Ri­gueur géo­mé­trique et créa­ti­vité

Editorial paru dans Tracés n°05-06/2015

Date de publication
31-03-2015
Revision
10-11-2015
Jacques Perret
Ingénieur en génie civil EPFL, Dr ès sc. EPFL et correspondant pour TRACÉS.

Si l’influence de l’informatique sur la pratique des architectes et des ingénieurs ne fait aucun doute, l’effet de ce changement est plus difficile à cerner. Dans le paysage architectural contemporain, elle se traduit cependant par deux ­phénomènes a priori opposés: l’omniprésence de la ligne droite et des formes géométriques simples qui lui sont associées d’un côté, la possibilité d’inventer des formes toujours plus libres de l’autre. Un antagonisme révélateur d’une époque tiraillée entre les exigences de rationalisation qui tendent à une uniformatisation de la production architecturale et le besoin de résister à cette uniformisation par des gestes spectaculaires.

Cette prétendue opposition entre rationalité et créativité – souvent utilisée pour caricaturer les rapports entre ingénieurs et architectes – est brillamment démentie par le travail mené conjointement par les architectes de l’agence Moatti-Rivière et les ingénieurs du bureau RFR pour concevoir puis réaliser les façades vitrées à double courbure de trois nouveaux pavillons du premier étage de la tour Eiffel. Au-delà d’un résultat esthétique convaincant, c’est l’originalité de la démarche adoptée pour la conception des vitrages que nous souhaitons souligner ici, notamment le rôle joué par la géométrie dans le développement de la solution exécutée.

En effet, les ingénieurs et les architectes ont exploité une propriété géométrique fondamentale des lignes de courbure principales des surfaces pour choisir la forme définitive des façades et définir le calepinage de leurs vitrages. Ils y sont parvenus en utilisant un logiciel pour dessiner lesdites lignes de nombreuses surfaces envisageables pour les façades, puis en sélectionner une dont la forme permette de concilier au mieux les contraintes fonctionnelles du projet et celles liées à sa réalisation. Mieux encore, les inévitables imperfections issues de la décomposition des surfaces vitrées en panneaux ont été exploitées pour renforcer certaines intentions architecturales concernant l’intégration des trois pavillons dans la tour.
Cette démarche prouve que l’échange entre les deux professions est non seulement possible, mais qu’il se révèle fertile pour autant que les deux partenaires acceptent de remettre en question une partie de leur travail. Elle démontre aussi comment l’informatique, pour autant qu’on prenne le temps d’analyser intelligemment ses résultats, peut stimuler et nourrir la créativité architecturale.

Pour en revenir à la tour Eiffel, l’exercice visant à accroître l’attractivité du premier étage a clairement bénéficié de la démarche appliquée. Et les craintes du collectif d’artistes affirmant, deux ans avant sa construction, que la tour serait «n’en doutez point, le déshonneur de Paris» et s’inquiétant ensuite de voir «s’allonger comme une tache d’encre l’ombre odieuse de l’odieuse colonne de tôle boulonnée» semblent définitivement appartenir au passé1.

 

Note

1 Voir à ce sujet la lecture de la protestation «Les artistes contre la tour Eiffel» ainsi que la «Réponse de Gustave Eiffel à la protestation des artistes du 14 février 1887».

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