Post te­ne­bras lux: ré­no­va­tion du Grand Con­seil ge­ne­vois

Siège des autorités politiques du Canton, l’Hôtel-de-Ville de Genève – où se réunit également le législatif communal – est un édifice historique d’importance nationale. Le bureau Bonhôte Zapata a su conférer aux salles du Grand Conseil des qualités fonctionnelles, spatiales, haptiques et lumineuses propices aux échanges et aux débats.

Date de publication
25-10-2022

Un «monument en mouvement»: telle est la manière dont les architectes ont appréhendé un ensemble qui s’est en effet constitué, par campagnes successives, entre le 15e et le 18e siècle, et qui a subi de nombreuses transformations par la suite1. Sans chercher à entrer dans un rapport d’opposition ou de rupture avec la substance historique, les concepteurs ont néanmoins opté pour une intervention d’une contemporanéité assumée, marquant «une étape de plus» dans l’évolution de l’édifice. Les responsables cantonaux du patrimoine et l’expert fédéral chargé de suivre le projet ont soutenu cette approche, dans l’esprit d’une revalorisation bien comprise du bâti existant.

Une matérialité raffinée

Au sein de l’Hôtel-de-Ville, la salle du Grand Conseil occupe, avec la majeure partie des locaux qui lui sont associés, le premier étage de l’aile sud, auquel on accède, depuis la cour, par la fameuse rampe cavalière pavée de galets du 16e siècle. Dès le vestibule, on est saisi par le contraste entre la pierre froide de la tour de la rampe et le confort des espaces intérieurs – un confort qui n’invite toutefois pas à la familiarité, mais instaure d’emblée une ambiance non dénuée de solennité. Car, si les architectes ont accordé beaucoup d’attention à la sensorialité des matériaux et à l’habitabilité des pièces, ils ont su concilier cette dimension quasi domestique avec le caractère représentatif qui sied aux institutions politiques abritées, comme l’illustrent par exemple les élégantes poignées de portes en laiton inspirées des grands appartements genevois.

Un autre enjeu était par ailleurs d’assurer la cohérence des interventions et la continuité des différents espaces, tout en mettant en valeur les éléments historiques remarquables conservés dans certaines pièces. Ainsi les enduits beige sable forment-ils une toile de fond que rehausse le chêne clair des parquets, portes et autres ouvrages de menuiserie intérieurs, tandis que les plafonds d’époque ont été rénovés dans le respect de leurs caractéristiques propres – qu’il s’agisse de l’imposant plafond à sommiers de la salle des pas perdus ou de ceux, redécouverts et dégagés en cours de chantier, des pièces donnant sur la rue Henri-Fazy.

Soucieux de privilégier les matériaux nobles, les concepteurs ont délibérément renoncé au béton apparent, ce qui les a notamment incités à revêtir les deux noyaux de services situés aux extrémités de la salle du Grand Conseil de placages en marbre vert de Suède. D’une grande qualité d’exécution, ces revêtements d’aspect satiné – et d’inspiration loosienne – se révèlent tout à fait convaincants sur le plan esthétique – même si l’on peut se demander dans quelle mesure l’emploi d’une pierre locale n’aurait pas permis d’atteindre un résultat tout aussi satisfaisant.

Une spatialité dynamique

Par rapport au raffinement discret des espaces d’accueil et de circulation, la vaste salle du Grand Conseil offre au visiteur une expérience spatiale forte. En effet, les architectes ont exploité le volume des combles pour coiffer la salle d’un spectaculaire «dôme» polyédrique qui va chercher le jour par une verrière en toiture et dispense lui-même vers l’intérieur, à la manière d’une lanterne, une lumière modulable en intensité et en chaleur2. Produite par des bandes d’éclairage LED recouvertes d’une toile diffusante, cette lumière est filtrée, sur toutes les facettes de l’ouvrage, par une claie en lattes de chêne massif de dimensions et de disposition variables. Il en résulte une vibration subtile, à laquelle contribue pour beaucoup le fait que, si tous les éléments de ce réseau d’aspect textile ont fait l’objet d’une modélisation 3D, leur découpe et leur pose se sont faites manuellement.

Lors du concours de 2011, les futurs lauréats comptaient parmi les rares participants à supprimer le plafond qui couvrait alors la salle, au profit d’une extension verticale de l’espace. Or, du strict point de vue patrimonial, un tel parti n’aurait sans doute pas été envisageable si le corps de bâtiment, érigé au début du 18e siècle et réaménagé à plusieurs reprises au cours des deux siècles suivants, n’avait déjà subi entre 1958 et 1961, sous la conduite de l’architecte Charles Schopfer, une modernisation radicale, qui sacrifiait la charpente d’origine au profit de pans de toiture et d’un plancher intermédiaire en béton. De fait, les seuls éléments qui subsistent aujourd’hui de cette intervention typique des Trente Glorieuses sont les versants en béton du toit, dont Bonhôte Zapata a d’ailleurs tiré parti en y ancrant la charpente métallique à laquelle sont suspendus, à la base du dôme, les planchers des tribunes des médias et du public.

Outre une meilleure gestion des flux des différentes catégories d’usagers (politiques, journalistes, visiteurs, etc.), l’un des grands objectifs de la rénovation était de remanier le plan de la salle en abandonnant l’ancienne disposition des pupitres en U, calquée sur le modèle britannique et de nature à exacerber la confrontation, en faveur d’une disposition en hémicycle «à la française». À l’occasion de cette réorganisation, les vitraux armoriés que les cantons suisses avaient offerts à Genève pour le 150e anniversaire de son entrée dans la Confédération3 ont été remplacés par des fenêtres à guillotine destinées à renforcer la relation entre l’assemblée parlementaire et la ville. Quant aux fauteuils, ils constituent la réédition d’un modèle dessiné en 1951 par l’architecte et artiste danois Finn Juhl pour le Conseil de tutelle des Nations Unies à New York – modèle dont le fabricant a accepté de produire une nouvelle série exclusive pour le Grand Conseil genevois. De toute évidence, le désir de réaffirmer les liens historiques entre cantons confédérés a cédé le pas à la volonté de célébrer la position privilégiée de Genève au sein du système onusien.

Les aléas de l’Histoire veulent que les députés genevois aient repris possession de leurs locaux transfigurés dans un contexte international tourmenté. Or, face à un horizon (géo)politique qui ne cesse de s’assombrir, le lumineux vaisseau dont ils sont désormais dotés revêt une portée symbolique dont ni le maître d’ouvrage ni les architectes n’étaient sans doute pleinement conscients lors de l’élaboration et de l’exécution du projet.

Transformation et rénovation des salles du Grand Conseil genevois (GE)

 

Maître d’ouvrage
État de Genève, Département des infrastructures

 

Architecture et direction de travaux
Bonhôte Zapata Architectes

 

Ingénierie civile
OU3 Ingénieurs civils

 

Ingénierie CVSE
SRG Engineering

 

Conception lumière
PSLab lighting design

 

Procédure
Concours, 2011

 

Réalisation
2018-2021

 

Coût total
19,5 mio CHF

Notes

 

1 Pour une présentation complète de l’histoire du bâtiment, voir Brunier Isabelle, Schätti Nicolas, «L’Hôtel-de-Ville, rue de l’Hôtel-de-Ville 2-2bis», in: Brunier Isabelle (dir.) et al., Genève, espaces et édifices publics, Les Monuments d’art et d’histoire du canton de Genève, tome IV, Berne 2016, p. 81-136.

 

2 Ce puits ne participe cependant pas à la ventilation de la salle, comme c’est par exemple le cas dans celle du nouveau Parlement vaudois.

 

3 Ces vitraux, qui avaient été installés en 1967, sont aujourd’hui entreposés en attendant de trouver leur place dans un autre contexte.

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