiligne, en imposant un changement de direction à mi-parcours, à la hauteur du quai RER. Visuellement, ce choix fait que l’usager ne perçoit jamais l’entier des 160 mètres nécessaires pour franchir les 19 voies de chemin de fer. Il a ensuite eu recours à un second artifice pour dynamiser la traversée d’un milieu a priori peu propice à la flânerie: en faisant varier la hauteur des poutres longitudinales, il incite, pour ne pas dire oblige celui qu’il veut transformer en promeneur à varier les angles à partir desquels il perçoit son entourage.
Refusant que cette variation de hauteur soit purement gratuite, elle se voit aussi attribuer un rôle fonctionne puisqu’elle met en évidence les deux accès à la passerelle – milieu et extrémité est – desservis par des ascenseurs.
Grâce à une habile intégration dans la structure métallique rehaussée de ces zones, l’accès supérieur desdits ascenseurs se fait à l’abri des intempéries. Situés à l’extérieur des virages, ces accès aux ascenseurs offrent aussi une confortable zone d’attente, sans perturber la fluidité des parcours horizontaux. La variation de la hauteur des poutres triangulées métalliques le long du parcours se combine avec celle de leur largeur: lorsque la première diminue, la seconde s’accroît, et vice-versa. Un jeu de compensation qui n’est là aussi pas que formel, puisque le rapport entre hauteur et largeur a en partie été déterminé par des exigences imposées par les normes concernant la protection des voies ferrées. De plus, les faces intérieures des poutres sont volontairement inclinées vers le centre de la passerelle, afin de créer un sentiment de protection et d’intériorité pour l’espace de circulation.
Une des autres qualités majeures de la Passerelle de la Paix tient à son intégration dans le contexte ferroviaire. En effet, le caractère essentiellement technique et métallique de la zone franchie – voies ferrées, câbles et supports rectilignes – trouve un écho à la fois dans le choix du métal et dans les lignes très pures et dynamiques de la structure horizontale. Une dynamique que l’on retrouve aussi dans le dessin des appuis, en béton apparent, tout particulièrement pour le cadre sur le quai RER qui se penche littéralement sur les voies.
Au niveau de la passerelle à proprement parler, la rectitude des lignes est encore accentuée par l’habillage – à l’aide de verres translucides sur les faces intérieures ou de tôles perforées à l’extérieur – de ses poutres latérales.
En plus de radicaliser les arêtes de la structure, cet habillage, par sa transparence relative, génère des contrastes intéressants et variés entre l’intérieur et l’extérieur des poutres triangulées. En effet, la perception de leur structure change radicalement selon les conditions (même naturelles) d’éclairage ou selon l’angle de vue. Ainsi, les diagonales reliant leurs trois membrures peuvent être masquées par l’habillage ou n’apparaître qu’en filigrane. Un jeu de contraste que l’éclairage artificiel, intégré dans les verres translucides, permet d’accentuer la nuit, principalement depuis l’extérieur de l’ouvrage.
Il est aussi intéressant de parler ici de ce que – de l’aveu même des mandataires – la passerelle doit au « hasard » par le biais de certains développements du projet. En effet, le merveilleux jeu de lumière évoqué précédemment a beaucoup gagné de la volonté des mandataires de vouloir faire évoluer la structure en faisant fonctionner les poutres latérales comme de véritables treillis, alors que le projet du concours prévoyait d’y intégrer une âme pleine (lire l'article Un chantier serré). Autre résultat à la fois réussi et inattendu, la décision imposée à l’architecte de ne pas entièrement habiller la structure métallique : alors qu’il était initalement prévu que des tôles recouvrent également la face inférieure de la structure métallique, il a finalement fallu y renoncer pour rationaliser le projet. Avec pour résultat qu’aujourd’hui, vu depuis le dessous, le lien entre la passerelle et les équipements ferroviaires se fait probablement de façon plus spontanée sans habillage.
Finalement, pour en revenir au thème de départ de la promenade, il est plaisant de se souvenir ici du nom « Cabriolet », donné en 2004 au projet déposé lors du concours ; allusion au fait que si le descriptif du concours souhaitait en principe une structure couverte, seules les zones d’accès des ascenseurs le sont effectivement. De plus, l’habillage de la passerelle rappelle bel et bien une sorte de carrosserie sur laquelle le piéton est incité à s’appuyer : celui qui prendra le temps de s’y arrêter pourra dès lors s’imaginer effectuant une balade bras sur la portière, le mouvement du présumé véhicule venant en fait du passage des trains défilant sous la Passerelle de la Paix.

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