Pour des mar­chés pu­blics exem­plaires

Nous publions la lettre ouverte de Christophe Widerski, co-­fondateur du bureau FWG architecture, basé à Lausanne. L’architecte y engage les professionnels à se positionner face à ce qu’il perçoit comme une dégradation des mandats proposés dans les appels d’offres publics dans le canton de Vaud: un point de vue que l’on entend depuis plusieurs années de manière «sourde». En relayant cette prise de parole, espazium entend ouvrir une discussion qui doit être menée.

Date de publication
21-12-2021

Il faut le dire sans détours: nous assistons actuellement, dans le canton de Vaud, à une dégradation lente mais certaine des mandats qui nous sont proposés dans les appels d’offres publics. En effet, il ne se passe pas un mois sans qu’une consœur, un collègue ingénieur ou un directeur d’une PME de construction fasse part de son incrédulité face à ce qui se profile comme une mutation majeure des conditions de travail de nos professions. Que sont-elles devenues?

Le premier étage de notre édifice, qui s’est écroulé le 28 juin 2016 par suite d’un arrêté fédéral, est la disparition de l’encadrement de nos missions via les recommandations de la Conférence de coordination des services de la construction et des immeubles des maîtres d’ouvrage publics (KBOB). Elles offraient une base claire entre maîtres d’ouvrages et maîtres d’œuvre. La libéralisation des prix et l’ouverture à une concurrence sauvage qui ont suivi sont les conséquences de la pression exercée par la Commission de la concurrence (COMCO) pour obtenir la levée de cet encadrement. Les associations professionnelles SIA, FAS, l’usic n’ont pu que constater leur impuissance à empêcher ce virage.

Le second étage, désormais fragilisé, correspond à la nature des prestations que nous permettent les appels d’offres, prestations qui tendent à n’être plus que partielles ou sous conditions.

Combien de concours ou d’appels d’offres sont libellés de manière que l’architecte ne propose qu’une esquisse architecturale, qui sera remise ensuite sur le marché pour être poursuivie par un confrère moins-disant?

Combien d’appels d’offres mentionnent désormais clairement que le MO se réserve le droit de faire appel à une entreprise totale ou générale quand bon lui semblera, évinçant l’architecte et le groupement de maîtrise d’œuvre?

Combien de procédures obligent les équipes d’ingénieurs et autres mandataires à travailler via les procédés du design to cost – avec un budget initial souvent sous-évalué –, ceci avec l’obligation contractuelle de respecter des marges de seulement +/- 5 % sur l’évaluation des coûts de construction en phase «Projet de l’ouvrage», quand la SIA recommande 10 %?

Combien de groupements de maîtrise d’œuvre ne jouent plus leur rôle de conseil auprès des MO – comme leur déontologie les y engagent –, en raison de la présence grandissante des bureaux d’assistance au maître de l’ouvrage (BAMO), devenus intercesseurs entre les clients et nos bureaux, BAMO dont certains se veulent les nouveaux chantres du respect des coûts et des délais?

Le dernier étage est celui des petites et moyennes entreprises. Le dumping y est la règle en matière de marchés. Asphyxiés par la lourdeur administrative d’appels d’offres toujours plus demandeurs en matière de certifications, de nombreux petits entrepreneurs au savoir-faire précieux n’accèdent plus à des marchés auxquels ils pourraient prétendre. Et, parmi ceux qui y accèdent, combien sont soumis à un grand groupe ou faisant appel à une sous-traitance déloyale?

La liste serait encore longue pour décrire la déflagration sourde sur le point d’emporter tout un cadre qualitatif des marchés publics. Ce que nos professions considèrent comme une dérive va affaiblir les petits, au profit des grands, et hypothéquer le développement, voire l’existence même des structures professionnelles qui font la réputation de la construction vaudoise.

Nous appelons par conséquent les instances politiques à veiller à ce que le principe d’exemplarité tant plébiscité par l’État en matière d’environnement construit soit respecté, en permettant au tissu économique composé de bureaux d’architectes, d’ingénieurs et de PME de poursuivre leur travail exigeant, travail qui, nous le savons, est loin d’être guidé par la seule loi de la rentabilité. Nous appelons enfin nos consœurs, confrères et associations professionnelles à se mobiliser : il en va de la qualité de notre patrimoine, construit de longue date sur ces principes.

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