Pour un «en­vi­ron­ne­men­tal turn» à l’EPFL

Éditorial de Marc Frochaux du numéro de septembre de la revue TRACÉS.

Date de publication
08-09-2021

Lorsque l’EPFL a publié en avril 2021 l’appel à candidatures pour le poste de professeur d’histoire de l’architecture, son intitulé incluait entre parenthèses «digital turn». Cette maladresse est difficile à comprendre. Elle traduit la peur d’un retard, mais aussi la logique de performance qui guide notre époque. Or le «digital» ne peut former une perspective historique; c’est une panoplie d’outils qui trouvent leur application dans une quantité de domaines. Ils ne sont que l’évolution de méthodes de pensée qui ont guidé les concepteurs depuis toujours, bien avant la naissance de l’ordinateur1. Pour les architectes, un plan est déjà un système d’information. Certes, les historiens doivent être en mesure d’aborder de manière critique l’évolution rapide, trop rapide, de ces outils dans les dernières décennies. Mais il ne faut pas se tromper de sujet. C’est bien cette pensée qui doit servir de matière à l’histoire. Et l’histoire ne peut être opérative.

D’un côté, on ne peut pas construire une histoire autour d’un outil. De l’autre, on ne veut plus la focaliser sur quelques grandes figures, de saints patrons dont on continue d’interpréter les écrits, parfois cryptiques. La focale doit être mise sur l’histoire des techniques et des cultures du bâti. Tout ça au pluriel. C’est l’inscription de l’architecture dans une perspective environnementale qui devrait préoccuper les historiens d’aujourd’hui: l’histoire des ressources matérielles, des modes de vie, des méthodes, etc., soit la manière dont l’architecture construit un rapport au monde. La transition commande un tel projet.

L’inscription au concours de ce poste (une procédure actuellement suspendue) a provoqué une polémique et révélé une école tristement divisée. D’un côté ceux qui, face aux problèmes de notre temps, trouvent dans l’immense répertoire du passé des solutions qu’ils estiment éprouvées – mais qui ressassent à l’envi ce que l’on connaît déjà; d’un autre, ceux qui, face aux mêmes problèmes, cherchent de nouvelles voies, essaient, se trompent, s’égarent parfois – et souvent réinventent ce qu’on connaissait déjà. Ces deux voies se rejoignent fatalement car elles composent un même cercle, un disque tournant au rythme des petites révolutions de chapelles, remettant en vogue ce qu’on trouvait innovant cinquante ans plus tôt.

Toujours cette vieille querelle des Anciens et des Modernes. Jadis on y mit fin ainsi: en rappelant que, juchés sur les épaules des géants, les nains voient plus loin. Mais les professeurs de l’EPFL ne semblent pas vraiment enclins à se faire la courte échelle. Entre l’Academia artistique et le Poly technicien, la section d’architecture de l’EPFL, inscrite au sein de l’ENAC, a emmené dès son fondement la participation des sciences humaines et sociales dans son projet pédagogique. Dans le paysage suisse, elle est peut-être l’école la mieux outillée pour aborder la complexité des problèmes environnementaux – une perspective qui nécessite l’association vertueuse des sciences humaines et des disciplines du projet. Il n’y manque plus que le paysage.

Au lieu de tourner en rond et d’opposer des fronts, l’école peut être une grille neutre, sur laquelle les positions fortes et contrastées rivalisent et interagissent librement, sans qu’une tendance ne s’impose. Sur un tel damier, les étudiants sauront trouver eux-mêmes le chemin pour composer le meilleur parcours académique.

Note

  1. Mario Carpo, “Myth of the Digital”, gta papers 3, Founding Myths, 2019. Sur un autre ton, il est bon de méditer également la proposition d’Alessandro Baricco: «On prétend que la révolution mentale est un effet de la révolution technologique; or nous devrions comprendre que c’est le contraire qui est vrai.» The Game [– A Digital Turning Point], Gallimard, 2020, p. 48. Enfin, pour explorer les prémisses de la pensée informatique dans le design et l’architecture, il faudrait remonter à l’Antiquité. C’est ce que l’on découvrira dans l’exposition Database Network Interface – The Architecture of Information, Archizoom – EPFL, septembre 2021.
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